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Droit bancaire - droit du crédit
Responsabilité bancaire en cas de « fraude au président » : un régime en demi-teinte
L’exclusivité d’application du régime spécial de responsabilité des prestataires de services de paiement ne concerne que les opérations de paiement non autorisées, ou mal exécutées. Dans le cas distinct d’une opération frauduleuse mais régulièrement autorisée, l’action en responsabilité engagée contre la banque, fondée sur un manquement à son obligation de vigilance, repose sur le droit commun de la responsabilité contractuelle. Recherchée sur ce fondement, la responsabilité bancaire ne sera pas pour autant aisément engagée. L’anomalie intellectuelle n’équivalant pas à une anomalie matérielle, l’opération de paiement consécutive à une fraude au président ne recèle pas d’anomalie apparente justifiant d’obliger la banque, au titre de son devoir de vigilance, à vérifier la validité de cette opération auprès du dirigeant social de l’entreprise cliente.
Com. 19 nov. 2025, n° 24-19.776
La secrétaire comptable d’une société, habilitée par convention à réaliser des virements internationaux sans limite de montant, transmet à la banque de cette société douze ordres de virement d’un montant de 922 894, 48 euros sur un compte ouvert en Hongrie. Ces ordres sont émis à la suite d’un courriel d’un interlocuteur se faisant passer pour le président de la société et faisant état d’une opération financière devant rester confidentielle. Victime d’une « fraude au président », la société assigne alors la banque en remboursement et en paiement de dommages et intérêts. La cour d’appel confirme le jugement du tribunal de commerce ayant fait droit à sa demande. Pour échapper à sa responsabilité, la banque forme un pourvoi fondé sur l’impossibilité d’engager sa responsabilité bancaire sur le fondement du droit commun de la responsabilité contractuelle, comme les juges du fond en auraient à tort décidé. Dans cette perspective, la banque juge nécessaire de rendre transposable à l’opération de paiement litigieuse, fût-elle autorisée, le régime spécial des prestataires de services de paiement (issu des articles L. 133-1 et suivants du Code monétaire et financier, et en particulier des articles L. 133-18 et L. 133-19), exclusivement applicable, en principe, en présence d’une opération non autorisée, ou mal exécutée (v. déjà, à propos de phishing, Com. 1er juin 2023, nos 21-19.289 et 21-21.831). Par un premier moyen, la banque défend donc l’extension du champ d’application de ce régime spécial, exclusif de la responsabilité de droit commun, aux ordres litigieux émis par fraude d’un tiers, l’origine frauduleuse de cette opération lui faisant perdre sa qualification d’opération autorisée. Dans un second moyen, elle rappelle que la responsabilité bancaire demeure conditionnée par l’existence d’une anomalie apparente affectant l’ordre de virement irrégulier, faute de quoi la banque ne peut être tenue pour responsable de ne pas avoir vérifié sa régularité auprès du dirigeant de l’entreprise cliente, alors que cette vérification n’était pas contractuellement prévue, la personne mandatée pour transmettre cet ordre étant la comptable de l’entreprise.
Le premier moyen pose ainsi la question du domaine d’application des dispositions, exclusives de toutes autres, du Code monétaire et financier en matière de responsabilité du prestataire de services de paiement. On se souvient du caractère exclusif, encore récemment affirmé, de ces dispositions lorsque la responsabilité de la banque est recherchée à la suite d’une opération de paiement non autorisée ou mal exécutée (Com. 15 janv. 2025, n° 23-15.437 et n° 23-13.579). C’est cette jurisprudence qu’invoque le pourvoi pour la rendre transposable au cas de l’espèce d’une opération de paiement certes autorisée, mais réalisée en suite d’une fraude au président : la source frauduleuse de l’ordre émis devrait conduire à disqualifier l’opération de paiement (autorisée) pour la soumettre au régime des opérations non autorisées, exclusif de tout autre régime de responsabilité concurrent.
La Cour de cassation s’oppose à cette entreprise de disqualification : en cas de fraude au président, l’ordre de paiement est donné, conformément aux critères d’autorisation, dans un cadre sécurisé et formellement respecté (émission par un utilisateur habilité, conservation des dispositifs d’authentification, respect des procédures d’accès : art. L. 133-3, L. 133-6 et L. 133-7 CMF), de sorte que la fraude réalisée laisse inchangée la qualification d’opération de paiement autorisée (v. déjà, Com. 2 oct. 2024, n° 23-13.282). Contrairement à ce que soutenait la demanderesse au pourvoi, le fait que l’ordre de virer les fonds ait une origine frauduleuse ne suffit donc à disqualifier cette opération objectivement autorisée pour l’intégrer dans le champ des opérations de paiements non autorisées, excluant le recours au droit commun. Ce régime spécial de responsabilité bancaire est réservé aux cas où le protocole d’autorisation lui-même a été déjoué, et non à ceux où la volonté de la personne ayant légitimement émis les ordres a été trompée. La Cour refuse donc d’étendre le domaine du régime spécial de responsabilité bancaire, réservé aux opérations non autorisées, aux opérations autorisées, fussent-elles nées d’une escroquerie, dont relève la fraude au président. Ce refus d’extension repose sur la distinction entre la validité juridique de l’ordre de paiement (respect des procédures d’autorisation) et la cause factuelle de son émission (fraude). Il a pour conséquence immédiate l’éviction du régime propre aux opérations de paiement non autorisées. La responsabilité de la banque est alors replacée sur le terrain de la responsabilité contractuelle de droit commun, sur la base du contrat de compte et par le prisme de l’obligation de vigilance du banquier (C. civ., art. 1231-1 ; pt n°5).
Le second moyen pose la question des critères de la faute de la banque qui, par manque de vigilance, exécute des ordres de paiement dans des conditions permettant de suspecter une fraude au président. L’équilibre recherché entre obligation de vigilance des banques et obligation de non-immixtion dans les affaires du client conduit à cantonner l’obligation du banquier d’alerter son client au cas d’anomalies apparentes, soit celles « aisément décelables par un professionnel normalement diligent » (pt n°8). Si une erreur matérielle évidente constitue bien une anomalie apparente, il n’en va pas de même de l’anomalie « intellectuelle » ou « psychologique », liée aux manœuvres déployées en l’espèce par l’escroc pour tromper la salariée mandatée pour émettre les ordres. Refusant d’assimiler les anomalies intellectuelles aux anomalies matérielles, la Cour restreint ainsi la portée du devoir de vigilance bancaire, circonscrit aux seules anormalités objectives et immédiatement perceptibles, abstraction faite du contexte et du soupçon entourant l’opération. Seule la caractérisation de telles anomalies est à même de faire peser sur la banque un devoir de vérification et d’investigation complémentaire à son devoir d’alerte, notamment auprès du dirigeant de l’entreprise cliente (Com. 2 oct. 2024, n° 23-13.282). En l’espèce, la seule répétition des virements litigieux n’est pas jugée révélatrice d’une anomalie apparente, dès lors que cette récurrence n'était pas inhabituelle de la part de la cliente. La Cour adopte ainsi une conception encore plus étroite de l’anormalité bancaire, qui suppose d’établir la matérialité d’une anomalie objectivement décelable au regard des caractéristiques de l’opération, mais également des habitudes du titulaire du compte. En l’absence d’anomalie apparente, le devoir de vérifier la régularité des ordres auprès du dirigeant social, mis à la charge de la banque par la cour d’appel, doit être écarté. Les juges du fond avaient en effet estimé que la répétition des virements aurait dû conduire la banque à s’assurer directement auprès du représentant légal de l’entreprise cliente de la régularité de ces opérations suspectes. Or ce seul indice (récurrence des cirements) ne permet pas de caractériser une véritable anomalie justifiant d’obliger le banquier à de plus amples vérifications auprès du dirigeant de la société concernée.
Références :
■ Com. 1er juin 2023, nos 21-19.289 et 21-21.831 : D. 2023. 1116 ; RCJPP 2024, n° 01, p. 49, chron. S. Piédelièvre et O. Salati
■ Com. 15 janv. 2025, n° 23-15.437 et n° 23-13.579 : D. 2025. 148 ; ibid. 196, point de vue P. Storrer ; RTD com. 2025. 173, obs. D. Legeais
■ Com. 2 oct. 2024, n° 23-13.282 : DAE, 25 nov.2024, note Merryl Hervieu ; D. 2025. 33, note J. Lasserre Capdeville ; RCJPP 2025, n° 01, p. 49, chron. O. Salati et S. Piédelièvre ; RTD com. 2024. 980, obs. D. Legeais
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