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Droit de la responsabilité civile
Responsabilité médicale : autorité de la chose jugée au pénal et obligation in solidum
Mots-clefs : Responsabilité médicale, Dommage (Caractérisation, perte de chance, lésions corporelles, autorité de la chose jugée au pénal), Réparation (Contribution à la dette, obligation in solidum)
Le dommage subi par un enfant lors de sa naissance, qualifié de blessures involontaires par le juge pénal, ne peut être limité par le juge civil à une perte de chance d’échapper à des lésions cérébrales ; les intervenants qui ont contribué, après la naissance, au dommage subi (perte de chance d’éviter des séquelles), doivent être tenus in solidum de la dette de réparation.
À la suite de fautes médicales, une femme accoucha d’une enfant lourdement handicapée. Le juge pénal condamna la sage-femme pour blessures involontaires ayant entraîné une incapacité de plus de trois mois (art. 222-19 C. pén.,). Devant le juge civil, la mère et son époux, en leur nom personnel et au nom de leurs enfants mineurs, recherchèrent la responsabilité du médecin et de la sage-femme, appelant également en la cause la clinique les employant.
La cour d’appel décida que le dommage ne consistait qu’en une perte de chance d’échapper à des lésions cérébrales, quantifiée à 70 %, et que la responsabilité en incombait pour 18 % à la clinique, en qualité de commettant de la sage-femme, pour 2 % à l’obstétricien et pour 50 % à la clinique, hors sa qualité de commettant. Cet arrêt est cassé par la première chambre civile au visa des principes de l’autorité de chose jugée au pénal sur le civil et de la responsabilité in solidum.
Dans sa décision du 11 février, la Haute cour note d’abord qu’un arrêt définitif (Crim. 4 mai 2004) avait condamné la sage-femme au motif qu’elle avait, au cours de l’accouchement, par ses négligences répétées et déterminantes, notamment en débranchant le monitoring et en n’appelant pas le médecin à temps malgré l’évolution du travail, contribué à créer le handicap de l’enfant, « ce dont il résultait que la sage-femme avait été à l’origine des atteintes corporelles constitutives de l’entier dommage, lequel ne pouvait dès lors être limité à une perte de chance » ; elle indique ensuite que, la cour d’appel ayant constaté que les autres intervenants avaient tous, après la naissance, contribué à la perte de chance d’éviter les séquelles subies, « ils devaient être tous tenus envers la victime, in solidum entre eux et avec le commettant […], indépendamment de la part contributive de chacun à sa réalisation ».
S’agissant de la caractérisation du dommage, l’autorité de la chose jugée au pénal s’impose au juge civil relativement à l’existence des faits constituant la base commune des actions civile et pénale. Il en découle que l’existence d’une condamnation pénale définitive du chef d’atteintes à l’intégrité physique de la personne implique la certitude de la réalisation du dommage ; le juge civil ne pouvait donc, en l’espèce, substituer sa propre appréciation du préjudice et qualifier celui-ci de perte de chance. Cela étant, la portée de l’autorité de la chose jugée au pénal se limite à la détermination du préjudice et n’empêche pas la caractérisation d’une faute civile en cas d’absence de faute pénale non intentionnelle (v. art. 4-1 C. pr. pén., issu de la L. no 2000-647 du 10 juill. 2000 ; v. égal. Civ. 1re, 30 janv. 2001).
S’agissant de la contribution à la dette de réparation, chacun des responsables d’un même dommage doit être condamné à le réparer en totalité, sans qu’il y ait lieu de tenir compte d’un partage n’affectant que leurs rapports réciproques et non le caractère et l’étendue de leurs obligations à l’égard de la victime. Ainsi, la sage-femme, l’obstétricien (pourtant relaxé au pénal) et les personnels de la clinique chargés de la surveillance de l’enfant, que les expertises ont désigné co-auteurs dommage subi (la perte de chance d’éviter les séquelles) sont, chacun, tenus pour le tout.
Civ. 1e, 17 févr. 2011, FS-P+B+I, no 10-10.449
Références
« Obligation pour le tout.
Obligations de plusieurs personnes tenues chacune pour le tout envers le créancier, alors qu’il n’existe entre elles aucun lien de représentation. L’obligation in solidum créée par la jurisprudence, a permis en particulier à la victime d’un dommage d’obtenir réparation de l’intégralité du préjudice en poursuivant l’un quelconque des coauteurs ; sous cet aspect elle constitue une garantie de solvabilité. »
« Préjudice résultant de la disparition, due au fait d’un tiers, de la probabilité d’un événement favorable et donnant lieu à une réparation mesurée sur la valeur de la chance perdue déterminée par un calcul de probabilités et qui ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée. »
« Personne qui charge une autre d’exécuter une mission en son nom et qui assume la responsabilité civile des actes accomplis au titre de cette mission.
Celui qui agit sous la direction du commettant est le préposé. »
■ Le criminel tient le civil en l’état
« Principe de droit processuel au titre duquel le juge civil, lorsqu’il est saisi de l’action en réparation d’une infraction, doit surseoir à statuer jusqu’à ce que le juge pénal se soit lui-même définitivement prononcé sur l’action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement.
La règle du sursis à statuer n’est pas applicable devant le juge des référés, puisque l’ordonnance de référé n’a pas au principal l’autorité de la chose jugée. »
Sources : Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.
■ Article 4-1 du Code de procédure pénale
« L'absence de faute pénale non intentionnelle au sens de l'article 121-3 du code pénal ne fait pas obstacle à l'exercice d'une action devant les juridictions civiles afin d'obtenir la réparation d'un dommage sur le fondement de l'article 1383 du code civil si l'existence de la faute civile prévue par cet article est établie ou en application de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale si l'existence de la faute inexcusable prévue par cet article est établie. »
■ Article 222-19 du Code pénal
« Le fait de causer à autrui, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l'article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, une incapacité totale de travail pendant plus de trois mois est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende.
En cas de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées à trois ans d'emprisonnement et à 45 000 € d'amende. »
■ Crim. 4 mai 2004, no 03-84.648.
■ Civ. 1e, 30 janv. 2001, Bull. civ. I, no 19, RTD civ. 2001. 376, obs. Jourdain ; RSC 2001. 613, obs. Giudicelli.
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