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[ 3 mai 2021 ] Imprimer

Droit des obligations

Résiliation du bail et expulsion du locataire : l’action oblique reconnue au copropriétaire le permet.

Si un bailleur n'expulse pas son locataire alors que ce dernier porte atteinte au droit de jouissance paisible de copropriétaires par une activité contraire au règlement de la copropriété, ces derniers sont en droit d'exercer l’action oblique. 

Civ. 3e, 8 avr. 2021, n° 20-18.327

Connue pour permettre à un créancier de se substituer à son débiteur afin d’empêcher son appauvrissement et de sauvegarder par conséquent son droit de gage, l’action oblique en droit de la copropriété est relativement méconnue et dépasse le cadre classique de cette action. C’est tout l’intérêt de la décision rapportée d’en témoigner.

Des nus-propriétaires et une usufruitière consentent un bail commercial à une société d'achat, de vente et de réparation de véhicules motorisés (véhicules automobiles et scooters principalement). La société preneuse s'installe alors dans un local commercial situé dans un immeuble d’habitation soumis au statut de la copropriété. Se plaignant de nuisances sonores et olfactives, les propriétaires d’un lot contigu au local commercial assignent les bailleurs, le syndicat des copropriétaires ainsi que la société en résiliation du bail et en expulsion du preneur commercial par la voie de l'action oblique (C. civ., art. 1341-1 : « Lorsque la carence du débiteur dans l'exercice de ses droits et actions à caractère patrimonial compromet les droits de son créancier, celui-ci peut les exercer pour le compte de son débiteur, à l'exception de ceux qui sont exclusivement rattachés à sa personne. »), excipant du respect dû au règlement de copropriété.

Les juges du fond ordonnent la résiliation du bail, ce que l’un des bailleurs et le preneur contestent en cassation. Selon eux, l'engagement par un copropriétaire d’une action par voie oblique en résiliation d’un contrat de bail conclu entre un autre copropriétaire et un preneur porte une atteinte excessive à la liberté contractuelle. De plus, alors que l’action oblique suppose que le créancier démontre une carence de son débiteur de nature à compromettre ses droits, aucune défaillance de ce type ne peut être en l’espèce imputée aux bailleurs : en effet, les copropriétaires prétendument victimes des nuisances générées par l’activité de leur preneur ne se sont jamais adressés à eux pour qu'ils lui enjoignent de faire en sorte de respecter le règlement de copropriété. Au surplus, ce dernier avait néanmoins réalisé, sur l’ordre d’un de ses bailleurs, « de nombreuses diligences » pour limiter les nuisances induites par son activité, en demandant notamment à l'assemblée des copropriétaires l'autorisation de réaliser des travaux. 

Au visa de l’article 1166 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, selon lequel les créanciers peuvent exercer tous les droits et actions de leur débiteur, à l'exception de ceux qui sont exclusivement attachés à la personne, la Cour de cassation rejette les pourvois formés.

Elle rappelle qu’en application de ce texte, un syndicat de copropriétaires a, en cas de carence du copropriétaire-bailleur, le droit d'exercer l'action oblique en résiliation du bail dès lors que le locataire contrevient aux obligations découlant de celui-ci et que ses agissements, contraires au règlement de copropriété, causent un préjudice aux autres copropriétaires (Civ. 3e, 14 nov. 1985, n° 84-15.577).

Elle ajoute que le règlement de copropriété ayant la nature d'un contrat, chaque copropriétaire a le droit d'en exiger le respect par les autres (Civ. 3e, 22 mars 2000, n° 98-13.345).

Il en résulte que, titulaire de cette créance, tout copropriétaire peut, à l’instar du syndicat des copropriétaires, exercer les droits et actions du copropriétaire-bailleur pour obtenir la résiliation d’un bail lorsque le preneur méconnaît les stipulations du règlement de copropriété contenues dans celui-ci.

Or en l’espèce, la demande d'autorisation du preneur commercial à l'assemblée générale pour faire réaliser des travaux était contraire au règlement de copropriété puisqu'elle visait à faire accepter les nuisances provoquées par son activité, méconnaissant par là même les stipulations dudit règlement selon lesquelles chaque copropriétaire doit « veiller à ne rien faire qui pourrait troubler la tranquillité des autres occupants ». Enfin, même si les copropriétaires victimes n'ont pas interpellé directement les bailleurs, ces derniers avaient été informés par le syndic et par les autres copropriétaires des nuisances occasionnées par l’activité du preneur commercial sans que des démarches en vue d’y remédier aient été ultérieurement entreprises. La résiliation du bail est donc bien fondée. 

La Cour de cassation rappelle qu’un copropriétaire peut solliciter la résiliation d’un bail commercial en cas de carence du copropriétaire bailleur (v. déjà, Civ. 3e, 12 juill. 2018, n° 17-20.680) par la voie de l’action oblique. 

Issue du régime général des obligations, l’action oblique permet à un créancier d’exercer l’ensemble des droits et actions de son débiteur en cas de carence de ce dernier, à l'exception de ceux exclusivement attachés à la personne du débiteur (par ex., une demande de divorce). 

Ainsi, en l’espèce, l’action en résiliation du bail, détachée de la personnalité même des débiteurs, entrait sans difficulté dans le champ d’application de cette action, qui permet à chacun des copropriétaires victimes d’engager, en cette qualité, une action oblique, c’est-à-dire une action en justice en lieu et place du copropriétaire bailleur ayant négligé de l’exercer.

Cette action n’est toutefois recevable qu’à la double conditiond’une part, que l’inertie du débiteur soit établie (ici, les copropriétaires bailleurs) et, d’autre part, que cette inaction compromette ses droits de créancier. 

Précisément, le rejet du pourvoi se justifiait en l’espèce dans la mesure où ces deux conditions étaient remplies : avertis des nuisances occasionnées, les bailleurs n’ont pourtant jamais intimé à leur locataire de respecter le règlement de copropriété et leur inaction avait ainsi conduit à méconnaître le droit de créance des propriétaires victimes de ces nuisances, tiré du règlement de copropriété, plus précisément de sa clause interdisant de causer un trouble de jouissance à ses occupants.

Cette décision, si elle n’est que la stricte application de l’action oblique prévue par l’article 1341-1 du Code civil (art. 1166 anc.) a le mérite de rappeler que cette action n’est pas circonscrite aux créances de sommes d’argent et qu’elle peut, notamment dans le cadre d’une copropriété, permettre la résiliation d’un bail commercial en cas de carence d’un copropriétaire bailleur.

Comme le rappelle la Cour dans l’énoncé de sa solution, cet élargissement fut opéré par la jurisprudence ayant reconnu au syndicat des copropriétaires (Civ. 3e14 nov. 1985, n° 84-15.577), puis aux copropriétaires eux-mêmes (Civ. 3ejanv. 1991, n° 89-10.959), le droit d’exercer à l’encontre d’un locataire l’action oblique en lieu et place d’un autre copropriétaire, bailleur, à la condition au demeurant indispensable de démontrer la carence de ce dernier (Civ. 3e12 juil. 2018, n° 17-20.680). Dans ce cas, la jurisprudence exige du demandeur, afin de justifier son intérêt à agir, qu’il démontre la violation du règlement de copropriété et le préjudice qui en résulte pour les autres copropriétaires (Civ. 3e22 juin 2005, n° 04-12.540), lesquels seront alors en droit, si cette double preuve est rapportée, d’obtenir la résiliation du bail et l’expulsion du preneur. 

La violation du règlement de copropriété est le plus souvent établie par la méconnaissance de sa clause proscrivant toute atteinte à la tranquillité des copropriétaires et le préjudice réparé est généralement caractérisé par une dégradation des parties communes ou par un trouble de jouissance (v. Civ. 3e19 nov. 2015, n° 14-18.752).

Il est enfin à noter que l’intérêt à agir du copropriétaire exerçant l’action oblique est, dans ce cadre, apprécié avec souplesse au regard des conditions posées par l’article 1341-1 puisque le locataire peut parfaitement être à jour de ses loyers et que la carence du copropriétaire bailleur n’entraîne pas son appauvrissement. L’inertie de ce dernier, incapable de faire respecter le règlement de copropriété par son preneur, et le préjudice en conséquence causé à un autre copropriétaire suffisent à ce que l’action de ce dernier, sur le fondement de l’action oblique, en résiliation du bail et en expulsion du preneur, soit jugée bien fondée (v. dans le même sens, pour une action engagée par un syndicat de copropriétaires, Civ. 3e, 19 nov. 2015, préc.).

Est oblique ce qui n’est pas droit ; pourtant, l’action oblique permet parfois de rétablir le droit.

Références :

■ Civ. 3e, 14 nov. 1985, n° 84-15.577 P

■ Civ. 3e, 22 mars 2000, n° 98-13.345 P: D. 2001. 345, obs. J.-R. Bouyeure, obs. C. Atias ; RDI 2000. 248, obs. C. Giverdon

■ Civ. 3e, 12 juill. 2018, n° 17-20.680

■ Civ. 3e, janv. 1991, n° 89-10.959RDI 1991. 248, obs. P. Capoulade et C. Giverdon ; RTD civ. 1992. 138, obs. P.-Y. Gautier

■ Civ. 3e, 22 juin 2005, n° 04-12.540AJDI 2005. 914

■ Civ. 3e, 19 nov. 2015, n° 14-18.752AJDI 2016. 117

 

Auteur :Merryl Hervieu


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