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Droit de la responsabilité civile
Responsabilité contractuelle du garagiste en cas de réparation partielle ou contraire aux règles de l’art : les précisions de la Cour de cassation
Dans deux arrêts rendus le 25 juin 2025, la première chambre civile de la Cour de cassation précise le régime de responsabilité contractuelle applicable au garagiste réparateur qui, à la demande de son client, effectue une prestation incomplète ou non conforme aux règles de l’art.
Civ. 1re, 25 juin 2025, n° 23-22.515 et n° 24-10.875
Parmi les derniers arrêts rendus en droit de la responsabilité contractuelle du garagiste (v. réc., sur la certification de kilométrage, Civ. 1re 26 févr. 2025, n° 23-22.201 ; sur l’incertitude de l’origine d’une panne, Civ. 1re, 16 oct. 2024, n° 23-11.712 ; sur l’état de saleté du véhicule lors du contrôle technique, Com. 4 sept. 2024, n° 23-13.917), ceux ici rapportés méritent certainement d’être relevés. Ils clarifient en effet le régime de responsabilité encourue par le professionnel qui, à la demande de son client, procède à une intervention partielle sur le véhicule ou effectue une réparation contraire aux règles de l’art. Dans ces deux hypothèses, les précisions apportées par la Cour de cassation révèlent une sévérité à l’égard du garagiste réparateur qui doit en appeler à sa vigilance, en particulier en cas d’intervention contraire aux règles de l’art.
La première affaire concerne l’hypothèse d’une réparation incomplète du véhicule. Au cas d’espèce, une personne physique acquiert une voiture auprès d’une société spécialisée, à laquelle l’acheteur confie l’entretien du véhicule. Cinq ans après l’achat, une panne rend nécessaire l’intervention d’un garagiste réparateur, qui conseille au propriétaire de remplacer le moteur. Par souci d’économie, ce dernier choisit de limiter la réparation à la seule partie haute du moteur, ce à quoi le garagiste se conforme. Quelques mois plus tard, le propriétaire du véhicule partiellement réparé rencontre de nouvelles difficultés, concernant cette fois la partie basse du moteur, soit celle sur laquelle le garagiste n’est pas intervenu. Le professionnel refuse donc d’en assumer la responsabilité, précisant qu’il a procédé à une réparation partielle uniquement pour répondre aux souhaits de son client. Une expertise judiciaire est ordonnée en justice, précédant une assignation en responsabilité délivrée par le client contre son garagiste afin d’obtenir la réparation du dommage subi. En cause d’appel, le professionnel est condamné à indemniser partiellement son client pour manquement à son obligation d’information et de conseil, faute pour lui d’avoir rapporté la preuve qu’il avait prévenu son cocontractant de l’insuffisance de la réparation demandée par ce dernier pour assurer le bon fonctionnement du véhicule. Les deux parties à l’instance d’appel se pourvoient en cassation, le client contestant la limitation de la condamnation de son cocontractant, tandis que le garagiste en conteste le principe même. Selon le ce dernier, le propriétaire du véhicule, après s’être renseigné auprès d’un expert technique et de son avocat sur l’opportunité d’une réparation à moindre coût, s’était opposé au changement de l’entier moteur en toute connaissance de cause, par refus de payer une réparation intégrale. Cette argumentation fondée sur le consentement éclairé du client à une réparation partielle ne convainc pas la première chambre civile. Convoquant le droit de la preuve, elle précise que si l’existence d’un accord entre les parties sur le principe d’une réparation incomplète est possible, encore faut-il que le garagiste démontre qu’il a averti son client des risques d’une intervention partielle et de l’absence de garantie quant à la cessation des dysfonctionnements observés. En l’espèce, faute pour le garagiste de s’être préconstitué une preuve de la bonne exécution de son obligation d’information, il ne peut échapper à l’engagement de sa responsabilité. On comprend l’enjeu probatoire pour le garagiste, depuis longtemps soumis à une présomption de responsabilité. Dans cette optique, le pourvoi incident critiquait la limitation de la responsabilité du professionnel eu égard au caractère partiel de son intervention, ce qui avait conduit les juges du fond au refus de constater une « relation directe entre sa prestation et la défectuosité du moteur » (pt n° 11). Il est vrai que cette position est contraire à une jurisprudence désormais établie, présumant tant l’existence de la faute du garagiste que son lien causal avec les désordres persistant après son intervention (v. Civ. 1re, 11 mai 2022, n° 20-19.732 et n° 20-18.867 ; Civ. 1re, 16 oct. 2024, n° 23-11.712). Cependant, il serait excessif de faire supporter au garagiste une responsabilité aussi lourde lorsque ce dernier n’a fait que répondre aux demandes de son client. D’où l’importante précision apportée par la première chambre civile, soulignant qu’« il incombe, le cas échéant, au garagiste d’apporter la preuve que son intervention a été limitée à la demande de son client et qu’il l’a averti du caractère incomplet de cette intervention et de ses conséquences » (pt n° 12). Là-encore, l’enjeu de la preuve incombant au professionnel pour renverser sa présomption de responsabilité apparaît avec force. On comprend son intérêt à s’aménager, dès le stade précontractuel, des éléments de preuve efficaces, comme par exemple la rédaction d’un écrit, signé des deux parties, attestant de la délivrance d’une information complète sur le caractère partiel de la réparation à venir et sur les risques de cette intervention incomplète. Les garagistes réparateurs consentant à effectuer une prestation incomplète doivent donc tenir compte de cette double exigence probatoire. En pratique, ils gardent néanmoins la possibilité de refuser d’exécuter la prestation demandée s’ils craignent de ne pas pouvoir se ménager d’éléments de preuve suffisants.
Cette possibilité de refuser la réparation devient une obligation dans le cas d’une réparation non plus seulement incomplète mais contraire aux règles de l’art, comme en témoigne la seconde affaire (n° 24-10.875). Celle-ci débute par la vente d’une voiture d’occasion qui, peu de temps après sa livraison et malgré sa révision, tombe en panne. Son propriétaire la confie à un garagiste réparateur, qui procède au remplacement de plusieurs pièces. Puis le professionnel informe son client de la nécessité de commander une pièce supplémentaire. La pièce commandée tardant à être livrée, le propriétaire demande sans attendre la restitution de son véhicule, qui connaît ensuite une nouvelle panne. Le client assigne son garagiste en responsabilité. Accueillant sa demande, la cour d’appel limite toutefois la condamnation du professionnel en considération du comportement fautif de son client l’ayant empêché d’exécuter correctement sa prestation. Cette décision est sèchement censurée par la Cour qui précise, d’une part, que « caractérise une faute l’exécution par le garagiste d’une réparation non conforme aux règles de l’art, même à la demande de son client » (pt n° 5) et ajoute, d’autre part, que « si une faute du client peut exonérer partiellement le garagiste de sa responsabilité, ne saurait caractériser une telle faute le fait pour le client de solliciter une réparation provisoire qui ne serait pas conforme aux règles de l’art » (pt n° 9). Cette double assertion signe la rigueur du régime de responsabilité auquel la Cour entend soumettre le garagiste en cas de réparation contraire aux règles de l’art. À la différence de la réparation incomplète, ce type de réparation constitue une faute autonome, ce qui explique qu’il est interdit au professionnel d’y procéder, la Cour de cassation s’opposant à toute forme de contractualisation de réparations contraires à ce qui est attendu in abstracto d’un garagiste réparateur. C’est pourquoi le recours au droit de la preuve devient ici inutile : aucun moyen n’est mis à la disposition du garagiste pour lui permettre de prouver, en cas de réparation contraire aux règles de l’art, son irresponsabilité. En l’espèce, la faute du garagiste est caractérisée du seul fait d’une réparation temporaire, même effectuée à la demande du client, cette demande n’étant pas fautive. Ce qui explique la double cassation prononcée, puisque la faute du garagiste avait été écartée par les juges du fond motif pris de la volonté du client d’une réparation non conforme aux règles de l’art. La portée de cette seconde solution est sans appel : le professionnel doit tout bonnement refuser de réaliser une intervention non conforme aux règles de l’art.
Complémentaires, les enseignements de ces deux décisions convergent vers une politique de rigueur à l’égard du garagiste réparateur. Déjà exprimée à propos de la réparation incomplète, la sévérité de la Haute juridiction est accrue en cas de réparation non conforme aux règles de l’art, qui ne doit jamais être acceptée. Elle se tempère en cas d’intervention seulement incomplète, qui peut faire l’objet d’un accord entre les parties à la condition d’une information précise du client concerné sur ses limites et sur ses conséquences. La discussion se déplace alors sur le terrain probatoire. La tâche n’en reste pas moins délicate pour le professionnel qui doit s’aménager en amont du contrat des éléments aptes à prouver cette information.
Références :
■ Civ. 1re 26 févr. 2025, n° 23-22.201 : D. 2025. 446 ; RTD com. 2025. 491, obs. B. Bouloc
■ Civ. 1re, 16 oct. 2024, n° 23-11.712 : D. 2024. 1822 ; RTD com. 2024. 992, obs. B. Bouloc
■ Com. 4 sept. 2024, n° 23-13.917
■ Civ. 1re, 11 mai 2022, n° 20-19.732 et n° 20-18.867 : D. 2022. 1789, note P. Gaiardo ; ibid. 2023. 34, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; RTD civ. 2022. 631, obs. P. Jourdain
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