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Droit de la responsabilité civile
Responsabilité du notaire pour nullité d’un cautionnement : encore faut-il prouver la certitude du préjudice !
Ayant retenu qu'un établissement prêteur disposait, pour le recouvrement de sa créance, contre la co-empruntrice et contre les cautions personnelles, de recours qu'elle n'avait pas mis en œuvre et qui n'étaient pas la conséquence de la situation dommageable imputée à la faute du notaire instrumentaire, la cour d'appel en déduit exactement que le préjudice allégué n'est pas actuel et certain.
Civ. 1re, 1er mars 2023, n° 21-24.166 B
Rendu à propos de la responsabilité notariale dans le cadre du droit des sûretés, un récent arrêt de la première chambre civile procède à cette occasion au rappel utile des conditions communes à toute responsabilité. Dans l’arrêt sous commentaire, la Cour de cassation rappelle à ce titre que la responsabilité ne suppose pas seulement d’établir le fait générateur du dommage, en l’occurrence la démonstration d’une faute, mais requiert également, outre le lien de causalité, la preuve d’un préjudice actuel et certain.
En l’espèce, par acte notarié, une banque avait consenti à un couple une ouverture de crédit garantie par diverses sûretés, parmi lesquelles le cautionnement hypothécaire d’un groupement foncier agricole. Par la suite, l’un des emprunteurs avait été soumis à une procédure collective. Quelques années après que la créance de la banque fût admise à cette procédure collective, un arrêt irrévocable avait annulé cette sûreté en raison de son irrégularité, imputable au notaire. N’ayant pas mis en œuvre les autres sûretés dont elle disposait, la banque avait assigné le notaire en responsabilité et indemnisation du préjudice subi du fait de la perte de cette garantie. Alors qu’un premier arrêt avait déclaré le notaire responsable de l’annulation de ce cautionnement hypothécaire, la cour d’appel de Reims, statuant sur renvoi après cassation partielle de cette décision, dont la motivation ne permettait pas d’établir que la sûreté perdue aurait permis le paiement de la banque (Civ. 1re, 4 juill. 2019, n° 18-16.138), refusa d’engager la responsabilité du notaire, au motif que si ce dernier avait bien commis une faute en instrumentant un acte nul, cette faute ne suffisait pas, malgré son caractère irrévocable, à justifier l’engagement de sa responsabilité, laquelle supposait également la preuve, par la banque créancière, que la perte de sa garantie l’avait été par la faute du notaire. Comme le soulignaient les juges rémois, la banque « n'avait pas suffisamment justifié de l'impossibilité irrémédiablement compromise » d'obtenir le recouvrement de sa créance en mettant en jeu les autres sûretés qu’elle avait à sa disposition. Le pourvoi formé par la banque soutenait que l’existence d’autres sûretés était indifférente. Dans la mesure où « le propre de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était point produit, le notaire qui a mis par sa faute un créancier dans une situation désavantageuse en lui faisant perdre le bénéfice d'une sûreté doit en supporter les conséquences préjudiciables, même si la victime, en sa qualité de créancier, dispose en théorie d'actions contre d'autres personnes pour compenser la perte de cette sûreté ».
Le pourvoi est rejeté par la Cour de cassation, au motif que « la banque disposait, pour le recouvrement de sa créance, contre la co-empruntrice et contre les cautions personnelles, de recours qu'elle n'avait pas mis en œuvre et qui n'étaient pas la conséquence de la situation dommageable imputée à la faute du notaire, la cour d'appel en a exactement déduit que le préjudice allégué n'était pas actuel et certain ».
La solution mérite d’être approuvée. Elle ne signifie pas que le créancier qui dispose de plusieurs sûretés ne peut obtenir réparation de la perte de l’une d’elles. Elle rappelle simplement qu’un préjudice n’est réparable qu’à la condition d’être actuel et certain, ce caractère ne pouvant s’induire de la certitude du rôle causal de la faute du notaire dans la perte du cautionnement hypothécaire. Tant qu’il n’était pas établi avec certitude que le créancier avait perdu tout ou partie de sa créance par la faute du notaire, la responsabilité de ce dernier ne pouvait être engagée. Or au cas d’espèce, si la banque n’avait pu en définitive obtenir son désintéressement, c’était avant tout parce qu’elle n’avait mis en œuvre aucun des moyens dont elle disposait à cette fin. Alors qu’elle disposait de deux débiteurs principaux, dont seul le premier était en cessation des paiements, elle n’avait pas exercé de recours contre l’autre débiteur, de même qu’elle n’avait pas mis en œuvre les autres sûretés dont elle disposait.
Autrement dit, le préjudice subi par la banque ne trouvait pas sa cause exclusive dans le cautionnement hypothécaire annulé par la faute du notaire. Le préjudice subi par la banque aurait été actuel et certain si celle-ci avait épuisé l’intégralité de ces recours et s’il avait été établi que le notaire lui avait fait perdre, par sa faute, la seule sûreté qui lui aurait permis d’apurer sa dette, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
Dont acte : même établie avec certitude, la perte d’une sûreté par la faute du notaire ne suffit à engager sa responsabilité qui suppose, conformément au droit de la responsabilité civile, la preuve d’un préjudice actuel et certain.
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