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[ 20 mars 2020 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Responsabilité médicale du fait des produits défectueux : des conditions restrictives

La pose d’une prothèse défectueuse engage la responsabilité de son fabricant à l’exclusion de celle du chirurgien ayant réalisé l’intervention, en l’absence de faute de sa part dans la décision et la réalisation de cet acte chirurgical.

Un patient avait subi deux opérations de la hanche pour une pose de prothèses. Après avoir été, deux ans après la dernière intervention, victime d’une chute consécutive à la rupture de l’une de ses prothèses, son chirurgien avait procédé au remplacement de la prothèse défaillante. Or malgré cette nouvelle opération, le patient avait conservé des séquelles de sa chute qu'il liait, à l’appui d’une expertise qu’il avait sollicitée, à la défectuosité de sa prothèse imputable, selon lui, à la fois à son fabricant et au chirurgien qui la lui avait posée. 

Il les avait en conséquence assignés conjointement en indemnisation sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux. 

En appel, la cour déclara le fabricant entièrement responsable du préjudice subi par la victime, qui trouvait sa cause première dans la rupture de la prothèse, qui avait ensuite provoqué sa chute. En se fondant sur les constatations de l’expert, la juridiction d’appel avait retenu que cette rupture ne pouvait avoir été causée ni par le surpoids de la victime ni par une quelconque erreur dans l’acte chirurgical, aucune faute du chirurgien dans le choix, la conception ou la pose de la prothèse n’ayant été constatée : seule la défectuosité de la prothèse litigieuse, qui ne présentait pas la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s’attendre, était donc à l’origine du dommage, en sorte que seule la responsabilité de droit de son fabricant devait, en vertu des articles 1245 et suivant du Code civil, être engagée. 

Le patient fit alors grief à l’arrêt de rejeter la demande qu’il avait formée contre son chirurgien, alors « que la responsabilité d’un médecin est encourue de plein droit en raison du défaut d’un produit de santé qu’il implante à son patient », telle qu’une prothèse de hanche défectueuse. Ce moyen ne manquait pas de pertinence. Comme le rappelle la Cour pour y répondre, l’article L. 1142-1, alinéa 1er, du Code de la santé publique, issu de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, dispose que les professionnels de santé et les établissements dans lesquels sont diligentés des actes de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables de tels actes qu’en cas de faute, hors le cas cependant où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé. Ainsi, s’il est de principe depuis cette loi que la responsabilité d’un professionnel de santé ne peut être engagée qu’à la suite d’une faute de sa part, par exemple d’une faute technique dans l’exécution d’un acte médical, il doit en principe en aller autrement lorsque le fait générateur du dommage réside dans le défaut de sécurité du « produit » de santé, tel qu’une prothèse défectueuse. 

Ainsi que l’explicite la Cour, cette exception au principe d’une responsabilité médicale pour faute est liée au régime de responsabilité du fait des produits défectueux instauré par la loi n° 98-389 du 19 mai 1998, ayant transposé aux anciens articles 1386-1 à 1386-18, devenus 1245 à 1247 du Code civil, la directive CEE n° 85/374 du 25 juillet 1985 qui, tout en prévoyant une responsabilité de plein droit du fabricant au titre du défaut du produit, avait initialement étendu cette responsabilité à d’autres intervenants dans le processus de fabrication et de commercialisation du produit, et notamment au fournisseur professionnel, qualité susceptible d’être dans ce cas revêtue par l’établissement ou le professionnel de santé. Mais à la suite de la condamnation de la France par l’ex CJCE au titre de cette extension pour sa transposition incorrecte de la directive concernant ceux des professionnels à même d’assumer la responsabilité qu’elle institue (CJCE 25 avr.2002, Commission c/ France, n° C-52/00 et CJCE 14 mars 2006, n° C-177/04) et des lois adoptées en conséquence de cette condamnation (L. n° 2004-1343 du 9 déc. 2004 et L. n ° 2006-406 du 5 avr. 2006), l’article 1245-6 du Code civil (anc. art. 1386-7) énonce depuis que lorsque le producteur ne peut être identifié, le fournisseur professionnel est responsable du défaut de sécurité du produit, dans les mêmes conditions que le producteur, à moins qu’il ne désigne son propre fournisseur ou le producteur, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la demande de la victime lui a été notifiée. 

Il en résulte que la responsabilité de droit d’un établissement ou d’un professionnel de santé ne peut être engagée, sur le fondement de cette disposition, que dans le cas où le producteur n’a pu être identifié ou qu’ils n’ont pas désigné leurs propres fournisseur ou producteur dans le délai imparti, ce qui n’était pas en l’espèce le cas, le producteur, fabricant de la prothèse litigieuse, ayant été identifié.

Poursuivant sa démarche de contextualisation jurisprudentielle de ce régime spécial d’indemnisation, la Cour de cassation précise que par ailleurs, après avoir été saisie par le Conseil d’Etat (CE 4 oct. 2010, CHU de Besançon, n° 327449) de la question de la compatibilité avec la directive précitée du régime de responsabilité sans faute du service public hospitalier, selon lequel celui-ci est responsable de plein droit des dommages causés aux usagers par la défaillance des produits et appareils de santé qu’il utilise (CE 9 juill. 2003, n° 220437), la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que : « La responsabilité d’un prestataire de services qui utilise, dans le cadre d’une prestation de services, telle que des soins dispensés en milieu hospitalier, des appareils ou des produits défectueux dont il n’est pas le producteur au sens de l’article 3 de la directive (…), telle que modifiée par la directive 1999/34/CE du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 1999, et cause, de ce fait, des dommages au bénéficiaire de la prestation, ne relève pas du champ d’application de cette directive. Cette dernière ne s’oppose dès lors pas à ce qu’un Etat membre institue un régime (…) prévoyant la responsabilité d’un tel prestataire à l’égard des dommages ainsi occasionnés, même en l’absence de toute faute imputable à celui-ci, à condition, toutefois, que soit préservée la faculté pour la victime et/ou ledit prestataire de mettre en cause la responsabilité du producteur sur le fondement de ladite directive, lorsque se trouvent remplies les conditions prévues par celle-ci. » (CJUE 21 déc. 2011, n° C-495/10). 

Etant précisé qu’à la suite de cette décision, qui n’avait en réalité pour but que de garantir le primat d’application du régime de responsabilité du fait des produits défectueux souhaité par le législateur européen et défendu par ses juges, le Conseil d’État a, profitant de la liberté qui, sur ce point, lui était laissée, maintenu le régime de responsabilité sans faute du service public hospitalier (CE 12 mars 2012, CHU de Besançon, n° 327449) et l’a étendu au cas dans lequel ce service implante, au cours de la prestation de soins, un produit défectueux dans le corps d’un patient, tel qu’une prothèse (CE 25 juill. 2013, n° 339922). En revanche, la Cour de cassation qui soumettait avant la transposition de la directive les professionnels et établissements de santé privés à une obligation de sécurité de résultat concernant les produits de santé utilisés ou fournis (Civ. 1re, 9 nov. 1999, Civ. 1re, 9 nov. 1999, n° 98-10.010. Civ. 1re, 7 nov. 2000, n° 99-12.255), a ensuite retenu que leur responsabilité ne pouvait être engagée qu’en cas de faute, mais dans des litiges ne relevant pas de la loi du 4 mars 2002 (Civ. 1re, 12 juill. 2012, n° 11-17.510; Civ. 1re, 14 nov. 2018, n° 17-28.529 et 17-27.980). 

C’est tout l’intérêt de la décision rapportée de compléter la jurisprudence de la Cour de cassation qui affirme en l’espèce qu’y compris lorsque cette loi se trouve applicable, la responsabilité médicale doit rester une responsabilité pour faute, contrairement à celle du producteur: « L’instauration par la loi du 19 mai 1998 d’un régime de responsabilité de droit du producteur du fait des produits défectueux, les restrictions posées par l’article (…) 1245-6 du code civil à l’application de ce régime de responsabilité à l’égard des professionnels de santé et des établissements de santé, la création d’un régime d’indemnisation au titre de la solidarité nationale des accidents médicaux non fautifs et des affections iatrogènes graves sur le fondement de l’article L. 1142-1, II, du code de la santé publique et le fait que les professionnels de santé ou les établissements de santé privés peuvent ne pas être en mesure d’appréhender la défectuosité d’un produit dans les mêmes conditions que le producteur justifient, y compris lorsque se trouve applicable l’article L. 1142-1, alinéa 1er, de ce code, de ne pas soumettre ceux-ci, hors du cas prévu par l’article 1245-6 précité, à une responsabilité sans faute, qui serait, en outre, plus sévère que celle applicable au producteur, lequel, bien que soumis à une responsabilité de droit, peut bénéficier de causes exonératoires de responsabilité » spécifiques à ce régime (V. art. 1245-10) dont le professionnel ou l’établissement de santé ne pourrait, à ce titre, se prévaloir ».

Se voit ainsi confirmée, eu égard aux objectifs et à l'économie de la directive et à l'interprétation qu'en a donnée la CJUE, la soustraction des professionnels de santé, en leur qualité de prestataires de services de soins, au champ d’application de celle-ci ; ne relevant pas du régime de responsabilité du fait des produits défectueux, sous la seule réserve prévue à l’article 1245-6, leur responsabilité ne peut dès lors être recherchée que pour faute lorsqu'ils ont recours aux produits, matériels et dispositifs médicaux nécessaires à l'exercice de leur art ou à l'accomplissement d'un acte médical, pourvu que soit préservée leur faculté et/ou celle de la victime de mettre en cause la responsabilité du producteur sur le fondement de ladite directive lorsque se trouvent remplies les conditions prévues par celle-ci (Civ. 1re, 12 juill. 2012, n° 11-17.510).

Il résultait en l’espèce de tout ce qui précède que le chirurgien devait, en la présence du producteur et en l’absence de faute de sa part, échapper à l’engagement de sa responsabilité malgré le défaut de sécurité de la prothèse posée.

Civ. 1re, 26 févr. 2020, n° 18-26.256

Références

■ CJCE 25 avr. 2002, Commission c/ France, n° C-52/00 : D. 2002. 2462, note C. Larroumet ; ibid. 1670, obs. C. Rondey ; ibid. 2935, obs. J.-P. Pizzio ; ibid. 2003. 1299, chron. N. Jonquet, A.-C. Maillols et F. Vialla ; RTD civ. 2002. 523, obs. P. Jourdain ; ibid. 868, obs. J. Raynard ; RTD com. 2002. 585, obs. M. Luby

■ CJCE 14 mars 2006, n° C-177/04 : AJDA 2006. 1153, chron. E. Broussy, F. Donnat et C. Lambert ; D. 2006. 1334 ; ibid. 1929, obs. P. Brun et P. Jourdain ; RTD civ. 2006. 265, obs. P. Remy-Corlay ; ibid. 335, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2006. 515, obs. M. Luby

■ CE 4 oct. 2010, CHU de Besançon, n° 327449 A : AJDA 2010. 1912 ; D. 2011. 213, note J.-S. Borghetti ; RFDA 2011. 377, chron. L. Clément-Wilz, F. Martucci et C. Mayeur-Carpentier

■ CE 9 juill. 2003, n° 220437 A : AJDA 2003. 1946, note M. Deguergue ; D. 2003. 2341

■ CJUE 21 déc. 2011, n° C-495/10 : AJDA 2011. 2505 ; ibid. 2012. 306, chron. M. Aubert, E. Broussy et F. Donnat ; D. 2012. 926, note J.-S. Borghetti ; ibid. 1558, point de vue P. Véron et F. Vialla ; ibid. 2013. 40, obs. P. Brun et O. Gout ; RTD civ. 2012. 329, obs. P. Jourdain ; RTD eur. 2012. 679, obs. C. Aubert de Vincelles

■ CE 12 mars 2012, CHU de Besançon, n° 327449 A : AJDA 2012. 575 ; ibid. 1665, étude H. Belrhali ; D. 2013. 40, obs. P. Brun et O. Gout ; RFDA 2012. 961, chron. C. Mayeur-Carpentier, L. Clément-Wilz et F. Martucci ; RDSS 2012. 716, note J. Peigné ; RTD eur. 2012. 925, obs. D. Ritleng

■ CE 25 juill. 2013, n° 339922 A : AJDA 2013. 1597 ; ibid. 1972, chron. X. Domino et A. Bretonneau ; D. 2013. 2438, note M. Bacache ; ibid. 2014. 47, obs. P. Brun et O. Gout ; ibid. 2021, obs. A. Laude ; RDSS 2013. 881, note J. Peigné ; RTD civ. 2014. 134, obs. P. Jourdain ; RTD eur. 2014. 952-24, obs. A. Bouveresse

■ Civ. 1re, 9 nov. 1999, n° 98-10.010 P : D. 2000. 117, note P. Jourdain

■ Civ. 1re, 7 nov. 2000, n° 99-12.255 P : D. 2001. 2236, obs. D. Mazeaud ; ibid. 570, chron. Y. Lambert-Faivre ; ibid. 3085, obs. J. Penneau ; RDSS 2001. 526, obs. G. Mémeteau et M. Harichaux ; RTD civ. 2001. 151, obs. P. Jourdain

■ Civ. 1re, 12 juill. 2012, n° 11-17.510 P : D. 2012. 2277, note M. Bacache ; ibid. 2013. 40, obs. P. Brun et O. Gout ; RTD civ. 2012. 737, obs. P. Jourdain ; RTD eur. 2013. 292-36, obs. N. Rias

■ Civ. 1re, 14 nov. 2018, n° 17-28.529 et 17-27.980 P : D. 2018. 2230

 

Auteur :Merryl Hervieu


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