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Droit de la responsabilité civile
Responsabilité présumée du propriétaire de l’animal : la Cour de cassation reste à cheval sur les principes
Doit être cassé l’arrêt ayant écarté la responsabilité d’un cavalier propriétaire de son cheval ayant blessé lors d’une course taurine un spectateur au profit de celle du superviseur de ladite course, au seul motif que le premier avait agi sous les ordres et directives du second, ce qui ne suffisait pas à caractériser le transfert de garde de l’animal.
Organisée par une association et supervisée par un manadier, une manifestation taurine, consistant en un lâcher de deux taureaux entourés de plusieurs cavaliers, avait à la fin de la course causé, du fait de l’emballement de l’un des chevaux, de graves blessures à un spectateur.
La victime avait alors engagé la responsabilité de l’association, celle du manadier en sa qualité de superviseur de l’animation ainsi que celle du cavalier du cheval à l’origine de ses blessures, en tant que propriétaire de l’animal. En première instance puis en appel, l’association fut condamnée pour divers manquements à la sécurité lors de l’organisation du parcours taurin. Le manadier vit sa responsabilité engagée, sur le fondement de l’ancien article 1385 du Code civil (V. désormais, C. civ., art. 1243) relatif à la responsabilité du fait des animaux dont on a la garde alors que la responsabilité du cavalier fut écartée au motif que, malgré son absence de lien de subordination au manadier, lequel n’était pas son commettant, le cavalier dont on voulait engager la responsabilité ayant agi sous les ordres et directives du manadier, il avait en fait perdu un de ses pouvoirs de garde de l’animal, celui de le diriger, qu’en sa qualité de propriétaire du cheval, il était présumé détenir.
En cassation, le manadier contesta le transfert de la garde du cheval que la juridiction du fond lui avait attribuée, exposant le moyen selon lequel le propriétaire d’un animal n'en transfère la garde à un tiers que si ce dernier a reçu les trois pouvoirs constitutifs de la notion de garde, l'usage, la direction et le contrôle de l'animal, ce qui n’avait pas été en l’occurrence le cas, le manadier n’ayant disposé, au moment de la course, que de « prérogatives limitées consistant à donner des directives au cavalier », lequel avait conservé la maîtrise de sa monture, en sorte que le transfert de garde caractérisé pour engager sa responsabilité avait à tort été retenu.
■ Responsabilité du cavalier propriétaire de l’animal
La Cour de cassation approuve la thèse du pourvoi au visa de l'ancien article 1385, applicable à la date du litige. Après avoir rappelé le principe selon lequel « la responsabilité édictée par ce texte à l'encontre du propriétaire d'un animal ou de celui qui s'en sert est fondée sur l'obligation de garde corrélative aux pouvoirs de direction, de contrôle et d'usage qui la caractérisent », elle affirme, appliquant le principe précité au cas d’espèce, que « le seul pouvoir d'instruction du manadier, dont elle constatait qu'il n'avait pas la qualité de commettant, ne permettait pas de caractériser un transfert de garde et qu'il résultait de ses propres constatations que (le) propriétaire du cheval en était également le cavalier, ce dont il résultait qu'il avait conservé au moins les pouvoirs d'usage et de contrôle de l'animal, dont la garde ne pouvait pas avoir été transférée ».
Sans opérer de changement par rapport au droit ancien, le nouvel article 1243 ayant simplement été renuméroté à l’occasion de la réforme du droit des contrats opérée en 2016, maintient la transposition au régime de la responsabilité du fait des animaux de celui relatif à la responsabilité générale du fait des choses, et notamment la présomption de responsabilité du propriétaire, fondée sur l’obligation de garde qui en cette qualité lui incombe, corrélative aux pouvoirs de direction, de contrôle et d’usage qui la caractérisent (Civ. 2e, 17 mars 1965, n° 62-11.860), trois éléments traditionnellement constitutifs de la notion de garde, dont celle de l’animal. La garde résidant cependant dans un pouvoir de fait, celui qui l’exerce est responsable quand bien même il ne serait pas, en droit, le propriétaire de l’animal (Civ. 2e, 8 juill. 1970, n° 69-11.747). C’est la raison pour laquelle la présomption de responsabilité du propriétaire peut être renversée lorsque ce dernier parvient à démontrer, contrairement à celui en l’espèce assigné, qu’au moment où le dommage causé par son animal s’est produit, il en avait perdu ou transféré la garde (Civ. 2e, 5 mars 1953).
■ Conditions du transfert de la garde de l’animal
Il est en effet aussi juste que logique de décharger le propriétaire de sa responsabilité présumée lorsque l’animal s’est de fait trouvé, au moment où le dommage s’est produit, sous la garde d’un autre. Cependant, cet arrêt posait plus précisément la question de savoir si pour considérer la garde transférée, l’ensemble de ses éléments constitutifs – usage (se servir de la chose) ; contrôle (pouvoir de surveillance de la chose) ; direction (pouvoir de définir la finalité de son utilisation) doit avoir été transmis au tiers, ou si la délégation d’une seule partie de ces pouvoirs peut suffire à caractériser le transfert de la garde de l’animal. Selon les juges du fond, le transfert de garde était caractérisé du seul fait que le cavalier obéissait à des « ordres et directives » du manadier car il revenait à ce dernier « d'établir le parcours de l'abrivado, de sélectionner les chevaux et les cavaliers et de leur assigner la place qui convient dans l'escorte », bien qu’ils reconnaissaient que « M. X, propriétaire du cheval, en était également le cavalier, ce dont il résultait qu'il avait conservé au moins les pouvoirs d'usage et de contrôle de l'animal ». En d’autres termes, la seule perte par le propriétaire de son pouvoir de direction leur suffisait à caractériser le transfert de la garde du cheval de son propriétaire au manadier. C’est ce que réfute la Cour de cassation en soulignant que le propriétaire « avait conservé au moins les pouvoirs d'usage et de contrôle de l'animal, dont la garde ne pouvait pas avoir été transférée », une fois précisé qu’il n’avait pas la qualité de préposé, incompatible avec celle de gardien (Civ. 27 févr. 1929).
Cet arrêt confirme ainsi l’évolution récente de la jurisprudence de la Cour de cassation qui s’oriente, non sans rigueur à l’endroit du propriétaire de l’animal, vers l’obligation faite aux juges du fond, pour considérer la garde transférée et permettre ainsi au propriétaire de renverser sa présomption de responsabilité, de constater que l’ensemble des pouvoirs de garde avaient été confiés, lors de la survenance du dommage, au tiers (V. notam. Civ. 2e, 15 avr. 2010 ; Civ. 2e, 20 juin 2002, n° 00-17.081); sinon, dès lors qu’il conserve, tel qu’en l’espèce, une partie de ses pouvoirs de gardien (comp. Civ. 2e, 20 juin 2002, préc., à propos d’un cavalier dont le cheval cause un dommage au cours d’une scène de cascade équestre), il ne peut invoquer leur transfert pour invoquer son absence de responsabilité.
Civ. 2e, 16 juillet 2020, n° 19-14.678
Références
■ Civ. 2e, 17 mars 1965, n° 62-11.860 P : RTD civ., 1965.656, obs. R. Rodière
■ Civ. 2e, 8 juill. 1970, n° 69-11.747 P : D.1970.704
■ Civ. 2e, 5 mars 1953 : D. 1953.473, note R. Savatier
■ Civ. 27 févr. 1929 : DP 1929, 1, p. 297
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