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[ 1 avril 2019 ] Imprimer

Procédure civile

Responsabilité de l’avocat à la Cour de cassation : les conditions de son engagement précisées

Manque à son obligation de diligence l’avocat au conseil qui ne forme pas dans les temps ni à titre conservatoire un pourvoi en cassation, mais n’engage pas sa responsabilité dès lors qu’aucun des griefs que le demandeur prévoyait de soumettre à la Cour de cassation n’aurait prospéré.

 

Une société exploitant des parcelles de vignes avait souscrit un contrat d'assurance couvrant notamment le risque de grêle, lequel faisait l'objet, chaque année, d'un avenant d'assolement qui définissait le risque assuré, à défaut duquel ce dernier demeurait défini par la déclaration d'assolement antérieure ; après que certaines parcelles exploitées eussent été endommagées par la grêle, au cours de l’année 2009, un litige relatif à l'indemnisation des dommages subis s'était élevé entre la société et son assureur, ce dernier ayant calculé les indemnités sur la base de la déclaration d'assolement déposée en 2008, alors que la société se prévalait de celle de 2009 qu'elle prétendait lui avoir adressée. Par un arrêt rendu le 31 mai 2013, une cour d'appel avait rejeté toutes les demandes de la société. Consultée par l'avocat de cette société sur les chances de succès d'un pourvoi, une société d’avocats au conseil avait accepté cette mission. Après avoir reçu une lettre du 29 juillet 2013 précisant que le client confirmait son accord pour engager une procédure devant la Cour de cassation et lui demandant de prendre directement contact avec lui, la société d’avocats avait écrit au représentant légal de la société souhaitant se pourvoir, le 31 juillet, que « sauf instructions contraires de votre part, j'attends que vous m'avisiez de la signification de l'arrêt pour introduire le pourvoi » ; par courriel du 9 août suivant adressé à l'avocat, le représentant social s’était inquiété, au vu de la lettre qu'il avait déclaré venir de recevoir, de ce que le pourvoi n'avait pas encore été introduit, alors que le délai de deux mois, pour ce faire, expirait le 10 août, un acte de signification en date du 10 juin ayant été joint audit courriel.

La société adressa à la Cour de cassation une requête en indemnisation, lui demandant de juger que la société d’avocats avait commis une faute en ne régularisant pas de pourvoi dans le délai requis et de la condamner, en conséquence, à lui payer une certaine somme en réparation du préjudice subi, notamment du fait de la perte de chance d'obtenir la cassation de l'arrêt du 31 mai 2013.

La Cour de cassation rejette la requête, au motif qu'aucun des griefs que la société soutenait avoir été empêchée de soumettre à la Cour de cassation, par la faute de la société d’avocats, n'aurait permis d'accueillir le pourvoi. 

Autrement dit, si la faute est établie, le préjudice allégué n’est pas caractérisé

S’agissant de la faute, la première chambre civile prend soin de rappeler qu’à l’instar d’un avocat à la cour, un avocat au Conseil d'État ou à la Cour de cassation est tenu d'une obligation de diligence et de prudence, en sorte qu’il doit se montrer « particulièrement attentif » au délai d'instruction du pourvoi en cassation, prévu à l'article 612 du Code de procédure civile, lequel est sanctionné par l'irrecevabilité du pourvoi ; ainsi, lorsqu'il est chargé de former un pourvoi, ou consulté sur ses chances de succès, doit-il non seulement s'enquérir de la date d'expiration du délai mais également former en temps utile cette voie de recours extraordinaire, à titre à tout le moins conservatoire ; or il résulte des pièces versées aux débats que la société d’avocats, qui avait accepté de donner son avis sur les chances de succès d'un pourvoi, avait reçu une lettre de l'avocat de la société datée du 29 juillet 2013 l'informant que cette dernière confirmait « son feu vert pour la procédure devant la Cour de cassation » et l'invitant à traiter directement de l'affaire avec elle ; qu'à défaut de réponse à sa lettre du surlendemain adressée au représentant légal de la société, la société d’avocats aurait dû prendre la précaution de former un pourvoi, le cas échéant à titre conservatoire ; en s'abstenant de le faire, celle-ci a donc commis une faute susceptible d'engager sa responsabilité.

La procédure devant la Cour de cassation débute par une déclaration de pourvoi faite par l’une des parties, laquelle doit être déposée dans les deux mois de la signification de la décision attaquée au greffe de la Cour de cassation par un avocat à la Cour de cassation (C pr. civ., art. 612). Les avocats à la Cour de cassation sont des officiers ministériels qui, après avoir exercé pendant plusieurs années la profession d’avocat à la Cour, se sont spécialisés dans la procédure en cassation. L’existence d’un barreau spécialisé comportant un nombre limité d’avocats se justifie par la nature particulière du contrôle exercé par la Cour de cassation sur les décisions qui lui sont déférées et par la spécificité de la technique de cassation.

Hors les cas où la notification de la décision susceptible de pourvoi incombe au greffe de la juridiction qui l’a rendue, le pourvoi en cassation n’est recevable que si la décision qui l’attaque a été préalablement signifiée (C pr. civ., art. 611-1). Instituée il y a vingt ans (décret n° 99-131 du 26 févr. 1999), cette exigence d’une signification préalable de la décision attaquée prive les avocats à la Cour de cassation de la possibilité, dans l’ignorance de la signification de la décision qu’ils attaquent, de déposer le pourvoi à titre conservatoire et les expose ainsi au risque de laisser s’écouler le délai de pourvoi (M-N. Jobard-Bachellier et X. Bachellier, La technique de cassation, Dalloz, p. 7). Ce n’était cependant pas, dans l’espèce rapportée, le cas, la décision ayant été signifiée par pièce jointe à un mail adressé à l’avocat chargé du dossier, lequel aurait pu et dû former, même à simple titre conservatoire, le pourvoi qui lui était demandé, dans le délai prévu.

S’agissant du préjudice, ce dernier ne peut, contrairement à la faute, être établi.

Selon la requête, deux moyens auraient pu être soutenus.

Le premier moyen, en trois branches, aurait reproché à l'arrêt de ne pas avoir accueilli sa demande d'indemnisation du préjudice causé par la grêle, calculée sur la base de la déclaration d'assolement de l'année 2009 ; en sa première branche, la société aurait soutenu un grief disciplinaire de dénaturation de l'article 10 du contrat d'assurance ; cependant, les parties étant en désaccord sur le sens et la portée de cet article, la Haute cour affirme que la cour d'appel a, par motifs propres et adoptés, procédé à une interprétation souveraine de ses termes ambigus, exclusive de toute dénaturation, de telle sorte que le grief n'aurait pas été susceptible de prospérer. En effet, la Cour de cassation ne se réserve la faculté d’intervenir que dans les cas où aura été dénaturé le sens clair et précis de la clause d’un contrat, l’ambiguïté des termes de la stipulation litigieuse excluant par là-même le sens et l’opportunité de son pouvoir de contrôle de la dénaturation (La technique de cassation, op. cit., p.73) ; en ses deuxième et troisième branches, la société aurait présenté deux griefs de violation de la loi, fondés sur l'alinéa 5 de l'article L. 112-2 du Code des assurances, d'une part, sur l'article L. 113-4 du même code, d'autre part ; cependant, ces griefs, non soutenus devant les juges du fond et ne résultant pas de l'arrêt attaqué, auraient été jugés irrecevables par les Hauts magistrats comme nouveaux et mélangés de droit et de fait et en toute hypothèse, considérés comme inopérants, la cour d'appel ayant constaté qu'à défaut d'avoir été accepté par l'assureur, l'avenant d'assolement de l'année 2009 lui était inopposable. Rappelons ici que la déclaration de pourvoi doit être complétée dans les cinq mois par un mémoire ampliatif, document dans lequel le demandeur au pourvoi formulera les critiques qu’il adresse à la décision attaquée sous la forme d’un « moyen de cassation » (La technique de cassation, op. cit., p. 8/9). Or ce dernier ne doit exposer que les éléments de droit et préalablement discutés au fond qui soutiennent la critique. Aussi bien, s’il est insusceptible d’exercer une influence sur la solution du litige de sorte qu’il n’est pas utile d’y répondre, l’absence de réponse des juges du fond n’entraînera pas pour autant la cassation, l’inopérance du moyen s’érigeant en obstacle au grief de défaut de réponse à conclusions. Pour les mêmes raisons, relatives tant à son irrecevabilité qu'à son inopérance, le second moyen, par lequel la demanderesse aurait reproché à l'arrêt, en ses deux branches, d'avoir rejeté sa demande au titre du trop-perçu de primes d'assurances, n’aurait pu être retenu, ce qui justifiait que la requête soit donc définitivement rejetée.

Civ. 1re, 20 févr. 2019, n°17-50.056

 

Auteur :Merryl Hervieu

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