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Droit de la responsabilité civile
Responsabilité médicale du fait des produits défectueux : extension du recours aux présomptions
Mots-clefs : Responsabilité du fait des produits défectueux, Vaccin, Sclérose en plaques, Présomptions graves, précises et concordantes
Faute de preuve scientifique certaine, le défaut d’un vaccin peut résulter de présomptions graves, précises et concordantes.
En matière médicale, la mise en œuvre de la responsabilité du fait des produits défectueux est délicate. La difficulté est probatoire : alors que ce régime spécial de responsabilité requiert déjà l’établissement d’une triple preuve (celle du défaut, du préjudice et du lien de causalité), la Cour de cassation, tenant compte de la spécificité des produits de santé, l’a alourdie en exigeant que soit rapportée la preuve « d'un dommage, de l'imputabilité d'un dommage à l'administration du produit, du défaut du produit et du lien de causalité entre ce défaut et le dommage », Civ. 1re, 27 févr. 2007 ; Civ. 1re, 29 mai 2013).
Or, dans de nombreuses hypothèses, si l’existence du dommage est acquise, la satisfaction des autres conditions requises peine à être établie par la victime. Plus particulièrement, lorsqu’une maladie survient à la suite d’un vaccin ou de la prise d’un médicament, il est souvent difficile d’établir de façon scientifique un lien de causalité entre ces deux événements, comme de caractériser le défaut du « produit » administré. Et dans la plupart des cas, ces doutes nuisent à la victime puisqu’ainsi, elle manque à sa charge de prouver l’ensemble des conditions d’engagement de la responsabilité de l’établissement de santé.
C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation a, dans l’intérêt de la victime, tempéré depuis plusieurs années ses difficultés probatoires en choisissant de recourir aux présomptions (Civ. 1re, 22 mai 2008 ; Civ. 1re, 25 juin 2009). Ainsi est-il dorénavant acquis que faute de preuve scientifique certaine du lien de causalité entre le défaut et le préjudice, ce lien peut résulter de simples présomptions, à condition qu’elles soient graves, précises et concordantes.
Or, par la décision rapportée, la Haute cour semble avoir franchi un nouveau pas en élargissant le recours aux présomptions à l'établissement du défaut du produit. Selon elle, il est, au même titre que son rôle causal dans la survenance du dommage, susceptible d’être admis alors même que sa défectuosité n’aurait pu être scientifiquement établie.
En l'espèce, une femme ayant à l’occasion de plusieurs campagnes de vaccinations contre l'hépatite B reçu une série d'injections entre 1986 et 1993 manifesta, dès 1992, divers troubles dont la gravité justifia l’arrêt de son activité professionnelle. En 1998, elle sut être atteinte d’une sclérose en plaques, dont elle attribua la cause aux vaccinations dont elle avait fait l’objet. Elle poursuivit alors le fabriquant du vaccin contre l’hépatite B. Mais en l’absence de preuve de sa défectuosité, la cour d’appel de Versailles rejeta la demande d'indemnisation et d'arrêt de la commercialisation du vaccin formée par la victime.
Cet arrêt est partiellement cassé : soutenant le choix des juges du fond de présumer, à partir d’indices graves, précis et concordants, le lien causal entre le vaccin administré à la victime et l’apparition de sa maladie, la première chambre civile leur reproche néanmoins de ne pas avoir recherché « si ces mêmes faits ne constituaient pas des présomptions graves, précises et concordantes du caractère défectueux des doses qui lui avaient été administrées ».
Ainsi, la Cour de cassation confirme-t-elle sa volonté d’étendre le jeu des présomptions à l’établissement du défaut du produit, et non plus seulement à celui du lien causal (v. déjà Civ. 1re, 26 sept. 2012). Pour le dire autrement, d’abord retenues pour établir le lien de causalité, les présomptions graves, précises et concordantes doivent désormais également être prises en compte pour apprécier le caractère défectueux du produit. Discutée en doctrine (en faveur d'un recours aux présomptions pour établir le lien de causalité et le défaut, v. C. Radé ; contra J.-S. Borghetti), cette extension des présomptions à la preuve de la défectuosité devrait à l’avenir multiplier les chances des victimes d’obtenir une indemnisation dont elles auraient été privées si la Haute cour s’était montrée plus stricte.
Civ. 1re, 10 juill. 2013, n°12-21.314
Références
■ Civ. 1re, 27 févr. 2007, n°06-10.063.
■ Civ. 1re, 29 mai 2013, n°12-20.903.
■ Civ. 1re, 22 mai 2008, Bull. civ. I, n°148 et 149.
■ Civ. 1re, 25 juin 2009, Bull. civ. I, n°141.
■ Civ. 1re, 26 sept. 2012, n° 11-17.738, D. 2012. 2853, obs. I. Gallmeister, ibid., note J.-S. Borghetti et 2376, entretien C. Radé ; RLDC 2012/98, n° 4847, obs. G. Le Nestour et 2012/99, p. 15, note O. Gout ; JCP G 2012, 2034, note C.Quézel-Ambrunaz.
■ C. Radé, « Causalité juridique et causalité scientifique : de la distinction à la dialectique », D. 2012. 112, n° 19.
■ J.-S. Borghetti, « Qu'est-ce qu'un vaccin défectueux ? », D. 2012. Jur. 2853, spéc. n° 3 et 6.
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