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[ 10 septembre 2024 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Responsabilité civile des parents séparés du fait de leurs enfants mineurs : revirement de jurisprudence

Par un arrêt de revirement, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation consacre le principe nouveau selon lequel lorsque des parents séparés exercent conjointement l’autorité parentale, ils sont tous deux responsables des dommages causés par leur enfant mineur, même si celui-ci ne réside habituellement que chez l’un d’eux. 

Ass. Plén., 28 juin 2024, n° 22-84.760

Importante décision que celle rapportée qui, pour la première fois, admet le principe d’une responsabilité conjointe des parents séparés de l’enfant mineur ayant causé un dommage. Alors qu’auparavant, seul celui chez lequel l’enfant résidait habituellement était susceptible d’engager sa responsabilité, dorénavant, les deux parents seront tenus pour responsables du dommage causé par leur enfant.

Les parents d’un mineur ont divorcé, et la résidence habituelle de l’enfant a été fixée chez la mère. Après que ce dernier eut provoqué un incendie, le tribunal jugea, sur le fondement de la responsabilité du fait d’autrui, ses deux parents civilement responsables des dommages alors engendrés. Le père fit appel de ce jugement : selon lui, sa responsabilité ne pouvait être engagée dès lors que la résidence habituelle de son enfant n’avait pas été fixée chez lui. La cour d’appel lui donna raison, jugeant que seule la mère pouvait être déclarée civilement responsable puisque c’était chez elle que la résidence habituelle du mineur avait été fixée. La mère, le mineur et des parties civiles ont formé des pourvois en cassation, fondés sur une commune critique de la place réservée à la condition de résidence de l’enfant, selon eux érigée à tort par les juges du fond en critère déterminant d’engagement de la responsabilité parentale, alors que le principe de coparentalité conduit à interpréter autrement l’article 1242 du Code civil et à considérer que le père et la mère, en tant qu’ils exercent conjointement l’autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs. La question posée à l’Assemblée plénière était alors la suivante : lorsque des parents séparés exercent conjointement l’autorité parentale, celui chez qui la résidence habituelle de l’enfant a été fixée doit-il être le seul responsable des dommages causés par lui ? À cette question, l’Assemblée plénière répond par la négative, ce qui marque un revirement de sa jurisprudence. Le pourvoi renouvelait en effet la question récurrente, en cas de séparation des parents, de l’application et de l’interprétation du critère de cohabitation prévu à l’article 1242, alinéa 4 du Code civil, selon lequel « Le père et la mère, en tant qu'ils exercent l'autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux ». Au regard de la loi, pour que des parents soient tenus civilement responsables des actes de leur enfant mineur, deux conditions cumulatives doivent donc être remplies : - les parents doivent exercer l’autorité parentale ; - l’enfant mineur doit habiter chez ses parents. 

Mais comment comprendre le « habitant avec eux » requis par le texte lorsque les parents sont séparés ? En l’absence de précision légale, la Cour de cassation appliquait cette condition de cohabitation littéralement et considérait que celle-ci n’était remplie qu’à l’égard du parent chez lequel la justice avait fixé la résidence habituelle de l’enfant (Civ. 2e, 20 janv. 2000, n° 98-14.479). Dès lors, seul ce parent pouvait être condamné à réparer les dommages causés par son enfant mineur. Désormais, la Cour de cassation considère que les deux critères prévus au Code civil pour engager la responsabilité des parents (exercice de l’autorité parentale et cohabitation avec l’enfant) sont consubstantiels : le fait qu’un enfant cohabite avec ses parents est vue comme la conséquence de l’exercice conjoint de l’autorité parentale. Partant, la cohabitation n’est plus une condition autonome d’engagement de la responsabilité parentale. Ce qui importe, c’est l’exercice conjoint de l’autorité parentale. Il en résulte que lorsque les parents exercent conjointement l’autorité parentale, la condition de cohabitation est considérée comme remplie même lorsqu’ils sont séparés et que l’enfant ne réside plus que chez l’un d’entre eux. Dans ce cas, les deux parents demeurent responsables des dommages causés par l’enfant mineur. Cette cohabitation ne cesse que si une décision administrative ou judiciaire confie l’enfant à un tiers. L’enfant résidant chez cette tierce personne, la responsabilité des parents de l’enfant mineur ne pourra pas être engagée, même si ces derniers continuent d’exercer leur autorité parentale.

À plusieurs titres, ce revirement est bienvenu. L’on sait que l’évolution de la responsabilité pour faute des parents vers leur responsabilité de plein droit a entrainé une nouvelle approche de la condition de cohabitation, appréciée non plus de manière matérielle et effective, mais abstraite et juridique. La cohabitation renvoyait à la résidence habituelle de l’enfant, en sorte que la responsabilité de plein droit prévue par l’article 1242, alinéa 4, du Code civil, incombait au seul parent exerçant l’autorité parentale chez lequel la résidence habituelle de l’enfant avait été fixée, sauf si cet enfant faisait l’objet d’un placement ordonné judiciairement. En revanche, l’autre parent ne pouvait jamais engager sa responsabilité quand bien même, bénéficiaire d’un droit de visite et d’hébergement, il exercerait conjointement l’autorité parentale et que le fait dommageable de l’enfant aurait eu lieu pendant cet exercice (Crim. 6 nov. 2012, n° 11-86.857), Si ce critère tiré de la résidence habituelle de l’enfant, qui a facilité l’identification du parent responsable et parachevé un régime de responsabilité objective, se trouve parfaitement adapté lorsque les parents vivent ensemble, il apparaît inopportun en cas de séparation. L’ayant pourtant adopté, la jurisprudence précédant le revirement rapporté fut alors l’objet de vives critiques. Il est vrai qu’elle présentait, à plusieurs égards, des inconvénients de taille. Tout d’abord, elle créait, au mépris du principe de la coparentalité (CIDE, art.18-1 ; L. n° 2002-305, 4 mars 2002), une inégalité flagrante entre les parents en matière de responsabilité civile. En effet, le parent bénéficiaire de la résidence habituelle était responsable de plein droit des dommages causés par son enfant, y compris lorsque le fait dommageable était dépourvu de tout caractère fautif et intervenait alors qu’il n’était pas en capacité d’exercer une quelconque surveillance sur le mineur. « Voici en effet un parent qui, titulaire de l’exercice de l’autorité parentale, a ainsi la charge d’organiser et de contrôler le mode de vie et l’éducation du mineur et qui cependant, échappe en toutes circonstances, y compris lorsque le dommage est causé par l’enfant placé sous sa surveillance, à sa responsabilité. L’autre parent, celui chez lequel l’enfant réside habituellement, est en revanche toujours responsable, alors même que l’exercice du droit de visite lui interdit tout contrôle de l’enfant » (S. Rouxel, Droit de la famille, n° 2, févr. 2023, comm. 35). Au-delà du terrain familial, la motivation de la solution s’effondrait également sur celui du droit des obligations : comment admettre une responsabilité différente des parents en fonction du lieu d’habitation juridique de l’enfant alors que la responsabilité des parents du fait de leur enfant se veut objective ? Dans la continuité de l’abandon de la faute du parent puis de celle de l’enfant, la responsabilité de plein droit des parents devait logiquement passer outre le critère de la cohabitation, entendue comme le lieu de résidence de l’enfant. « Que l’enfant réside chez l’un ou chez l’autre ne change rien à l’affaire puisque, désormais, cette responsabilité ne vise pas à sanctionner des parents défaillants mais, différemment, à trouver un parent et un assureur- qui répond d’un enfant dangereux » (V. Mazeaud, Gaz. Pal., 19 sept. 2023, n° 29). En outre, la solution était de nature à limiter l’indemnisation des victimes dont l’amélioration avait pourtant été recherchée par l’adoption d’une responsabilité parentale de plein droit. En effet, on ne pouvait que constater que la conception restrictive de la cohabitation jusqu’à présent adoptée par la jurisprudence, qui avait pour conséquence de cantonner la responsabilité de plein droit au seul parent chez qui la résidence habituelle est fixée, venait contrarier cette logique indemnitaire en privant la victime d’un second répondant naturel. Il est encore à noter qu’un souci d’harmonisation avec la politique pénale, orientée vers la volonté de responsabiliser les deux parents du mineur délinquant, qu’ils soient séparés ou non, qu’ils vivent avec leur enfant ou non, justifie de rendre les parents coresponsables, sur le plan civil, des dommages causés par leurs enfants mineurs (Avis de l’avocat général, pp.15-16.). Enfin, le critère de la résidence habituelle posait de récurrentes difficultés d’application dans les situations, de plus en plus fréquentes, où ce lieu de résidence s’avère difficile à déterminer parce que les enfants résident alternativement chez l’un et l’autre de leurs parents, ou parce que ces derniers conviennent du lieu de résidence des enfants sans saisir le juge. 

Au vu de l’ensemble de ces éléments, la Cour de cassation abandonne cette jurisprudence conditionnant la responsabilité des parents séparés du fait de leur enfant mineur à la circonstance que l’enfant a sa résidence chez l’un d’eux. Il en résulte une mutation notable de la condition de cohabitation, qui s’évince désormais de l'exercice conjoint de l'autorité parentale. En effet, par une interprétation passablement contra legem, l’Assemblée plénière admet que la condition de cohabitation est satisfaite dès lors que le parent exerce l’autorité parentale. La cohabitation des parents avec l’enfant ne cesse donc que dans le cas d’une décision administrative ou judiciaire de confier l’enfant à un tiers. Cette approche permet de consacrer la primauté de la condition relative à l’exercice de l’autorité parentale en tirant les conséquences, dans le domaine de la responsabilité civile, du principe de coparentalité et du mouvement d’objectivation de la responsabilité parentale. Au cas d’espèce, ceci revient donc à reconnaître la responsabilité conjointe du père malgré la fixation de la résidence habituelle de l’enfant au domicile de la mère. 

Si pour toutes les raisons qui précèdent, ce revirement doit être salué, on ne peut toutefois manquer d’observer qu’il conduit au résultat injuste de faire peser une responsabilité de plein droit sur des parents qui ne bénéficieraient d’aucun droit d’hébergement et ne seraient donc pas, concrètement, en mesure d’exercer les prérogatives de l’autorité parentale. De ce point de vue, l’alternative consistant à maintenir la condition de cohabitation prévue par le texte mais en considérant que celle-ci peut résulter non plus de la seule résidence habituelle mais également de l’existence d’un droit de visite et d’hébergement eût sans doute été préférable (Avis de l’avocat général, pp. 26-27). Cette extension de la responsabilité de plein droit aux parents titulaires d’un droit de visite et d’hébergement n’est pas toutefois pas la voie qu’a choisie l’Assemblée plénière de la Cour de cassation.

Références :

■ Civ. 2e, 20 janv. 2000, n° 98-14.479 : D. 2000. 469, obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 2000. 340, obs. P. Jourdain

■ Crim. 6 nov. 2012, n° 11-86.857 D. 2012. 2658, obs. I. Gallmeister ; AJ fam. 2012. 613, obs. F. Chénedé ; RTD civ. 2013. 106, obs. J. Hauser

 

Auteur :Merryl Hervieu


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