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Droit de la responsabilité civile
Responsabilité du fait des choses : retour sur la condition d’anormalité
Prive sa décision de base légale la cour d'appel qui juge le propriétaire d'un bâtiment responsable du dommage résultant de la rupture d'une plaque en fibrociment placée sous sa garde en se fondant exclusivement sur le défaut d'entretien de celle-ci pour retenir, sans rechercher l’anormalité de cette chose, son rôle actif dans la survenance du dommage.
Civ. 2ème, 25 mai 2022, n° 20-17.123
Dans la décision rapportée, la Cour de cassation rappelle l’exigence du rôle actif de la chose, même inerte, pour engager la responsabilité de son gardien en cas de dommage. La satisfaire suppose de prouver l’anomalie de la chose à la source du dommage par la preuve de l’anormalité de son état ou de son positionnement, qui ne peut simplement résulter, précise encore la Cour, de son défaut d’entretien par le propriétaire gardien.
Au cas d’espèce, un jeune homme court sur les toits d’un bâtiment recouvert de plaques de fibrociment. Une plaque cède sous son poids et le fait chuter du toit. Après l’avoir indemnisé de son dommage corporel, la CPAM se retourne contre la propriétaire du bâtiment, en sa qualité de gardienne des plaques de fibrociment. Pour engager sa responsabilité du fait des choses, la cour d’appel retient que le défaut d’entretien des plaques qui équipent le toit, recouvrant un bâtiment par ailleurs vétuste, justifie de retenir le rôle actif de la plaque ayant cédé sous le poids de la victime. C’était oublier, selon la demanderesse au pourvoi, qu’en présence d’une chose inerte, il est nécessaire de prouver le rôle instrumental de la chose dans la survenance du dommage (Civ. 2ème, 24 févr. 2005, n° 03-13.536 ; v. déjà Civ. 2ème, 19 oct. 1961) et qu’une chose inerte ne peut précisément avoir été l’instrument du dommage qu’à la condition d’établir l’anormalité soit de son positionnement (ex : la boîte aux lettres qui dépasse), soit de son état (ex : la porte vitrée qui se brise). Or en l’espèce, l’anormalité résidant dans le mauvais état de la chose ne pouvait être déduite de son seul défaut d’entretien. En effet, même correctement entretenue, la plaque litigieuse n’aurait pas été en mesure de supporter le poids d’une action humaine en ce qu’une plaque de ce type est conçue pour recouvrir les toits et non pour servir de support au déplacement et, a fortiori, à la course de personnes physiques. En ce sens, il avait été justement établi que même en l’absence du défaut d’entretien à juste titre reproché au gardien, la plaque à l’origine du dommage, n’aurait pu, sans plier sous son poids, soutenir la course de la victime. La Haute juridiction adhère à cet argument, jugeant le défaut d’entretien de la chose dommageable insuffisant pour en établir le rôle causal. Elle censure donc les juges du fond pour défaut de base légale, au visa de l'article 1384, alinéa 1er, devenu 1242, alinéa 1er, du code civil. Ainsi leur reproche-t-elle de ne pas avoir « mis en évidence l'anormalité de cette chose, en recherchant si la plaque, même correctement entretenue, n'aurait pas cédé sous le poids de (la victime) ». Dit autrement, les juges du fond auraient dû rechercher l’anormalité de la chose indépendamment de son défaut d’entretien, qui ne suffit pas à l’établir. Pour la caractériser, et retenir en conséquence son rôle actif dans le dommage survenu, il eût fallu établir que même suffisamment entretenue, la plaque n’aurait pas pu résister au poids pesant sur elle et ainsi témoigné, par son fléchissement, d’une anormalité justifiant de rendre son gardien responsable du dommage provoqué. Partant, elle ne présentait pas l’anormalité nécessaire à l’engagement de la responsabilité de son gardien.
Où l’on voit la nécessité réaffirmée, en cas d’inertie de la chose, de caractériser son rôle actif dans la réalisation du dommage par la démonstration de l’anormalité de son état ou de sa position (depuis Civ. 2ème, 24 févr. 2005, préc., réaffirmant cette exigence après sa remise en cause en jurisprudence, v. not. Civ. 2ème, 23 mars 2000, n° 97-19.991 ; Civ. 2ème, 25 oct. 2001, n° 99-21.616), alors que ce rôle actif est présumé dans le cas d’une chose en mouvement, entrée directement en contact avec la victime.
Faute d’avoir mis en évidence quelconque élément anormal de la plaque litigieuse, par ailleurs exempte, aux dires d’expert, de tout vice interne susceptible d’établir l’anormalité de son état, la cour d’appel ne pouvait sans encourir la cassation engager la responsabilité de son gardien.
Références :
■ Civ. 2ème, 24 févr. 2005, n° 03-13.536, P : D. 2005. 1395, obs. F. Chénedé, note N. Damas ; AJDI 2005. 504 ; RTD civ. 2005. 407, obs. P. Jourdain
■ Civ. 2ème, 23 mars 2000, n° 97-19.991, P : D. 2001. 586, note N. Garçon ; ibid. 2000. 467, obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 2000. 581, obs. P. Jourdain
■ Civ. 2ème, 25 oct. 2001, n° 99-21.616 : D. 2002. 1450, note C. Prat ; RTD civ. 2002. 108, obs. P. Jourdain
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