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Droit des obligations
Responsabilité de plein droit des constructeurs : l’indétermination de la cause du dommage n’empêche pas le jeu de la présomption d’imputabilité
Pour prouver l'imputabilité des désordres, il suffit au maître de l'ouvrage d'établir qu'il ne peut être exclu, au regard de la nature ou du siège des désordres, que ceux-ci soient en lien avec la sphère d'intervention du constructeur recherché. Lorsque l'imputabilité est établie, la présomption de responsabilité décennale ne peut être écartée au motif que la cause des désordres demeure incertaine ou inconnue, le constructeur ne pouvant alors s'exonérer qu'en démontrant qu'ils sont dus à une cause étrangère.
Civ. 3e, 11 sept. 2025, n° 24-10.139 B
Un maître d'ouvrage avait confié un entrepreneur des travaux d'électricité pour la construction d'une maison d'habitation. La réception des travaux est intervenue le 31 juillet 2014. Un contrat d'assurance multirisque habitation a par ailleurs été souscrit par le maître de l'ouvrage. La maison a été détruite par un incendie le 9 décembre 2014. Après expertise judiciaire, le maître de l'ouvrage et son assureur ont assigné l'entrepreneur et son assureur en indemnisation de leurs préjudices sur le fondement de la responsabilité décennale des constructeurs. En appel, la cour refusa d’engager la responsabilité de l'entrepreneur aux motifs que, s’il était certain que le sinistre avait pris naissance dans le tableau électrique, il n'était pas démontré avec la même certitude que ce sinistre était en lien avec un vice de construction ou une non-conformité de ce tableau électrique, l'expert n'ayant pu faire de constatations techniques suffisantes au vu de l'état de dégradation du tableau, et ayant en outre écarté des hypothèses telles que l'acte de malveillance ou le défaut d'alimentation électrique externe. Elle en a déduit que, l'imputabilité des dommages à l'entrepreneur n'étant pas établie, la responsabilité décennale de ce dernier n'était pas engagée. Devant la Cour de cassation, le maître de l'ouvrage et son assureur soutenaient au contraire que « l’électricien est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, du sinistre ayant une origine électrique, quand bien même sa cause exacte serait indéterminée, sauf si ce constructeur démontre que les dommages proviennent d’une cause étrangère ; qu’en infirmant le jugement ayant retenu la responsabilité de plein droit de l’électricien, après avoir constaté qu’il était certain que le sinistre avait pris naissance dans le tableau électrique et par des motifs impropres à établir l’existence d’une cause étrangère exonératoire, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l’article 1792 du code civil. »
Le moyen de cassation posait donc la question des circonstances susceptibles d'exclure le jeu de la présomption de responsabilité du constructeur. L'indétermination de la cause exacte des dommages permet-elle d'exclure la responsabilité décennale du constructeur, en raison de l'absence de preuve d'un lien d'imputabilité entre ces dommages et un vice ou une non-conformité de son ouvrage ? Y répondant par la négative, la troisième chambre civile casse la décision des juges du fond au visa de l’article 1792 du Code civil, qui dispose que tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination, à moins que le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère. Elle rappelle que la présomption de responsabilité des constructeurs induite par ce texte est déterminée par la gravité des désordres, indépendamment de leur cause (Civ. 3e, 1er déc. 1999, n° 98-13.252). Autrement dit, le critère déterminant réside dans l’ampleur du dommage subi par le maître de l’ouvrage, et non dans l’identification de l’origine des désordres. Si l’incertitude quant à l’origine des désordres est indifférente, leur absence d’imputabilité à l’intervention de l’entrepreneur suppose, en revanche, d’être établie avec certitude pour renverser la présomption d’imputabilité inférée de la présomption de responsabilité du constructeur : il a ainsi été jugé que cette présomption doit être écartée lorsqu’il ressort de manière certaine que les désordres ne sont pas imputables aux travaux réalisés par l'entrepreneur (Civ. 3e, 20 mai 2015, n° 14-13.271). En effet, la charge de la présomption de responsabilité ne peut être étendue à des constructeurs dont il est exclu, de manière certaine, au regard de la nature ou du siège des désordres, que ceux-ci sont en lien avec leur sphère d'intervention (pt n° 9).
Concernant l’objet de la preuve incombant au maître de l’ouvrage, il résulte de ce qui précède :
- que, s'agissant du lien d'imputabilité, il suffit au maître de l'ouvrage d'établir qu'il ne peut être exclu, au regard de la nature ou du siège des désordres, que ceux-ci soient en lien avec la sphère d'intervention du constructeur recherché ;
- que, lorsque l'imputabilité est établie, la présomption de responsabilité décennale ne peut être écartée au motif que la cause des désordres demeure incertaine ou inconnue, le constructeur ne pouvant alors s'exonérer qu'en démontrant que les désordres sont dus à une cause étrangère (pt n° 10).
En l’espèce, en retenant qu'il n’était pas démontré que le sinistre était imputable aux travaux électriques réalisés par l'entrepreneur, lequel n'a pas la charge de démontrer une cause étrangère en l'absence d'imputabilité certaine, la cour d’appel a statué par des motifs impropres à exclure un lien d'imputabilité entre les dommages et les travaux de l'entrepreneur, et violé le texte susvisé.
L’article 1792 du Code civil institue une présomption de responsabilité de plein droit à la charge du constructeur, mais il n’écarte pas la nécessité d’établir un lien d’imputabilité entre les désordres et l’intervention du constructeur mis en cause (Civ. 3e, 14 janv. 2009 n° 07-19.084 : « La garantie décennale d’un constructeur ne peut être engagée qu’en présence de désordres imputables aux travaux qu’il a réalisés »). Si les constructeurs sont présumés responsables des dommages de nature décennale, le maître d’ouvrage reste néanmoins tenu de prouver son préjudice, ainsi que le lien entre ce préjudice et l’activité du constructeur sur le chantier. Présumé, ce lien d’imputabilité est établi dès lors qu’il ne peut être exclu que les désordres sont en lien avec la sphère d’intervention du constructeur recherché. Seule la preuve de l’impossibilité de rattacher les travaux affectés de désordres à la sphère d’intervention du constructeur recherché en responsabilité permet d’écarter celle-ci.
L’absence de lien d’imputabilité entre les travaux et le désordre justifie en effet d’écarter la présomption de responsabilité de l’article 1792, l’imputabilité étant le préalable indispensable à la mise en œuvre de la garantie décennale. La non-imputabilité des désordres aux travaux réalisés par l’entrepreneur constitue donc une cause d’exonération du constructeur (ex : il n’est pas intervenu sur la partie de l’ouvrage affectée de désordres ; antériorité des désordres aux travaux affectés ; imputabilité des désordres à la structure de l’ouvrage existant et non aux travaux). Si le maître de l’ouvrage supporte ainsi le risque de la preuve de l’imputabilité, il ne supporte pas, en revanche, celui d’établir la cause exacte de son dommage : à l’appui de la distinction entre imputabilité et causalité, la jurisprudence n’exige pas du maître de l’ouvrage qu’il prouve que les dommages sont dus au fait, voire à la faute, du constructeur. Exiger la preuve d’une telle causalité reviendrait en outre à vider de sa substance la présomption de responsabilité. Libérant le maître de l’ouvrage de la charge de prouver un lien entre les dommages et le fait fautif du constructeur, la Cour de cassation confirme son choix d’adopter une conception objective des conditions de la responsabilité du constructeur, liée à sa seule participation à la construction de l’ouvrage affecté de désordres décennaux. C’est pourquoi la Cour de cassation considère depuis longtemps que l’indétermination de la cause des désordres laisse inchangé le jeu de la double présomption de responsabilité et d’imputabilité (Civ. 3e, 1er déc. 1999, préc. La mise en jeu de la garantie décennale d'un constructeur n'exige pas la recherche de la cause des désordres ; adde, 5 nov 2013, n°12-28.310 ; 30 sept. 2015, n° 14-19.776). Seule une approche subjective de l’imputabilité, liée à la preuve d’un vice de construction affectant les travaux du constructeur recherché, justifierait de tenir compte de cette incertitude. L’imputabilité objective du dommage à l’activité du constructeur commande au contraire de faire peser le risque de la preuve, dans le cas où la cause du sinistre est inconnue ou incertaine, sur le constructeur présumé responsable, et ce même en cas d’incendie (en ce sens, v. déjà, Civ. 3e, 28 janv. 2021, 19-23.895 ; 29 juin 2022, 21-17.919 ; contra, Civ. 3e, 12 mai 2010, 09-12.722 ; 4 mai 2016, 15-14.700, exigeant dans ce cas la preuve d’un vice de construction). L’expression « garantie décennale » utilisée de longue date par la jurisprudence prend ainsi tout son sens : le droit à réparation du maître de l'ouvrage ne dépend pas de la preuve d'une mauvaise exécution du contrat de construction. En conséquence, le mécanisme de la responsabilité de plein droit interdit aux constructeurs d’opposer au maître de l’ouvrage le fait que la cause des désordres n’aurait pas été déterminée pour renverser la présomption d’imputabilité, la mise en jeu de la garantie décennale n’exigeant pas cette identification.
Une fois le lien d’imputabilité établi, le constructeur, responsable de plein droit, ne peut donc s’exonérer qu’en démontrant une cause étrangère (Civ. 3e, 29 juin 2022 n° 21-17.919). Au cas présent, l'entrepreneur de construction, qui n'apportait pas la preuve d'un cas de force majeure ou d'une cause étrangère par une faute de la victime ou le fait d’un tiers, devait donc être déclaré responsable des désordres sur le fondement décennal, les dommages présentant le degré de gravité requis par l'article 1792.
Conforme à la ratio legis des articles 1792 et suivants du Code civil., cette solution répond à la difficulté pour le maître de l’ouvrage de déterminer et de prouver la responsabilité des constructeurs auteurs des désordres et d’épargner au propriétaire de l’ouvrage affecté de désordres graves la preuve d’une faute ou d’un vice de construction. Il s’agit de règles protectrices des intérêts du demandeur maître d’ouvrage, qui déploient tous leurs lorsque la nature ou l’étendue du dommage ne permet pas d’en déterminer les causes exactes.
Références :
■ Civ. 3e, 1er déc.1999, n° 98-13.252 P : RDI 2000. 56, obs. P. Malinvaud.
■ Civ. 3e, 20 mai 2015, n° 14-13.271 P : RDI 2015. 420, obs. P. Malinvaud.
■ Civ. 3e, 14 janv. 2009 n° 07-19.084 : RDI 2009. 186, obs. L. Karila.
■ Civ. 3e, 5 nov. 2013, n° 12-28.310
■ Civ. 3e, 30 sept. 2015, n° 14-19.776
■ Civ. 3e, 28 janv. 2021, 19-23.895
■ Civ. 3e, 29 juin 2022, 21-17.919
■ Civ. 3e, 12 mai 2010, 09-12.722 : RDI 2010. 397, obs. G. Leguay.
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