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[ 22 janvier 2025 ] Imprimer

Droit des obligations

Restitution de l’indemnité d’occupation consécutive à l’annulation de la vente : précisions importantes sur l’application du droit nouveau

Il résulte de la combinaison des articles 1352-3, alinéa 1, et 1352-7 du Code civil que la créance de restitution due au vendeur à la suite de l'annulation de la vente, incluant la valeur de la jouissance que la chose a procurée à l'acquéreur qui, s'il est de bonne foi, ne la doit qu'à compter du jour de la demande, n'est pas subordonnée à l'absence de mauvaise foi ou de faute du vendeur.

Civ. 3e, 5 déc. 2024, n° 23-16.270

Par acte authentique du 15 septembre 2017, un couple d’acquéreurs avait acquis une maison d'habitation. Ayant subi, en juin 2018, un important dégât des eaux, ils avaient assigné leurs vendeurs en annulation du contrat sur le fondement du dol dont ils auraient été victimes. La vente ayant été annulée, la cour d’appel refusa en conséquence d’octroyer aux vendeurs une indemnité d’occupation, motif pris de leur réticence dolosive. Devant la Cour de cassation, ces derniers soutenaient alors que la restitution due par l'acheteur à la suite de l'annulation d'un contrat de vente inclut par principe la valeur de la jouissance que la chose a procurée, même en cas de faute du vendeur. La troisième chambre civile de la Cour de cassation devait ainsi répondre à la question de savoir si le vendeur fautif reste fondé à obtenir une indemnité correspondant à l’occupation de l’immeuble par l’acheteur. Elle y répond par l’affirmative, sur le fondement des articles 1352-3, alinéa 1er, et 1352-7 du Code civil, tous deux issus de la réforme du 10 février 2016. Elle induit de la combinaison de ces textes que « si la mauvaise foi du vendeur ne peut le priver de sa créance de restitution ensuite de l'annulation de la vente, incluant la valeur de la jouissance que la chose a procurée à l'acquéreur, ce dernier, s'il est de bonne foi, ne doit cette valeur qu'à compter du jour de la demande ». Or pour rejeter la demande d'indemnité d'occupation formée par les vendeurs, l'arrêt d’appel a énoncé que l'occupation du bien résultant directement de leur faute dolosive, cette faute justifiait de les priver de leur créance de restitution. En statuant ainsi, alors que la restitution due aux vendeurs ensuite de l'annulation de la vente immobilière n'est pas subordonnée à l'absence de faute de leur part, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne mentionne pas, a violé les textes susvisés.

Jusqu’à l’ordonnance du 10 février 2016, le Code civil ne contenait aucune règle générale relative aux restitutions, que celles-ci soient consécutives à l’annulation du contrat, ou relatives à d’autres hypothèses. Pour combler cette lacune, la réforme de 2016 a introduit, aux articles 1352 s. du Code civil, un régime général applicable aux restitutions, quelle qu’en soit la cause ; ainsi de la nullité du contrat (v. art. 1378, al. 3, opérant un renvoi aux art. 1352 à 1352-9 C. civ.). Ce faisant, elle a conduit à modifier notablement le régime existant tel qu’il avait été défini, en l’absence de dispositions légales, par la jurisprudence. Rendue à propos d’une vente conclue après la réforme, la décision rapportée présente l’intérêt de mettre en application les principaux changements apportés à la fois au domaine des restitutions ainsi qu’à leurs conditions de mise en œuvre, en l’espèce relatives à la jouissance par l’acheteur de la valeur de la chose, objet du contrat annulé.

Un droit à la restitution de la valeur de jouissance - Les difficultés liées aux restitutions concernent notamment leurs conditions de mise en œuvre, dans l’hypothèse d’une jouissance de la chose par l’acheteur entre la conclusion et l’annulation du contrat (v. F. Collart Dutilleul, Ph. Delebecque et P.-E. Bucher, Contrats civils et commerciaux, Dalloz, 12e éd., coll. « Précis », 2023, n° 276). En effet, une difficulté se présente lorsque durant le laps de temps s’écoulant entre la date de conclusion d’une vente immobilière et son annulation par le juge, l’acheteur a occupé la maison, objet de la convention annulée. Doit-il, en conséquence de l’annulation, verser une indemnité de jouissance au vendeur ? Avant la réforme, cette question avait fait l’objet d’une opposition entre la première et la troisième chambre civile de la Cour de cassation, avant d’être tranchée par un arrêt de la Chambre mixte du 9 juillet 2004 (n° 02-16.302, Bull. 2004). À son terme, « le vendeur n’est pas fondé, en raison de l’effet rétroactif de l’annulation de la vente, à obtenir une indemnité correspondant à la seule occupation de l’immeuble par l’acquéreur ». En raison de la rétroactivité inhérente à l’annulation, le vendeur n’était pas fondé à obtenir une indemnité correspondant à l’utilisation de la chose par l’acquéreur. La Cour de cassation consacrait ainsi, en droit de la vente, une approche drastique de la rétroactivité, considérant que tous les effets de fait comme de droit de la convention devaient être effacés (contra, à propos du bail, Ch. mixte, 9 nov. 2007, n° 06-19.508, admettant la restitution du montant de l’indemnité d’occupation par le preneur en contrepartie de sa jouissance des lieux). Selon cette approche, l’acheteur était donc censé n’avoir jamais occupé l’immeuble, en sorte qu’aucune indemnité ne pouvait être due de ce chef au vendeur. 

Cette solution a été modifiée par l’ordonnance du 10 février 2016, l’article 1352-3 du Code civil ici visé par la Cour disposant en effet que pour tous les contrats entrant dans le champ temporel des nouvelles dispositions, la restitution inclut la valeur de la jouissance que la chose a procurée à l’occasion de l’exécution du contrat. Sous l’angle du régime général de l’obligation, le texte nouveau pose ainsi le principe de compensation de la jouissance que la chose a procurée, quel que soit le contrat concerné. La distinction autrefois opérée entre les différents contrats spéciaux est abandonnée de façon à intégrer la valeur de la jouissance que la chose a procurée à l’acquéreur dans le champ d’application du droit nouveau. Rompant avec la jurisprudence antérieure, l’indemnité d’occupation entre donc désormais dans l’objet de l’obligation de restitution de l’acheteur. Cependant, l’inclusion légale de cette indemnité dans la créance de restitution du vendeur n’épuise pas toutes les difficultés. Encore faut-il savoir si la mise en œuvre de cette obligation de restitution reste subordonnée, comme l’exigeait la jurisprudence antérieure, à la mauvaise foi de son débiteur et, comme en ont déduit les juges du fond dans cette affaire, à la bonne foi de son créancier.

Un droit indépendant de la bonne ou mauvaise foi des parties – Selon le rapport accompagnant l’ordonnance, la compensation de la jouissance de la chose par le versement d’une indemnité d’occupation apparaît comme un équivalent économique des fruits que la chose aurait pu produire. Or avant la réforme, la jurisprudence rendue à propos des fruits produits par la chose objet du contrat anéanti considérait, en application des anciens articles 549 et 550 du Code civil exploités à défaut de règles spécifiques dans la théorie des nullités, qu’une distinction devait être établie selon que le débiteur de la restitution était de bonne ou mauvaise foi : si celui-ci était de bonne foi, ignorant le vice dont la convention était atteinte, il pouvait conserver les fruits ; à défaut, et dans tous les autres cas, il devait les restituer. Constante en jurisprudence, cette solution n’a pas été reprise par l’ordonnance du 10 février 2016, l’article 1352-3, alinéa 1er, du Code civil disposant que la restitution inclut en toutes hypothèses les fruits et la valeur de la jouissance que la chose a procurée. Ainsi, le texte nouveau ne conditionne pas la restitution à la mauvaise foi du débiteur de l’obligation de restituer. Conformément à cette évolution législative, la troisième chambre civile applique ici ce principe nouveau d’indépendance entre la bonne foi du débiteur et l’obligation de restitution. Ainsi, en l’espèce, malgré la bonne foi des acheteurs victimes de réticence dolosive, ces derniers ne pouvaient comme jadis arguer de leur bonne foi pour priver le vendeur de sa créance de restitution (comp. Civ. 3e, 3 mai 2018, n° 17-11.132 : en cas d’annulation du contrat pour erreur, le vendeur ne peut obtenir la restitution des loyers perçus par l’acheteur dès lors que l’erreur de celui-ci était excusable et qu’il n’était pas de mauvaise foi). Dans tous les cas, l’acheteur doit donc désormais restitution au vendeur des fruits ainsi que la valeur de la jouissance que la chose a procurée. 

Indépendante de la mauvaise foi du débiteur, l’obligation de restitution l’est également de la bonne foi de son créancier, ainsi que de son absence de faute : alors que les juges du fond, sans appliquer strictement le droit ancien, l’avaient toutefois interprété comme privant le vendeur s’étant rendu coupable de dol du droit d’obtenir sa créance de restitution, la Cour de cassation affirme à l’inverse que le vendeur de mauvaise foi, ou fautif, reste en droit d’exiger le règlement de sa créance. Elle poursuit ainsi l’interprétation des nouveaux textes issus de l’ordonnance concernant les restitutions consécutives à l’annulation de la vente : de même que le droit nouveau ne fait pas dépendre l’obligation de restitution de la mauvaise foi du débiteur, il rend le principe de la créance autonome de la bonne foi ou de l’absence de faute de son créancier, raison pour laquelle les juges du fond ne pouvaient en l’espèce, sans ajouter à la loi une condition que celle-ci n’exige pas, s’opposer au paiement de l’indemnité d’occupation au motif que les vendeurs s’étaient rendus coupables de réticence dolosive. 

L’incidence de la bonne foi sur la date de calcul des restitutions – Le refus précédemment opéré par la Cour de toute distinction selon la bonne ou mauvaise foi des parties respecte pleinement la logique présidant à l’article 1352-7 du Code civil, qui ne vient introduire la notion de bonne foi qu’à l’effet de déterminer l’étendue temporelle de la restitution. En effet, l’ordonnance a également renouvelé le régime des restitutions par de nouvelles règles de calcul des sommes correspondant aux fruits et à l’indemnité de jouissance. Elle a en ce sens utilement précisé la période à laquelle ces sommes sont dues en réintégrant la distinction fondée sur la bonne ou mauvaise foi du débiteur : lorsque le débiteur de la restitution est de mauvaise foi, les sommes doivent être calculées à partir du paiement alors qu’elles ne commencent à être dues, en cas de bonne foi, qu’au jour de la demande puisque celui-ci ne peut plus, à cette date, ignorer l’existence du vice (C. civ., art. 1352-7 ; v. avant la réforme la solution constante : pour une dernière illustration, Civ. 3e, 1er oct. 2020, n° 19-20.737).

La Cour confirme alors, en application du droit nouveau, l’effet de la bonne foi sur la date de calcul des restitutions, l’acquéreur de bonne foi ne devant cette valeur qu'à compter du jour de la demande : en l’espèce, la bonne foi des acquéreurs, qui n’ont commis aucune faute, leur permettra donc devant la cour d’appel de renvoi de limiter l’indemnité d’occupation ordonnée à partir du jour de la notification des premières conclusions des vendeurs ayant sollicité une telle prétention.

À retenir : L’article 1352-3 du Code civil empêche de priver le vendeur coupable de dol de sa créance de restitution fondée sur l’occupation de l’immeuble par l’acquéreur mais en vertu de l’article 1352-7, l’acquéreur, en raison de sa bonne foi, n’est comptable d’une telle indemnité d’occupation qu’à partir de la demande formalisant cette prétention et non depuis le jour de la mise à disposition du bien.

Références :

■ Ch. mixte, 9 juill. 2004, n° 02-16.302 D. 2004. 2175, note C. Tuaillon ; AJDI 2005. 331, obs. F. Cohet-Cordey ; RTD civ. 2005. 125, obs. J. Mestre et B. Fages

■ Ch. mixte, 9 nov. 2007, n° 06-19.508 D. 2007. 2955, obs. V. Avena-Robardet ; AJDI 2008. 47

■ Civ. 3e, 3 mai 2018, n° 17-11.132 D. 2018. 1008 ; ibid. 2019. 279, obs. M. Mekki ; ibid. 1129, obs. N. Damas ; AJDI 2019. 150, obs. F. Cohet ; RTD civ. 2018. 658, obs. H. Barbier

■ Civ. 3e, 1er oct. 2020, n° 19-20.737 D. 2020. 1952 ; ibid. 2021. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; AJDI 2021. 470, obs. F. Cohet

 

Auteur :Merryl Hervieu


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