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Droit des obligations
Résolution par voie de notification : nouveau cas de dispense de la mise en demeure du débiteur
Par un arrêt de principe rendu le 18 octobre 2023, la chambre commerciale ajoute une exception à celle prévue par la loi en cas de résolution par notification, puisqu’elle affirme qu’en ce cas, la mise en demeure n’a pas à être délivrée lorsqu’il résulte des circonstances qu’elle est vaine.
Com. 18 oct. 2023, n° 20-21.579
En application des articles 1224 et 1226 du Code civil, le créancier peut, à ses risques et périls, en cas d'inexécution suffisamment grave, résoudre le contrat par voie de notification. Toutefois, avant de procéder à cette résolution, le créancier est généralement tenu de mettre en demeure le débiteur défaillant. Ce n’est qu’en cas d’urgence que la loi l’autorise à s’en abstenir. Par la décision rapportée, promise au très sélectif Rapport annuel de la Cour de cassation, la chambre commerciale consacre une autre exception, tenant à l’inutilité de la mise en demeure.
En l’espèce, une société spécialisée dans la taille et le façonnage du calcaire et du marbre s’est vue notifiée la résolution du contrat qui la liait depuis plusieurs années à une société de maintenance de machines et d’équipements mécaniques. Insatisfaite d’une prestation que cette dernière avait effectuée sur une scie comptant comme l'un de ses équipements majeurs, la société victime de la rupture avait indiqué qu’en dépit de son acception du devis sur la maintenance de cet outil, les différentes interventions ultérieures effectuées par son prestataire pour le réparer ne lui semblaient pas concluantes. Les relations entre les parties s’étaient alors progressivement dégradées, principalement du fait du comportement du dirigeant de la société propriétaire de la scie. Par lettre du 22 mars 2017, la société de maintenance a ainsi indiqué à sa cocontractante qu'en raison du comportement de son dirigeant, elle n'entendait plus poursuivre sa prestation. Elle se plaignait, en effet, d’une attitude particulièrement déplacée ayant conduit à des propos insultants et des comportements inappropriés de la part du dirigeant de cette société. Après avoir, en conséquence de tels agissements, résilié unilatéralement le contrat, la société de maintenance a assigné sa cocontractante en paiement de diverses factures. Pour s’opposer à leur règlement, celle-ci lui a opposé qu’elle aurait dû être mise en demeure avant de se voir notifier la résolution du contrat. Balayant l’argument, la cour d’appel la condamne au paiement des prestations effectuées, retenant qu’en tout état de cause, l’attitude « inacceptable » de son dirigeant avait privé la société de maintenance de la possibilité de poursuivre son intervention. Celle-ci pouvait donc se dispenser de la mise en demeure en principe requise en cas de résolution du contrat par notification. La société victime de la résolution se pourvoit alors en cassation, au moyen que la rupture du contrat, d’une part, n’était justifiée par aucun manquement grave à ses obligations contractuelles et, d’autre part, qu’elle n'avait été précédée d'aucune mise en demeure pour lui permettre de mettre un terme aux manquements allégués.
La Cour de cassation devait donc répondre à la question de savoir si le comportement du dirigeant de la société victime de la rupture du contrat justifiait sa résolution unilatérale par le prestataire sans mise en demeure préalable. Sur le double fondement des articles 1224 et 1226 du Code civil, la chambre commerciale souscrit à l’analyse des juges du fond ayant considéré que le comportement du dirigeant de société, caractérisé par des propos insultants et une attitude inappropriée, était d’une gravité telle qu’il avait rendu impossible la poursuite des relations contractuelles. La cour d’appel a en effet estimé que si l'agacement de ce dirigeant de voir son outil professionnel hors de fonctionnement pouvait être compris, cette situation ne pouvait toutefois justifier son attitude, volontairement qualifiée d’« inacceptable ». Elle a ajouté que ce comportement fautif ne permettait plus de poursuivre l’exécution du contrat dans des conditions raisonnables et justifiait le retrait des équipes de l'entreprise, empêchées dans leur exécution contractuelle. Elle en a déduit que, « dans ce contexte d'extrême pression et de rupture relationnelle », la société de maintenance n'était définitivement plus en mesure de poursuivre son intervention. Ainsi, dans ce contexte très particulier, la mise en demeure préalable était vaine. La société de maintenance était donc en droit de résoudre unilatéralement le contrat sans mise en demeure préalable.
■ Principe : l’exigence d’une mise en demeure – L’article 1224 du Code civil prévoit que la résolution peut résulter, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur. L’article 1226 du même code précise en ce sens que le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification (Dans le prolongement de l’arrêt Tocqueveille, v. Civ. 1re, 13 oct. 1998, n° 96-21.485 P, D.1999.197, note C. Jamin). Toutefois, en application de ce même texte, la résolution du contrat doit être précédée d’une mise en demeure adressée au débiteur défaillant, lui enjoignant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable. La mise en demeure constitue une formalité préalable permettant de prévenir le débiteur d’une éventuelle résolution du contrat et de lui donner la possibilité de remédier à ses manquements.
En principe, à moins que l’urgence de la situation l’exige, la résolution ne peut donc pas être immédiate (Com. 1er juin 2022, n° 20-21.551), et le respect d’un délai de préavis peut parfois même être exigé (Com. 14 nov. 2018, n° 17-23.135).
Ainsi la liberté conférée au créancier de résoudre le contrat par voie de notification est-elle en principe tempérée par l’obligation mise à sa charge de mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable. En outre, il est requis que la mise en demeure mentionne expressément qu'à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat. En effet, ce n’est qu’à défaut d’exécution de la mise en demeure que le créancier est en droit de notifier la rupture du contrat à son débiteur.
■ Exceptions au principe : de l’urgence à l’inutilité d’une mise en demeure – L’exception en l’espèce consacrée vise une situation exceptionnelle où la mise en demeure n’a pas à être délivrée parce qu’« il résulte des circonstances qu’elle est vaine ». Pourtant, le texte de l’article 1226 ne prévoit qu’un seul cas pour se dispenser d’une telle mise en demeure : l’urgence de la situation. Le fondement légal n’envisage donc pas le cas précis de l’espèce où la mise en demeure serait seulement inutile. La chambre commerciale fait ici le choix de rajouter ce cas de dispense de la mise en demeure. L’inutilité de la mise en demeure vient ainsi s’ajouter à l’urgence pour libérer l’auteur de la résiliation de son obligation de mettre en demeure le débiteur défaillant. On ne peut toutefois s’empêcher d’observer que cette nouvelle exception aurait pu être rattachée à celle légalement consacrée – l’urgence. Cette dérogation supplémentaire vient alors renforcer la souplesse et la célérité recherchées, depuis la réforme de 2016, par le législateur dans le mécanisme de la résolution unilatérale, la Haute cour admettant que dans certaines situations extrêmes, la mise en demeure ne remplirait plus sa fonction. Afin qu’il reste exceptionnel, ce nouveau cas de dispense repose sur deux critères cumulatifs : le haut degré de gravité du comportement du débiteur, expliquant la référence à l’article 1224 ; l’effet de l’extrême gravité de ce comportement sur l’exécution du contrat, qui doit être rendue impossible pour le créancier. À ces deux conditions, l’auteur de la rupture peut être dispensé de mettre en demeure son cocontractant. Les circonstances de cette affaire permettent toutefois d’insister sur le caractère exceptionnel de cette levée de la mise en demeure : loin de constituer la règle, elle ne constitue qu’une exception qui, à ce titre, et aussi parce qu’elle va au-delà du texte, devra être interprétée strictement. La méticulosité du contrôle qui sera opéré par la Cour peut donc d’ores et déjà être auguré. Il n’en reste pas moins que cette nouvelle liberté conférée au créancier ne peut être que soulignée, conférant à l’arrêt rapporté la valeur d’un grand arrêt que signe la publication maximale qui lui est promise.
Références :
■ Civ. 1re, 13 oct. 1998, n° 96-21.485 : P, D. 1999. 197, note C. Jamin ; ibid. 115, obs. P. Delebecque ; RDSS 2000. 378, obs. G. Mémeteau et M. Harichaux ; RTD civ. 1999. 394, obs. J. Mestre ; ibid. 506, obs. J. Raynard
■ Com. 1er juin 2022, n° 20-21.551
■ Com. 14 nov. 2018, n° 17-23.135 : D. 2018. 2229
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