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Résolution judiciaire du contrat : l’inexécution du débiteur peut ne pas être fautive
La résolution judiciaire peut être prononcée même si l’inexécution du contrat n’est pas liée à la faute du débiteur mais trouve sa source dans un événement extérieur au champ contractuel.
Com. 18 janv.2023, n° 21-16.812 P
C’est un arrêt important que vient de rendre, sur le fondement du droit nouveau, la chambre commerciale de la Cour de cassation en matière de résolution du contrat. Nul n’ignore que la grande majorité des pourvois formés devant la Cour de cassation portent encore sur le droit antérieur à la réforme (v. cpdt, à propos de l’art. 1171 C. civ. nouv., Com. 26 janv. 2022, n° 20-16.782). Précisant le contenu des nouvelles règles relatives à l’inexécution du contrat et, en particulier, aux conditions de sa résolution judiciaire, l’arrêt rapporté mérite donc toute notre attention.
Dans le contexte de la crise sanitaire liée à la pandémie du covid-19, un contrat avait été conclu en février 2020 entre un établissement d’hôtellerie-restauration et une société de traiteur, aux termes duquel la seconde devait fournir au premier des prestations de restauration durant la période d’un salon international, organisé du 9 au 13 mars 2020, réunissant les professionnels de l’immobilier. Le salon avait dû être reporté, puis annulé par les organisateurs, à raison des mesures sanitaires prévues par la loi du 23 mars 2020. En juin 2020, l’exploitant de l’hôtel-restaurant, qui avait versé 150 000 euros d’acompte, avait mis en demeure son cocontractant de lui restituer cette somme. Soutenant que le contrat n'était pas résilié en ce qu’il pourrait être exécuté ultérieurement, le prestataire avait refusé la restitution de l’acompte. En cause d’appel, la demande de restitution et celle en résolution du contrat formée par l’exploitant fut rejetée au motif que, même totale et d’une gravité suffisante, l’inexécution du contrat par le prestataire ne lui était pas imputable, puisqu’elle trouvait sa cause dans l’annulation du salon, donc dans un événement extérieur au champ contractuel, de sorte que cette inexécution ne pouvait être considérée comme fautive. La demande de résolution du contrat pour inexécution ne pouvait donc être accueillie. L’établissement hôtelier s’est pourvu en cassation, soutenant que l’absence de faute du débiteur, de même que le motif de son inexécution, notamment celui lié au fait du tiers ou à la force majeure, sont indifférents, l’article 1229 du Code civil ne distinguant pas suivant que l’inexécution est ou non fautive ni selon la cause de l’empêchement d’exécuter le contrat.
Le pourvoi est accueilli par la Haute juridiction, qui censure les juges du fond au visa des articles 1217, 1227 et 1229 nouveaux du Code civil. Elle affirme que résulte de leur combinaison la règle selon laquelle « la résolution peut, en toute hypothèse, être demandée en justice et met fin au contrat ». Elle précise que « (l)orsque les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par l’exécution complète du contrat résolu, les parties doivent restituer l’intégralité de ce qu’elles se sont procuré l’une à l’autre ».
Susceptible d’être demandée « en toute hypothèse », la résolution du contrat était en l’espèce justifiée par l’inexécution, même non fautive, du contrat par le prestataire. La faute n’est donc pas, sur le fondement de l’article 1224 nouveau, une condition de la résolution judiciaire du contrat. Partant, c’est également le critère de l’imputabilité de l’inexécution qui se trouve évincé du nouveau régime applicable à la résolution judiciaire, dissipant les doutes ayant saisi la doctrine à la lecture des dispositions de l’ordonnance du 10 février 2016 (v. Rép. civ., v° Résolution, par N. Hage-Chahine, nos 166 s. ; F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil. Les obligations, 13e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2022, n° 816). L’essentiel étant de remédier à l’atteinte portée à « l’efficacité attendue du contrat » (M. Latina et G. Chantepie, Le nouveau droit des obligations. Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, 2e éd., Dalloz, 2018, n° 662), l’existence d’une faute imputable au débiteur, exigée par la jurisprudence antérieure, n’a plus à être recherchée.
Notons qu’ainsi, la porte jusqu’alors fermée par les juges à la force majeure invoquée par les restaurateurs (Civ. 3e, 30 juin 2022, nos 21-20.127, 21-20.190 et 21-19.889 ; sur la portée de cette jurisprudence, v. L. Leveneur, CCC, n° 8-9, août 2022. Comm. 129) paraît ici s’entrouvrir. La notion apparaît d’ailleurs en filigrane dans l’énoncé du moyen du pourvoi, procédant au rappel du fait de force majeure à l’origine de l’inexécution du débiteur, soit l’annulation du salon en raison du covid-19.
Il est vrai que l’article 1218 du Code civil aurait pu fonder, à premières vues, la demande en résolution (de plein droit) du contrat formé par le demandeur au pourvoi. En vérité, ce dernier ne pouvait valablement exciper de la force majeure, son obligation de somme d’argent n’étant pas impossible à exécuter ; seul le débiteur de la prestation de restauration se trouvait, par un cas de force majeure, dans l’impossibilité d’exécuter ses obligations. Cela étant, tout en fondant la thèse de son pourvoi sur la seule question de la résolution judiciaire, le demandeur parvient, grâce à l’interprétation particulièrement souple de l’article 1227 par la chambre commerciale, au même résultat que celui auquel aurait conduit la sanction de la force majeure, soit la restitution intégrale de l’acompte.
Reste que la voie ici empruntée par la chambre commerciale n’emportera pas nécessairement l’adhésion de la première chambre civile, notamment en raison de sa proximité avec la force majeure. En effet, non seulement le critère d’une faute imputable au débiteur est écarté, mais « l’effet réflexe » de la force majeure se trouve ici déployé. Le créancier est en l’espèce dispensé de payer le débiteur empêché d’exécuter sa prestation par un fait de force majeure dont, indirectement, il profite pour sortir du contrat. La confusion entre les sources de l’inexécution (fait du débiteur ; fait de force majeure) pourrait compromettre la pérennité de la solution ici rendue. C’est d’ailleurs pourquoi d’aucuns avancent depuis longtemps (L. Thibierge, Le contrat face à l'imprévu, Economica, 2011) l’idée que la caducité (le cas échéant accompagnée de restitutions) serait une sanction de la force majeure plus adaptée, afin de ne point confondre résolution pour inexécution et caducité à raison d’un événement extérieur.
Références :
■ Com. 26 janv. 2022, n° 20-16.782 P : D. 2022. 539, note S. Tisseyre ; ibid. 725, obs. N. Ferrier ; ibid. 1419, chron. S. Barbot, C. Bellino, C. de Cabarrus et S. Kass-Danno ; ibid. 2255, obs. Centre de droit économique et du développement Yves Serra (EA n° 4216) ; RTD civ. 2022. 124, obs. H. Barbier.
■ Civ. 3e, 30 juin 2022, nos 21-20.127 B, 21-20.190 B et 21-19.889 : D. 2022. 1445, note D. Houtcieff ; ibid. 1398, point de vue S. Tisseyre ; AJDI 2022. 605, obs. J.-P. Blatter ; ibid. 874, chron. J.-P. Blatter ; JT 2022, n° 255, p. 11, obs. X. Delpech ; RTD civ. 2022. 912, obs. P.-Y. Gautier ; RTD com. 2022. 435, étude F. Kendérian.
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