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Droit administratif général
Responsabilité de la puissance publique et sécurité au travail
Mots-clefs : Faute inexcusable ; Sécurité au travail ; Responsabilité de la puissance publique, Préjudice, Indemnisation
Pour la première fois, le Conseil d’État admet que la faute inexcusable de l’employeur n’est pas un obstacle à la répartition du complément d’indemnisation entre les coauteurs du dommage.
Par deux arrêts du 9 novembre 2015, le Conseil d’État aligne sa jurisprudence relative à la responsabilité de la puissance publique sur celle de la chambre sociale de la Cour de cassation qui juge que l’employeur peut, même en cas de faute inexcusable, se retourner contre un tiers qui aurait contribué à la réalisation du dommage.
Deux litiges étaient soumis à l’appréciation du Conseil d’État.
Dans l’arrêt MAIF, un électricien employé par l’association Centre lyrique d’Auvergne avait été victime d’un accident du travail dans une salle mise à la disposition de cette association par la commune de Clermont-Ferrand. Le tribunal des affaires de sécurité sociale avait jugé que l’accident du travail dont l’électricien avait été victime résultait de la faute inexcusable de son employeur, au sens de l’article L. 452-1 du Code de sécurité sociale et avait condamné ce dernier à indemniser la victime. Selon la jurisprudence, le manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité de résultat à laquelle il est tenu envers son salarié, notamment en ce qui concerne les accidents du travail, a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsqu’il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver (Soc. 11 avr. 2002, n° 00-16.535. Cass., ass. Plén., 24 juin 2005, n° 03-30.038).
L’association du Centre lyrique d’Auvergne et son assureur avaient alors formé une requête tendant à ce que la commune de Clermont-Ferrand soit condamnée à indemniser le préjudice de la victime. Sans surprise, leur demande est rejetée par la cour administrative d’appel de Lyon qui applique la jurisprudence Société Souchon (CE 18 avr. 1984, n° 34967), selon laquelle le caractère inexcusable de la faute de l’employeur fait obstacle à la répartition du complément d’indemnisation entre les coauteurs du dommage. Les demandeurs se pourvoient en cassation.
Dans l’arrêt SAS constructions mécaniques de Normandie, des salariés d’une entreprise de construction navale avaient été victimes de maladies professionnelles liées à l’amiante. La société avait invoqué la carence des pouvoirs publics dans l’exercice de leur mission de prévention des risques professionnels jusqu’en 1996. L’entreprise voulait obtenir la condamnation de l’État à l’indemniser des préjudices qu’elle estimait avoir subis et la prise en charge des sommes qu’elle avait été condamnée à verser en raison de l’exposition de ses salariés à l’amiante. Sa demande est rejetée, ici aussi sur le fondement de la jurisprudence Société Souchon, entraînant son pourvoi en cassation.
C’est dans ce contexte que le Conseil d’État a été amené à réexaminer les conditions d’engagement de la responsabilité de la puissance publique. Un employeur condamné pour faute inexcusable par le juge judiciaire peut-il se retourner en garantie contre la personne publique dont la propre faute a concouru à la réalisation des dommages, afin qu’elle supporte le complément d’indemnisation du salarié prévu en cas de faute inexcusable par les articles L. 452-2 et L. 452-3 du Code de la sécurité sociale ?
Le Conseil d’État rappelle que la responsabilité de l’administration peut être engagée lorsque sa faute cause à une victime un préjudice direct et certain. Si la faute résulte à la fois de l’administration et d’un tiers, le tiers condamné par le juge judiciaire à réparer intégralement les dommages causés peut se retourner contre l’administration. La charge de la réparation du dommage sera alors répartie entre les coauteurs du dommage en tenant compte de la nature et de la gravité des fautes commises par chacun.
Le Conseil d’État juge ensuite que « lorsque la faute de l’administration et celle d’un tiers ont concouru à la réalisation d’un même dommage, le tiers co-auteur qui a été condamné par le juge judiciaire à indemniser la victime peut se retourner contre l’administration en invoquant la faute de cette dernière, y compris lorsqu’il a commis une faute inexcusable au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale ». En revanche, si l’employeur a délibérément commis une faute d’une particulière gravité, il ne peut pas se retourner contre l’administration, même en faisant valoir que celle-ci a commis une faute.
L’affaire MAIF est renvoyée devant la cour administrative d’appel de Lyon tandis que l’affaire Constructions mécaniques de Normandie est réglée au fond par l’assemblé du contentieux. Pour cette dernière affaire, le Conseil d’État fait référence au décret du 17 août 1977, premier texte protecteur à l’égard des travailleurs exposés à l’amiante, pour distinguer deux périodes de responsabilité.
S’agissant de la période antérieure à 1977, il juge qu’au regard des études épidémiologiques prouvant le risque de l’amiante dès 1955 et 1960, « la société requérante est fondée à soutenir qu’en s’abstenant de prendre, entre le milieu des années soixante, période à partir de laquelle son personnel a été exposé à l’amiante, et 1977, des mesures propres à éviter ou du moins limiter les dangers liés à une exposition à l’amiante, l’État a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ». Cette faute est partagée avec la société requérante qui, au regard de son domaine d’activité, « connaissait ou aurait dû connaître les dangers liés à l’utilisation de l’amiante » et « a commis une faute en s’abstenant de prendre des mesures de nature à protéger ses salariés ».
En revanche, pour la période postérieure à 1977, le Conseil d’État juge qu’en dépit de la réglementation visant à réduire l’exposition des salariés à l’amiante, « il résulte de l’instruction que certains salariés […] ont continué d’être exposés aux poussières d’amiante sans protection appropriée, qu’en particulier, plusieurs jugements du tribunal des affaires de sécurité sociale de la Manche mentionnent le caractère inadapté des systèmes de ventilation utilisés, rejetant l’air dans l’espace de travail, et l’absence d’équipement de protection individuelle ».
A ce titre, la société n’est pas fondée à invoquer la carence fautive de l’État et ne pourra pas mettre en cause sa responsabilité pour la période postérieure à 1977.
CE, ass., 9 nov. 2015, MAIF, n° 359548
CE, ass., 9 nov. 2015, SAS constructions mécaniques de Normandie, n° 342468
Références
■ Code du travail
■ Code de la sécurité sociale
■ Décret n° 77-949 du 17 août 1977 relatif aux mesures d’hygiène particulières applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l’action des poussières d’amiante (abrogé).
■ Décret n° 96-1133 du 24 décembre 1996 relatif à l’interdiction de l’amiante, pris en application du code du travail et du code de la consommation.
■ CE 18 avr. 1984, Sté Souchon, n° 34967, Lebon.
■ Soc. 11 avr. 2002, n° 00-16.535, D. 2002. 2215, note Y. Saint-Jours ; ibid. 2696, note X. Prétot ; Dr. soc. 2002. 676, obs. P. Chaumette ; RDSS 2002. 538, obs. P.-Y. Verkindt.
■ Cass., ass. plén., 24 juin 2005, n° 03-30.038, D. 2005. 2375, obs. A. Astaix, note Y. Saint-Jours ; Dr. soc. 2005. 1067, obs. X. Prétot ; RDSS 2005. 875, obs. P.-Y. Verkindt.
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