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Droit de la responsabilité civile
Responsabilité du garagiste-réparateur : la persistance du désordre après son intervention suffit à la présumer
Dès lors que le désordre persiste après l’intervention du garagiste réparateur, l’incertitude sur l’origine de ce désordre ainsi que la difficulté technique à déceler cette origine ne permettent pas de renverser la présomption de faute qui pèse sur lui.
Civ. 1re, 16 oct. 2024, n° 23-11.712
Un chauffeur de taxi avait acquis un véhicule automobile neuf devant servir à son usage professionnel. Ce véhicule avait été confié à un garagiste pour remédier à une panne survenue après l’acquisition. La persistance de cette panne, malgré les réparations effectuées, avait conduit le propriétaire du véhicule à rechercher la responsabilité du garagiste-réparateur. La cour d’appel rejeta sa demande aux motifs que l’origine de la panne était fortuite, ce caractère fortuit excluant ipso facto toute faute du garagiste, qu'aucun des garagistes antérieurement intervenus sur le véhicule n'avait par ailleurs su déterminer l'origine exacte de la panne et que l'expert judiciaire intervenu au litige avait lui-même dû procéder à plusieurs réunions d'expertise avant d'en établir la cause ; au-delà, aucun élément du dossier n’avait permis d’établir avec certitude l’existence d’une faute technique imputable au garagiste. Devant la Cour de cassation, le demandeur dénonçait l’insuffisance de ces motifs pour écarter la présomption de faute du garagiste et de son lien causal, également présumé, avec le préjudice subi. Il rappelait en ce sens que si l’existence d’une faute est nécessaire à l’engagement de la responsabilité du garagiste réparateur, celle-ci est présumée en cas de persistance du désordre après l’intervention de ce dernier, de sorte que la cour d’appel ne pouvait au cas d’espèce exclure la faute du garagiste, intervenu sans le succès escompté pour remédier à la panne du véhicule. Adhérant à la thèse du pourvoi, la Cour de cassation confirme, au double visa des articles 1147 et 1315 du Code civil, dans leur rédaction antérieure à celle de l’ordonnance du 10 février 2016, que si la responsabilité du garagiste au titre des prestations qui lui sont confiées n'est engagée qu'en cas de faute de sa part, dès lors que des désordres surviennent ou persistent après son intervention, l'existence d'une faute et celle d'un lien causal entre la faute et ces désordres sont présumées. Ainsi la première chambre civile renvoie-t-elle implicitement aux deux arrêts de clarification qu’elle avait rendus le 11 mai 2022 (Civ.1re, 11 mai 2022, n° 20-18.867 ; n°20-19.732), par lesquels elle était venue préciser que la double présomption de responsabilité pesant sur le garagiste-réparateur, soit une présomption de faute et une présomption de causalité entre celle-ci et le dommage (Civ.1re, 8 déc. 1998, n° 94-11.848), est établie « dès lors que des désordres surviennent ou persistent après son intervention ». Sollicité pour réparer un véhicule et le restituer au client en état de bon fonctionnement, le garagiste réparateur est depuis longtemps tenu par une obligation de résultat (Civ.1re, 2 févr. 1994, n° 91-18.764), génératrice d’une double présomption de faute et de causalité dès lors que ce résultat n’est pas atteint (Civ. 1re, 8 déc.1998, préc.). Pour s’exonérer de cette responsabilité de plein droit, le garagiste a la charge de prouver son absence de faute, même si le résultat escompté n’est pas atteint (Civ. 1re, 17 févr. 2016, n° 15-14.012). De ce régime probatoire assoupli s’infère ce qu’on a coutume d’appeler une obligation de résultat « atténuée », dans ce cadre contractuel justifiée par le fait qu’après la restitution du véhicule, le garagiste n’a plus la garde ni le contrôle technique du véhicule en sorte qu’il convient de lui laisser la possibilité de prouver son absence de faute par tous moyens, sans cantonner l’objet de la preuve à l’existence d’un cas fortuit. Cependant, la Cour de cassation en était venue à déplacer la charge de la preuve sur le client du garagiste : sans remettre en cause la responsabilité de plein droit de ce dernier, le client était néanmoins tenu de prouver « que les dysfonctionnements allégués sont dus à une défectuosité déjà existante au jour de l’intervention du garagiste ou sont reliés à celle-ci » (Civ.1re, 31 oct. 2012, n° 11-24.324). Sur le plan de la charge de la preuve, le raisonnement ne tenait pas : bien que la double présomption de faute et de causalité était maintenue, le garagiste se voyait pourtant libéré de la charge de prouver que la mauvaise exécution de ses obligations n’était pas causée par sa défaillance, cette charge probatoire ayant été déplacée sur son client. Opéré par les deux arrêts précités de 2022, le rétablissement de la charge de la preuve sur le garagiste-réparateur oblige désormais ce dernier, pour s’exonérer de sa responsabilité, à prouver à la fois son absence de faute ainsi que l’absence de lien causal entre le dommage subi par son client et son intervention sur le véhicule. L’objet de la preuve qu’il lui revient d’apporter consiste généralement en un faisceau d’indices, établi par expertise judiciaire, concordant pour établir que le dommage subi par le propriétaire du véhicule est étranger ou sans lien causal direct avec son intervention. Ainsi doit-il, en premier lieu, démontrer son absence de faute. La difficulté de rapporter cette preuve est ici on ne peut mieux illustrée par l’indifférence affichée par la Cour à deux circonstances qui semblaient pourtant déterminantes : l’incertitude sur l’origine de la panne et la difficulté technique à déceler cette origine, que révélaient la nécessité d’organiser plusieurs réunions d’expertise ainsi que le constat d’échec de plusieurs interventions antérieures engagées à cette fin par d’autres garagistes. Ces éléments sont ignorés par la Cour, qui ne les considère pas suffisants pour écarter la double présomption pesant sur le défendeur. Ainsi le doute sur l’origine de la panne et la difficulté révélée par les différents intervenants de le lever n’ont pas permis au garagiste, en l’espèce, de renverser sa présomption de faute : la persistance du désordre suffit à engager sa responsabilité contractuelle. C’est pourquoi la cour d’appel, malgré l’origine douteuse et techniquement complexe de la panne, ne pouvait neutraliser cette présomption pour refuser d’engager la responsabilité du garagiste au motif de l’incertitude de la faute que ce dernier aurait commise. Dès lors qu’un désordre apparaît ou réapparaît après l’intervention du garagiste, ce dernier est présumé responsable. La première chambre civile confirme ainsi sa position de fermeté sur les conditions d’engagement de la responsabilité du garagiste-réparateur. La rigueur du régime applicable à la responsabilité contractuelle du garagiste-réparateur limite en définitive l’exonération de ce dernier à sa démonstration d’une cause extérieure et postérieure à son intervention du défaut à l’origine du dysfonctionnement allégué.
Références :
■ Civ.1re, 11 mai 2022, n° 20-18.867 ; n° 20-19.732 : D. 2022. 1789, note P. Gaiardo ; ibid. 2023. 34, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; RTD civ. 2022. 631, obs. P. Jourdain
■ Civ.1re, 8 déc. 1998, n° 94-11.848 : D. 1999. 35
■ Civ.1re, 2 févr. 1994, n° 91-18.764 : RTD civ. 1994. 613, obs. P. Jourdain
■ Civ. 1re, 17 févr. 2016, n° 15-14.012
■ Civ.1re, 31 oct. 2012, n° 11-24.324 : D. 2012. 2659
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