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[ 16 décembre 2024 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Responsabilité contractuelle : réalité prétorienne d’un faux concept

L’inexécution du contrat d’entreprise ne suffit pas à engager la responsabilité de l’entrepreneur. En écho au régime de la responsabilité extracontractuelle, l’engagement de sa responsabilité requiert la preuve du préjudice subi par le maître de l’ouvrage, en lien de causalité direct avec le manquement contractuel qui lui est imputé.

Civ.3e, 7 nov. 2024, n° 22-14.088

Fausse responsabilité contractuelle - Au soutien d’une véritable responsabilité contractuelle, d’aucuns considèrent que le régime de l’inexécution du contrat suppose l’existence d’un lien de causalité direct entre le préjudice et le fait dommageable : le Code civil l’indiquerait, sans employer l’expression (C. civ., art. 1231-4) et la doctrine majoritaire tient pour acquis ce que la jurisprudence exige habituellement, soit la démonstration d’un lien de causalité certain et direct entre le dommage et la défaillance contractuelle. Répandue au point d’être acquise, cette approche est pourtant erronée. Elle découle de la fabrique d’une « responsabilité contractuelle », taillée sur le modèle de la responsabilité délictuelle au point d’en emprunter le régime. Défendue par la doctrine dès la fin du XIXe siècle, puis reconnue par les juges, on la retrouve également dans la loi : bien que le Code civil ne prévoit que l’octroi de dommages-intérêts, dus par le débiteur en cas d’inexécution contractuelle, dans un chapitre consacré aux effets du contrat, l’article 1217 dispose toutefois que la partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut demander « réparation des conséquences de l’inexécution ». Terminologie propre au concept de responsabilité civile, l’admission de la « réparation du préjudice » résultant de l’inexécution du contrat masque pourtant la vraie nature des dommages et intérêts contractuels qui constituent, nonobstant le vocable employé, un simple mode d’exécution du contrat, imparfait car différent de celui qui était prévu initialement (par équivalent), et souvent différé, mais mode d’exécution tout de même, ou mode de paiement puisque juridiquement, le paiement vise l’exécution d’une obligation quel qu’en soit l’objet. La prétendue responsabilité contractuelle n’est donc que le paiement forcé d’une obligation préexistante. Autrement dit, les dommages et intérêts alloués au créancier de la dette inexécutée ne sont que l’exécution par équivalent d’une obligation née du contrat. Or traditionnellement, la finalité de la responsabilité civile est tout autre : elle a pour principal objectif d’assurer la réparation des dommages de la victime d’un délit, celle-ci devenant du fait générateur de responsabilité créancière d’une obligation nouvelle (créance d’indemnisation). En matière contractuelle, c’est très différemment l’exécution du pacte générateur de droits qui est recherchée. La source de l’obligation réside dans le contrat lui-même, et l’action en justice du créancier insatisfait tend en réalité à la réalisation contentieuse du contrat. Devant le juge, point ne serait alors besoin d’établir la preuve d’un fait générateur d’une obligation nouvelle, ni d’un préjudice ni même encore, en toute logique, d’un lien de causalité : l’inexécution, l’impayé, suffit en théorie à fonder l’action, sans qu’il soit besoin d’établir la faute du débiteur, l’existence d’un préjudice distinct de l’inexécution, ou l’existence d’un lien de causalité. 

Transposition à la matière contractuelle des mécanismes de la responsabilité délictuelle - Si l’analyse précédente, fondée sur la distinction entre obligation contractuelle et obligation indemnitaire, trouve parfois écho en jurisprudence (v. not. Civ.1re, 10 mai 2005, n° 02-15.910 ; Civ.1re, 14 oct. 2010, n° 09-69.928 : l’inexécution de l’obligation justifie l’octroi de dommages et intérêts même si aucun préjudice n’est résulté de l’inexécution), majoritairement, les juges statuant sur de véritables demandes d’indemnisation fondées sur l’inexécution du contrat subordonnent alors l’octroi de dommages et intérêts indemnitaires aux conditions classiques de la responsabilité. En témoigne la décision rapportée, par laquelle la troisième chambre civile de la Cour de cassation affirme que, pour obtenir la réparation d'un préjudice de jouissance causé par l’entrepreneur, le maître de l’ouvrage doit démontrer l’existence d’un lien de causalité direct et constant entre ce préjudice et la faute de l'auteur du dommage. Au cas d’espèce, un couple avait confié des travaux de construction de l'extension d'une maison à un entrepreneur. Se plaignant de différents désordres apparus avant et après la réception, les maîtres de l'ouvrage ont assigné l'entrepreneur en réparation de leur préjudice de jouissance, ce que la cour d’appel leur avait refusé pour la période postérieure au jugement de première instance, en exécution duquel les maîtres avaient reçu une somme leur permettant d’exécuter les travaux nécessaires à la remise en état du bien. Dès lors que cette somme, qui n’avait pas été contestée devant la juridiction du second degré, leur permettait de remédier à leur préjudice, aucun lien de causalité, confirme la Cour de cassation, ne pouvait être retenu entre les manquements contractuels de l'entrepreneur et le préjudice de jouissance subi par les maîtres de l'ouvrage pour la période considérée. Autrement dit, l’obligation de réparation ayant été exécutée par équivalent, les maîtres de l’ouvrage ne pouvaient plus à ce stade justifier de l’existence d’un préjudice en lien direct et constant avec l’inexécution, en sorte que leur demande d’indemnisation se voit définitivement rejetée. Or l’orthodoxie aurait voulu qu’en raison du seul manquement contractuel de l’entrepreneur, révélé par la présence de désordres au moment de la réception, des dommages et intérêts soient alloués aux maîtres de l’ouvrage, la réparation ne pouvant être au surplus subordonnée à l’exécution des réparations, ni à la justification d’un préjudice directement causé par la faute de l’entrepreneur (comp. Civ. 3e, 30 janv. 2002, n° 00-15.784).

Dont acte : la seule inexécution du contrat ne suffit pas : la réparation du préjudice requiert l’établissement d’un lien de causalité direct avec la défaillance contractuelle constatée. Conformément à ce que la Cour de cassation rappelle régulièrement, les dommages et intérêts contractuels ne peuvent être octroyés indépendamment des conditions nécessaires pour faire naître une obligation indemnitaire. Quoique faute civile et inexécution d’une obligation jouent en principe sur des registres distincts, cela ne les empêche en rien, en jurisprudence, de sonner ensemble (Pour une étude d’ensemble, v. Ph. Le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats – Régimes d’indemnisation, Dalloz Action, 2021/2022, n° 2131.21 et n° 3213-42 s.).

Références :

■ Civ.1re, 10 mai 2005, n° 02-15.910 D. 2005. 1505 ; RTD civ. 2005. 594, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 600, obs. P. Jourdain

■ Civ.1re, 14 oct. 2010, n° 09-69.928 : D. 2011. 472, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; RTD civ. 2010. 781, obs. B. Fages

■ Civ. 3e, 30 janv. 2002, n° 00-15.784 : D. 2002. 2288, note J.-L. Elhoueiss ; ibid. 888, obs. Y. Rouquet ; ibid. 2003. 458, obs. D. Mazeaud ; AJDI 2002. 599, obs. S. Beaugendre ; RTD civ. 2002. 321, obs. P.-Y. Gautier ; ibid. 816, obs. P. Jourdain

 

Auteur :Merryl Hervieu


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