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[ 12 avril 2016 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Responsabilité civile : l’incidence de la faute de la victime sur l’étendue de son indemnisation

Mots-clefs : Responsabilité civile, Dommage, Principe de réparation intégrale, Limite, Faute de la victime, Faute simple, Exonération partielle, Force majeure, Exonération totale

En matière délictuelle, le transporteur peut être partiellement exonéré par la faute simple de la victime.

Descendu en gare à l’issue de son voyage, un voyageur, après être remonté dans le train pour récupérer un bagage oublié, s’était à cette occasion blessé car le train avait déjà redémarré. Il avait assigné la SNCF en responsabilité pour obtenir réparation de son préjudice corporel. Reconnaissant la faute du voyageur, qui avait effectué une manœuvre « interdite et dangereuse », la cour d’appel fit cependant droit à sa demande indemnitaire, jugeant la SNCF entièrement responsable de l'accident dans la mesure où la faute du voyageur ne présentait pas les caractères de la force majeure puisqu’elle n’était pas imprévisible, la SNCF étant régulièrement confrontée à ce type de comportement, ni irrésistible puisque des moyens auraient pu être mis en place pour permettre d'empêcher les passagers de remonter dans le train dans ces conditions. 

La SNCF forma un pourvoi en cassation contre cette décision, reprochant aux juges du fond de l’avoir condamnée à la réparation intégrale du préjudice subi par la victime alors même que celle-ci avait commis une faute qui se révélait être la cause exclusive de l’accident et qui présentait les caractères de la force majeure. 

La Cour de cassation rejette le pourvoi au motif que la faute commise par la victime, ni imprévisible ni irrésistible, ne revêtait pas les caractères de la force majeure seule de nature à exonérer totalement la SNCF de sa responsabilité, mais censure les juges du fond en ce qu’ils n’ont pas tiré les conséquences de la faute d’imprudence commise par la victime sur l’étendue de son droit à réparation.

La décision rapportée présente l’intérêt de rappeler, en droit de la responsabilité civile, l’influence de la faute de la victime sur le montant de la réparation due par l’auteur du dommage. Comme en témoigne la solution ici adoptée, cette influence varie selon la nature de la faute commise. Constitutive d’un cas de force majeure, la faute justifie d’exonérer entièrement l’auteur du dommage, mais même simple, donc sans revêtir les caractères de la force majeure, la faute de la victime a une incidence sur l’étendue de son droit à réparation, en l’espèce ignorée par les juges du fond, ce qui justifie la cassation partielle de leur décision. En effet, la faute simple de la victime emporte l’exonération partielle de la responsabilité du défendeur et donc, concrètement, une diminution du montant de sa créance en réparation du dommage. Autrement dit, dans une telle hypothèse, sans exonérer totalement le responsable, le comportement fautif de la victime a pour effet de rendre inapplicable le principe de la réparation intégrale du dommage. 

En l’espèce, alors même que les juges du fond avaient bien caractérisé la faute de la victime, ils avaient omis d’en tirer les conséquences en acceptant d’indemniser intégralement son dommage. Précisons néanmoins qu’une telle exonération partielle n’est possible que dans l’hypothèse, celle de l’espèce, où le défendeur est assigné sur le fondement de l’article 1384, alinéa 1er. En effet, en matière de responsabilité contractuelle, dont la singularité du régime est pourtant parfois discutée depuis que certaines lois l’ont aligné sur celui de la responsabilité délictuelle (L. n° 85-677 du 5 juill. 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation ; L. n° 98-389 du 19 mai 1998 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux ; L. n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé), la Cour de cassation juge différemment et sans demi-mesure que puisque le transporteur, sur le fondement de l’article 1147 du Code civil, est tenu d’une obligation de sécurité qualifiée de résultat, il ne peut s’exonérer partiellement de sa responsabilité ; il ne peut l’être qu’intégralement, dans le cas où la faute de la victime revêt les caractères de la force majeure (Civ. 1re, 13 mars 2008, n° 05-11.800). En l’espèce, puisque la faute de la victime ne relevait pas d’un cas de force majeure, la Cour partage le refus des juges du fond d’exonérer intégralement la société de transport. En effet, pour exonérer totalement le responsable du dommage, la faute de la victime doit présenter les caractères d’imprévisibilité et d'irrésistibilité propres à la force majeure, laquelle conduit à rompre le lien causal entre le fait fautif et le préjudice, justifiant ainsi l’intégralité de l’exonération. Or en l’espèce, la faute de la victime ne présentait pas les caractères de la force majeure, les juges ayant d’une part considéré que la faute de la victime n’était pas imprévisible, la SNCF étant régulièrement confrontée à ce type de comportement de la part des voyageurs, ni même irrésistible, des moyens étant disponibles à l’effet d'empêcher les passagers de remonter dans le train dans ces conditions, comme la présence d'agents sur le quai, ce qui n'était pas le cas le jour de l'accident, ou la mise en place de systèmes différents de fermeture des portes. 

Civ. 2e, 3 mars 2016, n° 15-12.217

Référence

■ Civ. 1re, 13 mars 2008, n° 05-11.800 P ; D. 2008. 1582, note G. Viney ; ibid. 2009. 972, obs. H. Kenfack ; RTD com. 2008. 844, obs. B. Bouloc.

 

 

Auteur :M. H.


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