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Droit de la responsabilité civile
Responsabilité délictuelle et réparation de l’atteinte au droit de propriété
Mots-clefs : Droit de propriété, Atteinte, Empiétement, Minime, Sanction, Réparation en nature (non), Réparation en équivalent (oui)
L’atteinte au droit du propriétaire d’une parcelle étant minime, la réparation en nature de son préjudice ne se justifie pas, seul l’octroi de dommages et intérêts peut lui être alloué.
Le propriétaire d'une parcelle de terrain, voisine de celle appartenant à une autre propriétaire, reprochait à celle-ci d’avoir, à l'occasion de travaux de terrassement, endommagé sa propriété et supprimé un chemin piétonnier permettant d'accéder à son fonds. Il l’assigna donc en rétablissement du chemin et en dommages et intérêts. La cour d’appel écarta sa première demande et limita à une certaine somme les dommages et intérêts alloués en réparation de l'atteinte à son droit de propriété. Son pourvoi est rejeté par la troisième chambre civile au motif qu'ayant constaté qu'il résultait du rapport d'expertise que sa voisine avait réalisé ses travaux de terrassement en restant dans les limites de sa propriété, ce dont il se déduisait qu'elle n'avait pas construit sur le terrain du demandeur, la cour d'appel, qui a retenu qu'à l'occasion de ces travaux une erreur du terrassier avait seulement conduit à l'excavation de son fonds, elle a pu estimer que le préjudice subi de ce fait par ce dernier était minime et le réparer par l'octroi d'une somme qu'elle a souverainement appréciée.
L'application de l'article 555 du Code civil est réservée aux cas où un tiers édifie des constructions ou érige des plantations sur le terrain d'autrui. Dans l'hypothèse distincte où un propriétaire réalise à l’intérieur de sa propriété une construction qui empiète sur le fonds voisin, émargeant donc la ligne séparative de deux parcelles voisines, l'article 555 est exclu au profit de l’article 545, selon lequel « nul ne peut être contraint de céder sa propriété si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité » et qui sert de fondement à la sanction de l’empiétement sur le terrain d’autrui. Cela étant précisé, l’intérêt de la décision est triple.
Tout d’abord, elle nuance la rigueur avec laquelle les juges réparaient systématiquement et en nature, par l’ordre de la destruction de l’ouvrage, tout empiétement, même minime (V. par ex., Civ. 3e, 20 mars 2002, n° 00-16.015). Au contraire, en l’espèce, la Cour de cassation juge que l’atteinte au droit de propriété du demandeur n’est pas d’une ampleur telle qu’elle justifierait de condamner sa voisine à exécuter des travaux d’aménagement pour rétablir un chemin dont, de surcroît, aucune des pièces versées aux débats ne permettait d’établir l’existence à l’endroit invoqué et son usage, prétendument ancien et durable, pour accéder au fonds du demandeur.
Ensuite, la Cour confirme la possibilité de réparer les atteintes au droit de propriété sur le fondement de la responsabilité. En effet, elle admet depuis longtemps que « l’empiétement sur la propriété d’autrui suffit seul à caractériser la faute » (V. not. Civ. 3e, 10 nov. 1992, n° 90-19.944), notamment parce que la victime de l’atteinte à son droit de propriété peut préférer être indemnisée du préjudice subi du fait de l’empiétement plutôt que d’obtenir la démolition de l’ouvrage. La solution est justifiée, la responsabilité délictuelle pouvant très bien servir de fondement pour sanctionner les atteintes au droit de propriété, comme elle intervient, plus généralement, dans l’application de nombreux droits subjectifs, d’une part, en permettant de sanctionner les atteintes qui y sont portées, d’autre part, en permettant de définir leur étendue, qu’il s’agisse de l’étendre ou de la limiter (Sur ce point, v. T. Azzi, Les relations entre la responsabilité civile délictuelle et les droits subjectifs, RTD civ. 2007. 227, Propos introductifs). Ainsi le recours à la responsabilité civile délictuelle permet-il au juge d’éviter la sanction mécanique et drastique de la réparation en nature, comme en l’espèce où l’injonction de réaliser certains travaux qui apparaît, outre l’ordre traditionnel d’enlèvement de l’ouvrage, comme une modalité en nature de la réparation du préjudice subi par le propriétaire. Celle-ci est préférée à l’octroi de dommages et intérêts, jugé suffisant à la réparation, par équivalent donc, du préjudice subi. Sous cet angle, le champ d'application de la solution couvrirait toutes les atteintes portées au droit de propriété, celles qui ressortent d'un empiétement mais aussi, par exemple, d’une voie de fait (V. Civ. 3e, 9 sept. 2009, n° 08-11.154).
Enfin, la décision rapportée se démarque par la nuance de sa solution non seulement par le fait, déjà évoqué, d’éviter la voie, jugée inappropriée, de la réparation en nature, mais également par le soin pris à apprécier le préjudice comme étant « minime », quand il était possible de craindre que la Cour de cassation considère que toute atteinte à la propriété entraîne nécessairement un préjudice. Ainsi en 2009 (arrêt préc.) jugeait-elle, comme elle le juge aussi d’ailleurs en matière de droit à la vie privée, que la seule constatation d’une atteinte au droit de propriété ouvrirait désormais droit à indemnisation. La nature patrimoniale consubstantielle au droit de propriété et la position de la Cour européenne des droit de l’homme en cette matière, considérant que l’octroi d’une indemnité en cas de l’usage d’un bien constitue un attribut du droit de propriété (CEDH 23 sept. 1982, Sporrong et Lönnroth c/ Suède, n° 7151/75) permettent de justifier la réparation du préjudice, à la condition que le juge, toujours à l’effet de choisir la sanction la plus appropriée, limite le montant des indemnités allouées en cas d’atteinte mineure à la propriété d’autrui.
Civ. 3e, 5 oct. 2017, n° 16-21.243
Références
■ Civ. 3e, 20 mars 2002, n° 00-16.015 P : D. 2002. 2075, note C. Caron ; ibid. 2507, obs. B. Mallet-Bricout ; RTD civ. 2002. 333, obs. T. Revet.
■ Civ. 3e, 10 nov. 1992, n° 90-19.944 P : D. 1993. 305, obs. A. Robert ; RDI 1993. 197, obs. J.-L. Bergel ; RTD civ. 1993. 360, obs. P. Jourdain ; ibid. 850, obs. F. Zenati.
■ Civ. 3e, 9 sept. 2009, n° 08-11.154 P : AJDA 2009. 1639 ; D. 2009. 2220, obs. G. Forest ; ibid. 2010. 49, obs. P. Brun et O. Gout ; AJDI 2010. 329, obs. R. Hostiou ; ibid. 113, chron. S. Gilbert ; ibid. 2011. 111, chron. S. Gilbert ; RDI 2009. 583, obs. C. Morel.
■ CEDH 23 sept. 1982, Sporrong et Lönnroth c/ Suède, n° 7151/75.
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