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Procédure pénale
Retard dans la notification des droits et refus de se soumettre aux prélèvements biologiques et aux relevés signalétiques
Le présent arrêt est particulièrement riche pour la procédure pénale. Il rappelle que le retard dans la notification des droits des personnes placées à vue peut être justifié par des circonstances insurmontables qui peuvent résulter d’une désorganisation des services de police tenant à de violentes manifestations. Les prélèvements biologiques et relevés signalétiques, leur conservation ainsi que la sanction pénale de leur refus ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée dès lors qu’est prévu un recours en cas de relaxe ou d’acquittement afin de demander l’effacement de ces données. Le refus de se soumettre à des prélèvements ainsi qu’à des relevés signalétiques est sanctionné pénalement. La relaxe postérieure pour les faits ayant justifié ces prélèvements n’est pas de nature à exclure la qualification de refus de s’y soumettre dès lors qu’il existait, au moment de la garde à vue, des indices graves et concordants permettant de penser que la gardée à vue ait participé à l’infraction en cause.
Crim. 28 octobre 2020, n° 19-85.812
Mme T. a été placée en garde à vue pour des faits de dégradations volontaires qui se sont déroulés lors qu’une manifestation non déclarée du mouvement « gilets jaunes ». Elle refuse, à l’occasion de cette garde à vue, de se soumettre au prélèvement biologique destiné à recueillir son empreinte génétique ainsi qu’au relevé de ses empreintes digitales. Condamnée par le tribunal correctionnel pour les infractions de dégradations aggravées et refus de se soumettre aux relevés signalétiques et refus de se soumettre au prélèvement biologique, elle relève appel de ce jugement.
La cour d’appel rejette d’une part les exceptions de nullité soulevées par Mme T. tendant à l’annulation de son placement en garde à vue ainsi que des actes subséquents. La cour d’appel a ainsi écarté les griefs tenant à la nullité de la procédure de garde à vue, notamment l’information tardive de ses droits ainsi que de l’information donnée au procureur de la République de la mesure dont elle faisait l’objet. La cour d’appel justifie écarter ces griefs pour le motif de circonstances insurmontables justifiant ces délais, circonstances résultant des troubles importants survenus à Bayonne à l’occasion d’une manifestation marquée par des violences et d’importantes dégradations du commissariat. Ces circonstances alliées à la nécessité de recourir à un interprète permettent à la cour d’appel de considérer justifiés les délais dans lesquels les formalités liées au placement en garde à vue ont été accomplies. Est également écarté par la cour d’appel le grief selon lequel le formulaire de notification des droits n’a pas été remis immédiatement à la prévenue mais seulement lors de la notification de ses droits. La cour d’appel avait relevé que le formulaire a été régulièrement remis au moment de la notification des droits et n’avait pas à l’être préalablement.
D’autre part, la cour d’appel condamne Mme T. pour refus de se soumettre à un prélèvement biologique destiné à identifier son empreinte génétique. Elle retient à ce titre que, lors de son interpellation, les constatations immédiates des policiers la désignaient comme ayant participé aux dégradations du commissariat de police de Bayonne, infraction entrant dans les prévisions de l’article 706-55 du Code de procédure pénale. Aussi, la relaxe prononcée pour cette infraction n’est pas de nature à anéantir l’existence, au début de l’enquête, d’indice graves et concordant d’y avoir participé, justifiant tant le prélèvement que l’application de sanctions pénales attachées au refus de s’y soumettre. Par ailleurs, la faculté pour la prévenue d’obtenir l’effacement de ses données enregistrées au FNAEG exclut toute violation du droit au respect à la vie privée tel qu’il résulte de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Enfin, l’arrêt retient la culpabilité de Mme T. au titre du refus de se soumettre à des relevés signalétiques dont la répression est prévue par l’article 55-1 du Code de procédure pénale. La cour d’appel considère, là également, que la relaxe prononcée par la suite pour l’infraction au titre de laquelle il existait, au moment de sa garde à vue, des indices graves et concordants permettant de penser qu’elle y ait participé et justifiant ainsi le prélèvement, n’est pas de nature à exclure la qualification de refus de s’y soumettre.
Le premier moyen au soutien du pourvoi porte sur le rejet des exceptions de nullité soulevées en appel.
Il est à ce titre reproché à la cour d’appel d’avoir statué par des motifs contradictoires rejetant l’exception de nullité tirée d’un retard dans la notification des droits des personnes gardées à vue. En effet, selon le pourvoi, un tel retard ne saurait être justifié que par des circonstances insurmontables existant au moment où il est procédé au placement en garde à vue. En retenant que le climat insurrectionnel tel qu’il résulte des procès-verbaux était de nature à justifier le retard alors même que ces mêmes procès-verbaux font état d’un calme rétabli au moment de l’interpellation, la cour d’appel a statué par des motifs contradictoires.
Sont également remis en cause les arguments retenus par la cour d’appel pour caractériser les circonstances justifiant le retard dans de la notification des droits de la personne placée à vue. À ce titre, la personne placée en garde à vue doit se voir notifier immédiatement ses droits dans une langue qu’elle comprend. Aussi, le retard dans la notification des droits ne saurait être justifié par la nécessité de disposer du concours d’un interprète en l’absence de circonstances insurmontables faisant obstacle à la recherche de cet interprète. En se prévalant seulement de la complexité de la situation à laquelle les OPJ avaient été confrontés ce soir, la cour d’appel n’a pas caractérisé la circonstance insurmontable justifiant qu’il n’était pas possible de faire immédiatement appel à un interprète.
En outre, la notification des droits par l’interprète par moyen de télécommunication est possible seulement si un procès-verbal constate l’impossibilité pour ce dernier de se déplacer ce qui n’est pas le cas. Le moyen ajoute que la remise d’un formulaire d’information des droits de la personne dans une langue qu’elle comprend s’impose dès lors que cette personne ne s’est pas vue notifier ses droits par un interprète. Cette carence est en soit de nature à justifier la nullité de la procédure de garde à vue et des actes subséquents sans qu’il soit nécessaire de démontrer que la prévenue ait subi un grief de ce fait, ainsi que semble l’imposer la cour d’appel ayant écarté ce moyen de nullité.
Enfin, il est relevé que la cour d’appel n’a pas justifié des circonstances insurmontables qui auraient permis de justifier que le procureur de la République n’ait été informé de la mesure de garde à vue non pas dès le début de la mesure mais 54 minutes plus tard. Il n’est de plus, pas établi qu’il ait été informé des motifs du placement en garde à vue et de la qualification des faits.
La Cour de cassation rejette l’ensemble des moyens. Pour ce qui a trait au retard dans l’intervention de l’interprète et dans l’information transmise au procureur de la République, il ne résulte pas des pièces de la procédure que Mme T. ait soulevé ces exceptions devant les juges du fond si bien qu’ils apparaissent tardifs et dès lors, irrecevables. Pour ce qui relève des délais dans lesquels les formalités liées au placement en garde à vue ont été accomplies, la Cour de cassation considère que les motifs relevés par la cour d’appel caractérisant l’existence de circonstances insurmontables relèvent de son appréciation propre et sont dénués d’insuffisance. Enfin, pour ce qui concerne la remise du formulaire d’information des droits de la personne placée à vue, la Cour de cassation considère que la cour d’appel a fait une exacte application des articles 63-1 et 803-6 du Code de procédure pénale dont il résulte que le formulaire doit être remis en cas de placement en garde à vue, lors de la notification des droits inhérents à cette mesure.
Le deuxième moyen porte sur la qualification et la condamnation pour de refus de se soumettre à un prélèvement biologique destiné à permettre l’analyse et l’identification de son empreinte génétique par une personne soupçonnée d’infraction entraînant son inscription au FNAEG.
Plusieurs arguments viennent au soutien du pourvoi. Cette obligation de se soumettre sous peine de sanction pénale, à un prélèvement d’empreinte génétique pour en permettre l’inscription et la conservation pour une durée de 25 ou 40 ans au FNAEG sans distinguer selon la gravité des faits ou de l’infraction en cause, constituerait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale tel qu’il résulte de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Par ailleurs, en se bornant à retenir la faculté, pour la prévenue, de demander l’effacement des données enregistrées au FNAEG et rappelé qu’il avait été jugé que les durées de conservations des empreintes génétiques sont raisonnablement proportionnées à la nature des infractions concernées ainsi qu’aux buts poursuivis par le législateur pour conclure que la condamnation de Mme T. pour refus de se soumettre au prélèvement ADN ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale, la cour d’appel a privé sa décision de base légale. Il est également relevé que la relaxe prononcée pour l’infraction de dégradation excluait par voie de conséquence l’existence d’indices graves ou concordants rendant vraisemblable la commission de l’infraction. En condamnant Mme T. sur le fondement de refus de se soumettre à un prélèvement ADN et relaxé cette dernière de l’infraction justifiant le prélèvement, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations. Aussi, la relaxe prononcée est de nature à exclure l’infraction de refus de prélèvement biologique en présence d’indices graves et concordants.
La Cour de cassation rejette l’ensemble des arguments.
Elle souligne dans un premier temps l’articulation des articles du Code de procédure pénale et rappelle ce qu’il résulte de ces textes. Ainsi, la personne placée en garde à vue pour une infraction entrant dans les prévisions de l’article 706-55 du Code de procédure pénale, dès lors qu’il existe des indices graves et concordant laissant penser qu’elle y ait participé, est tenue de se soumettre au prélèvement biologique et que son refus de s’y soumettre est pénalement sanctionné conformément aux dispositions de l’article 706-56 du même Code. Le droit de recours permettant aux personnes qui n’ont pas été condamnées pour l’infraction à l’occasion de laquelle ce prélèvement a été effectué de demander l’effacement des empreintes génétiques permet de considérer que ni ce prélèvement, ni la sanction attachée à son refus ne représentent une ingérence excessive dans le droit au respect de la vie privée et familiale. Elle considère également que « la relaxe de l’infraction à l’occasion de laquelle le prélèvement a été effectué n’est pas contradictoire avec la condamnation pour refus de se soumettre à ce prélèvement ».
Le dernier moyen critique l’arrêt en ce qu’il déclare Mme T. coupable des faits de refus de se soumettre à des relevés signalétiques alors que la cour d’appel n’a pas examiné le moyen selon lequel le prononcé à son encontre d’une telle condamnation constitue une atteinte disproportionnée au respect de sa vie privée et familiale, privant ainsi sa décision de base légale. Il est également avancé que la relaxe de la prévenue au titre de l’infraction pour laquelle le prélèvement a été refusé excluait qu’il ait existé des raisons plausibles qu’elle ait commis ou tenté de commettre cette infraction, écartant par voie de conséquence, l’infraction de refus de se soumettre au prélèvement.
La Cour de cassation rejette également ce dernier moyen. Elle souligne que par suite de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme pour insuffisance de l’encadrement des modalités de collecte et de conservation des données au regard des exigences de la Convention, le législateur français a modifié le dispositif en cause (CEDH 18 avr. 2013, M. K. c/ France, n° 19522/09). Le relevé d’empreintes digitales est désormais exclu en matière contraventionnelle, la durée de la conservation de ces données est limitée et leur effacement est rendu possible en cas de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement. Il en résulte que l’obligation de se soumettre au relevé de ses empreintes au même titre que la sanction prévue en cas de refus « ne constituent pas une ingérence excessive dans le droit au respect de la vie privée et familiale ». Elle considère également que « la relaxe de l’infraction à l’occasion de laquelle le relevé a été effectué n’est pas contradictoire avec la condamnation pour refus de se soumettre à ce prélèvement » dès lors qu’il existait, au début de l’enquête, des indices graves et concordants désignant la prévenue comme ayant participé à l’infraction en cause.
L’arrêt est néanmoins cassé par la Cour de cassation sur un moyen tout autre et relevé d’office : celui ayant trait à la recevabilité de l’action exercée devant les tribunaux de l’ordre judiciaire et tendant à faire déclarer l’État créancier ou débiteur pour des causes étrangères à l’impôt. Une telle action doit être intentée, à peine de nullité, par l’agent judiciaire de l’État. La cour d’appel a ici confirmé la recevabilité de la constitution de partie civile du commissariat. La Cour de cassation considère qu’ « en admettant ainsi la recevabilité de la constitution de partie civile du commissariat de police, alors que l’exercice de l’action civile au nom d’un service de l’État est réservé en l’absence de disposition particulière de nature législative, à l’agent judiciaire de l’Etat, la cour d’appel a méconnu » les dispositions de la loi n° 55-366 du 3 avril 1955, particulièrement de l’article 38 en ce qu’il conditionne la recevabilité d’une telle action.
Références
■ CEDH 18 avr. 2013, M. K. c/ France, n° 19522/09 § 41 : D. 2013. 1067, et les obs. ; ibid. 2014. 843, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; RSC 2013. 666, obs. D. Roets
■ V. Gautron, Rép. pén., Dalloz, v° Fichiers de police, 2015, n° 131-140.
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