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[ 28 octobre 2016 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Responsabilité de plein droit de l’agent de voyages : les ayants-droit ne peuvent l’engager

Mots-clefs : Responsabilité, Agent de voyage, Acheteur du voyage, Ayants-cause, Nature de la responsabilité, Obligation de conseil, Perte de chance

La responsabilité légale de plein droit de l’agent de voyages ne peut être engagée que par l'acheteur du voyage, de sorte que ses ayants droit ne peuvent demander l’indemnisation de leur préjudice personnel que sur le fondement de la responsabilité délictuelle consécutive à un manquement contractuel du voyagiste, lequel peut résulter, malgré les compétences du voyageur, de l’inexécution de son obligation de conseil.

Une société avait organisé un voyage à l’étranger pour un groupe d'amis et leurs familles. Au cours d’une excursion, l’un d’entre eux, médecin, avait perdu la vie par la survenance d'un œdème pulmonaire. Sa veuve et ses filles avaient assigné l’agence de voyages ainsi que son assureur en indemnisation de leurs préjudices personnels. La cour d’appel retint que la société avait commis une faute délictuelle à leur égard, constituée d’un manquement à son obligation de conseil, ayant entraîné une perte de chance de 25 % d’éviter le décès du défunt. Ses ayants-droit formèrent un pourvoi en cassation, s’appuyant sur l'article L. 211-16 du Code du tourisme, fondement légal de la responsabilité de plein droit de l’agent de voyages lorsqu’il manque à son obligation contractuelle de sécurité, laquelle est de résultat.

Par un moyen connexe, l’agence de voyages et son assureur contestaient le manquement par la première à son obligation de conseil, le défunt n’en étant pas créancier en raison de sa profession (médecin), qui devait a priori le rendre conscient des dangers dus au mal aigu des montagnes. Le premier moyen est jugé infondé au motif que l'article L. 211-16 du Code du tourisme instaure une responsabilité légale de plein droit au seul profit de l'acheteur du voyage, en sorte que les ayants droit de celui-ci ne peuvent agir contre l'agence de voyages, pour leur préjudice personnel, que sur le fondement de la responsabilité délictuelle consécutive à un manquement contractuel, exigeant la preuve d'une faute du voyagiste en l’occurrence caractérisée par les juges du fond, ayant retenu un manquement de l'agence de voyages à son obligation de conseil ayant contribué au décès de leur client. Le second moyen est également jugé infondé, le défunt, même médecin, ayant dû, comme tout autre voyageur, être prévenu par le voyagiste du danger que présentaient ce voyage et cette excursion en haute altitude.

 

L'agence de voyages agit en qualité de simple mandataire lorsqu'elle se borne à acheter des billets d'avion au nom et pour le compte de ses clients (V. en ce sens, Civ. 1re, 28 mars 1995, n° 92-21.016 ), et elle intervient encore en simple mandataire lorsqu'elle est chargée par ses clients de conclure un contrat de jouissance d'immeuble à temps partagé, comme d'ailleurs une plate-forme de réservation en ligne pour ce qui est de la réservation d'une chambre d'hôtel (C. tourisme, V. art. L. 311-5-1). Dans ce contexte, l'agence de voyages, mandataire, ne répond que de ses fautes personnelles. Sa responsabilité ne peut donc être engagée dans le cas où, par exemple, l'avion a du retard ou si l'hôtelier ne fournit pas la prestation attendue, la preuve de sa faute ne pouvant pas, dans cette hypothèse, être rapportée (Civ. 1re, 30 janv. 2007, n° 05-20.050). Pour le dire autrement, l’agent de voyages n’est alors tenu que d’une obligation de moyens. Mais ce dernier peut également intervenir, lorsqu’il propose des expéditions dont il assure l'organisation, en qualité d’entrepreneur. En ce sens, l'article L. 211-12 du Code du tourisme les qualifient de « vendeurs de voyage » et l’article 211-16 du Code du tourisme, qu’avaient tenté d’exploiter les ayants-cause du défunt, intègre expressément ce type de prestations dans la catégorie des « prestations de service ». Quoi qu'il en soit, ce même article pose, ce qui est ici l'essentiel, que l'agent de voyage est dans ce cadre « responsable de plein droit à l'égard de l'acheteur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat (...), que ces obligations soient à exécuter par [lui-même] ou par d'autres prestataires de services, sans préjudice de son droit de recours contre ceux-ci”, bien qu’il puisse s'exonérer “en apportant la preuve que l'inexécution ou la mauvaise exécution du contrat est imputable soit à l'acheteur, soit au fait, imprévisible et insurmontable, d'un tiers étranger à la fourniture des prestations prévues au contrat, soit à un cas de force majeure » (V.par ex. Civ. 1re, 8 déc. 1998, n°96-17.811).

En l’espèce, la société attaquée était bien, et elle ne le contestait pas, le vendeur et l'organisateur du voyage. Cependant, l’acheteur de voyages est, comme le rappelle ici la Cour par une application fidèle de la disposition précitée, le seul à pouvoir engager cette responsabilité de plein droit, en sorte que ses ayants-droit, lorsqu’ils souhaitent engager la responsabilité du voyagiste, sont dans l’obligation, en application du fameux arrêt d’assemblée plénière du 6 octobre 2006 (n° 05-13.255), de rapporter la preuve, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, d’un manquement contractuel du débiteur. Le manquement allégué et retenu par les juges consistait en un défaut d'avertissement sur les dangers liés à un voyage en altitude et à une excursion exposant les voyageurs au mal aigu des montagnes. Malgré la conscience des dangers que la profession du défunt induisait, il devait, comme tout autre voyageur, être prévenu par le voyagiste du danger que présentait ce voyage et cette excursion en haute altitude en sorte que ce manquement avait contribué, pour partie, au décès du défunt en lui faisant perdre une chance d’y échapper.

Autrement dit, la faute exigée du voyagiste a bien été rapportée par les ayants-droit de la victime mais rappelons le, la perte de chance, définie comme la disparition certaine de la probabilité d’un événement favorable, est réparée par l’octroi d’une indemnité qui ne peut être égale à l’avantage dont l’obtention était espérée. Elle est nécessairement moindre puisque n’est pas réparée la privation d’un bienfait mais seulement la perte d’une chance d’en bénéficier. « L’indemnisation de la perte de chance correspond ainsi à une fraction des différents préjudices subis qui auraient pu être évités si la chance avait été courue. Ce dommage spécifique correspond à un pourcentage du dommage final ». Aussi bien, si la perte d’une chance ne prive pas ses victimes de leur droit à indemnisation, elle a néanmoins une incidence sur le montant des dommages-intérêts qui leur seront alloués. 

Civ.1re, 28 sept.2016, 15-17.033 et 15.17.516

Références

■ Civ. 1re, 28 mars 1995, n°92-21.016 D. 1995. 434, note Y. Dagorne-Labbe

■ Civ. 1re, 30 janv. 2007, n°05-20.050 D. 2007. 2374, note Y. Dagorne-Labbe

■ Civ. 1re, 8 déc. 1998, n°96-17.811

■ Ass. Plén., 6 oct. 2006, n° 05-13.255 D. 2006. 2825, obs. I. Gallmeister, note G. Viney ; ibid. 2007. 1827, obs. L. Rozès ; ibid. 2897, obs. P. Brun et P. Jourdain ; ibid. 2966, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; AJDI 2007. 295, obs. N. Damas ; RDI 2006. 504, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2007. 61, obs. P. Deumier ; ibid. 115, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 123, obs. P. Jourdain

 

Auteur :M. H.

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