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Droit européen et de l'Union européenne
Responsabilité de l’Union européenne : une constante difficile démonstration du comportement illégal
Mots-clefs : Responsabilité extracontractuelle de l’Union, préjudice, Violation suffisamment caractérisée, Mesures d’urgence, Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Liberté professionnelle et droit de travailler
L’engagement de la responsabilité extracontractuelle de l’Union est pleinement envisageable au regard de l’article 340, alinéa 2, TFUE. Les conditions, posées par la Cour de justice, sont cependant appréhendées strictement. C’est ainsi que la Grande chambre a jugé que la responsabilité de l’Union ne pouvait pas être retenue alors que la Commission avait en urgence interdit la pêche au thon rouge pour les pêcheurs français, tandis que les permis de pêche étaient toujours valides. En effet, pour la Cour, le requérant n’a pas démontré l’existence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, qui est l’une des trois conditions pour voir engagée la responsabilité de l’Union, que ce soit par rapport à la Charte des droits fondamentaux et aux principes de sécurité juridique et de confiance légitime.
L’engagement de la responsabilité extracontractuelle de l’Union repose sur trois conditions définies par la jurisprudence de la Cour de justice à partir de l’article 340, alinéa 2, TFUE (par ex. : CJUE 16 juill. 2009, Commission c/ Schneider electric). Le requérant doit démontrer l’illégalité du comportement, qui est constituée par :
– la violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers ;
– l’existence d’un préjudice ;
– et un lien de causalité.
Les conditions retenues sont les mêmes que celles qui s’appliquent à l’engagement de la responsabilité des États membres lorsque ces derniers violent le droit de l’Union (CJCE 4 juill. 2000, Bergaderm).
Cependant, dans l’hypothèse où l’Union est visée, la Cour se montre très stricte quant à l’appréciation des critères.
En l’espèce, les autorités françaises avaient délivré des permis de pêche concernant le thon rouge en Méditerranée pour l’année 2008, notamment à M. Giordano. Celui-ci s’est vu accorder un quota individuel, comme les autres pêcheurs, dont la validité courrait jusqu’au 30 juin. Le 12 juin 2008, la Commission a adopté des mesures d’urgence afin d’interdire, dès le 16 juin, la pêche au thon rouge afin de préserver les ressources halieutiques sur lesquelles il pesait une menace grave. Quinze jours de pêche ont été ainsi retirés aux pêcheurs. L’adoption de la décision a conduit M. Giordano à saisir le Tribunal de l’Union européenne d’un recours en indemnités. Ce Tribunal a rejeté la demande au motif que le préjudice n’était pas réel et certain, le requérant a, en conséquence, saisi la Cour d’un pourvoi.
La Cour de justice ne retient pas le même raisonnement que le Tribunal mais aboutit à la même solution ce qui démontre toute la difficulté de l’appréciation des critères au regard des faits.
La Cour revient sur l’appréciation du Tribunal quant à la condition du caractère du préjudice. Le Tribunal avait jugé qu’il n’était pas réel et certain étant donné qu’il n’y avait aucune certitude que le pêcheur parvienne à son quota. Pour la Cour, il y a une erreur de droit, le Tribunal ayant confondu l’existence du préjudice et son évaluation.
Cependant, la Cour ne se prononce pas sur ce point, examinant, tout d’abord, la question de l’illégalité du comportement. La Cour recherche si le comportement de la Commission est constitutif d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit conférant des droits au particulier. Plus précisément il s’agit de déterminer si les mesures d’urgence interdisant la pêche ont porté atteinte aux droits des particuliers issus de différentes dispositions.
Plusieurs éléments sont soulevés devant la Cour, celle-ci les écarte successivement, ne retenant pas l’illégalité du comportement.
Tout d’abord, la Cour retient que l’acte n’est pas illégal. En effet le règlement n°2371/2002 relatif aux ressources halieutiques offre la possibilité à la Commission d’adopter des mesures d’urgence en cas de menaces graves pesant sur ces ressources. La Commission n’a pas à attendre un éventuel dépassement des quotas alloués. Or, en l’espèce, des menaces graves pesaient.
Ensuite, la Cour écarte les violations liées à la Charte des droits fondamentaux, fondées sur les articles 15 et 17, protégeant respectivement la liberté professionnelle, le droit de travailler et le droit de propriété. La Cour précise que le quota attribué n’est pas un droit absolu, garantissant l’existence d’un droit de pêche jusqu’à épuisement de celui-ci. De plus, la mesure vise à protéger un objectif d’intérêt général, la préservation des ressources halieutiques ; elle n’est pas inappropriée au regard des menaces et de sa finalité. Les conditions, liées aux limites pouvant être apportées à des droits fondamentaux, au sens de l’article 52, paragraphe 1er, de la Charte, sont ainsi respectées.
Enfin la Cour écarte la violation des principes de sécurité juridique et de confiance légitime. Elle considère, en effet, que les professionnels du secteur sont en mesure de prévoir que ce type de mesures est susceptible d’être adopté. Dès lors le comportement illégal n’est, pour la Cour, pas prouvé, aboutissant au rejet du pourvoi. La responsabilité de l’Union ne peut en conséquence être engagée.
CJUE, Gde ch., 14 oct. 2014, Jean-François Giordano c/ Commission européenne, C-611/12P
Références
■ CJUE 16 juill. 2009, Commission c/ Schneider electric, C-440/07P.
■ CJCE 4 juill. 2000, Bergaderm, C-352/98P.
■ Article 340 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
(ex-article 288 TCE)
« La responsabilité contractuelle de l'Union est régie par la loi applicable au contrat en cause.
En matière de responsabilité non contractuelle, l'Union doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l'exercice de leurs fonctions.
Par dérogation au deuxième alinéa, la Banque centrale européenne doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par elle-même ou par ses agents dans l'exercice de leurs fonctions.
La responsabilité personnelle des agents envers l'Union est réglée dans les dispositions fixant leur statut ou le régime qui leur est applicable. »
■ Charte des droits fondamentaux
Article 15 - Liberté professionnelle et droit de travailler
« 1. Toute personne a le droit de travailler et d'exercer une profession librement choisie ou acceptée.
2. Tout citoyen ou toute citoyenne de l'Union a la liberté de chercher un emploi, de travailler, de s'établir ou de fournir des services dans tout État membre.
3. Les ressortissants des pays tiers qui sont autorisés à travailler sur le territoire des États membres ont droit à des conditions de travail équivalentes à celles dont bénéficient les citoyens ou citoyennes de l'Union. »
Article 17 - Droit de propriété
« 1. Toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu'elle a acquis légalement, de les utiliser, d'en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. L'usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l'intérêt général.
2. La propriété intellectuelle est protégée. »
Article 52 - Portée des droits garantis
« 1. Toute limitation de l'exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union ou au besoin de protection des droits et libertés d'autrui.
2. Les droits reconnus par la présente Charte qui trouvent leur fondement dans les traités communautaires ou dans le traité sur l'Union européenne s'exercent dans les conditions et limites définies par ceux-ci.
3. Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l'Union accorde une protection plus étendue. »
■ Règlement (CE) n° 2371/2002 du Conseil du 20 décembre 2002 relatif à la conservation et à l'exploitation durable des ressources halieutiques dans le cadre de la politique commune de la pêche.
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