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[ 13 janvier 2010 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Rétention administrative familiale et traitement inhumain

Mots-clefs : Reconduite à la frontière, Rétention, Intérêt de l’enfant, Libertés et droits fondamentaux, Traitement inhumain

Est impropre à caractériser le traitement inhumain et dégradant le maintient d’un couple avec enfant en bas âge dans un centre de rétention disposant d’un espace réservé aux familles avant leur reconduite à la frontière.

Par deux arrêts de la première chambre civile en date du 10 décembre 2009 (n° 08-14.141 et n°08-21.101), la Cour de cassation énonce que la présence d’un enfant en bas âge accompagnant ses parents n’est pas un fait constituant un traitement inhumain, au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, ensemble l’article L. 552-1 CESEDA, de nature à justifier la non-prolongation de la rétention administrative.

Dans la première affaire (n°08-14.141), un Arménien était en situation irrégulière en France et s’était trouvé enjoint par arrêté préfectoral de quitter le territoire français. Dans la seconde, il s’agissait d’un couple de sri lankais (n°08-21.101). Rappelons que préalablement à la phase de reconduite à la frontière proprement dite, l’étranger est placé sur décision du préfet en rétention administrative (Ord. n°2004-1248 du 24 nov. 2004) qui ne peut excéder 48 heures (art. L. 552-1 CESEDA) mais que le juge des libertés et de la détention peut prolonger (art. L. 552-3 CESEDA). Dans les deux affaires, tous avaient été placés avec leur enfant en bas âge (respectivement deux mois et demi et un an) dans des centres de rétention. Dans le premier arrêt, le juge des libertés et de la détention avait refusé de prolonger la rétention. Dans le second, à l’inverse, l’ordonnance du juge prolongeait la rétention. Les cours d’appel, elles, ont refusé la prolongation en arguant que le fait de maintenir dans un tel lieu un enfant si jeune, même si le centre offrait un espace réservé aux familles, constituait au sens de l’article 3 de Convention européenne des droits de l’homme un traitement inhumain en raison d’une part, des conditions de vie anormales pour le couple et l’enfant et d’autre part, de la souffrance, notamment morale, « manifestement disproportionnée avec le but poursuivi, c’est-à-dire la reconduite à la frontière ».

La Haute juridiction n’a donc pas suivi les arguments défendus par les magistrats et avocats qui préconisaient pourtant l’intérêt supérieur de l’enfant, considération dite « primordiale » selon l’article 3, § 1er de la Convention internationale des droits de l’enfant. Rappelons aussi que si l’enfant ne doit pas être séparé de ses parents, l’avis émis par la Commission nationale de déontologie (Avis n°2007-121 du 23 octobre 2007) ainsi que les rapports 2008 et 2009 de la défenseuse des enfants (http://www.defenseurdesenfants.fr/) recommandent de privilégier l’assignation à résidence des parents (ou leur placement en résidence hôtelière), plutôt qu’un placement en rétention, les centres — bien qu’équipés notamment de matériel de puériculture (art. R. 553-3, dernier al. CESEDA) — n’offrant pas une vie adaptée aux besoins quotidiens d’un enfant.

Civ. 1re, 10 décembre 2009, n° 08-14.141 et n°08-21.101

Références

■ F. Rome, « Quand les bornes sont dépassées, il n’y a plus de limites », D. 2009. 2913.

Juge des libertés et de la détention
« Juge compétent pour ordonner ou prolonger la détention provisoire. Institué par la loi no 2000-516 du 15 juin 2000, il prononce ces mesures en lieu et place du juge d’instruction jusque-là compétent pour le faire. Saisi par ce dernier, le JLD est un magistrat du siège ayant rang de président, premier vice-président ou vice-président. »

Reconduite à la frontière
« Mesure prise par arrêté préfectoral à l’égard d’un étranger qui est la conséquence d’une obligation de quitter le territoire. Elle résulte, soit d’une décision de l’autorité administrative contre un étranger qui s’est vu refuser un titre de séjour, soit de plein droit du prononcé de la peine d’interdiction du territoire. »

Rétention
« Dans le cadre d’une procédure de reconduite à la frontière, possibilité donnée à l’Administration de placer pendant une durée limitée l’étranger en cause, s’il ne peut être immédiatement expulsé, dans des locaux surveillés, mais qui ne peuvent relever de l’Administration pénitentiaire. »

Source : Lexique des termes juridiques 2010, 17e éd., Dalloz, 2009.

Article 3 de Convention européenne des droits de l’homme – Interdiction de la torture
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile

Article L. 552-1
« Quand un délai de quarante-huit heures s'est écoulé depuis la décision de placement en rétention, le juge des libertés et de la détention est saisi aux fins de prolongation de la rétention. Il statue par ordonnance au siège du tribunal de grande instance dans le ressort duquel se situe le lieu de placement en rétention de l'étranger, sauf exception prévue par voie réglementaire, après audition du représentant de l'administration, si celui-ci, dûment convoqué, est présent, et de l'intéressé ou de son conseil, s'il en a un. L'étranger peut demander au juge des libertés et de la détention qu'il lui soit désigné un conseil d'office. Toutefois, si une salle d'audience attribuée au ministère de la justice lui permettant de statuer publiquement a été spécialement aménagée à proximité immédiate de ce lieu de rétention, il statue dans cette salle. »

Article L. 552-3
« L'ordonnance de prolongation de la rétention court à compter de l'expiration du délai de quarante-huit heures fixé à l'article L. 552-1. »

Article R. 553-3
« Les centres de rétention administrative, dont la capacité d'accueil ne pourra pas dépasser 140 places, offrent aux étrangers retenus des équipements de type hôtelier et des prestations de restauration collective. Ils répondent aux normes suivantes :
1° Une surface utile minimum de 10 mètres carrés par retenu comprenant les chambres et les espaces librement accessibles aux heures ouvrables ;
2° Des chambres collectives non mixtes, contenant au maximum six personnes ;
3° Des équipements sanitaires, comprenant des lavabos, douches et w.-c., en libre accès et en nombre suffisant, soit un bloc sanitaire pour 10 retenus ;
4° Un téléphone en libre accès pour cinquante retenus ;
5° Des locaux et matériels nécessaires à la restauration conformes aux normes prévues par un arrêté conjoint du ministre de l'agriculture, du ministre de la défense, du ministre chargé de la santé et du ministre chargé des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat ;
6° Au-delà de quarante personnes retenues, une salle de loisirs et de détente distincte du réfectoire, dont la superficie est d'au moins 50 mètres carrés, majorée de 10 mètres carrés pour quinze retenus supplémentaires ;
7° Une ou plusieurs salles dotées d'équipement médical, réservées au service médical ;
8° Un local permettant de recevoir les visites des familles et des autorités consulaires ;
9° Le local mentionné à l'article R. 553-7, réservé aux avocats ;
10° Un local affecté à l'organisme mentionné à l'article R. 553-13 ;
11° Un local, meublé et équipé d'un téléphone, affecté à l'association mentionnée au premier alinéa de l'article R. 553-14 ;
12° Un espace de promenade à l'air libre ;
13° Un local à bagages.
Les centres de rétention administrative susceptibles d'accueillir des familles disposent en outre de chambres spécialement équipées, et notamment de matériels de puériculture adaptés. »

Article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant
« 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale.
2. Les États parties s'engagent à assurer à l'enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées.
3. Les États parties veillent à ce que le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en ce qui concerne le nombre et la compétence de leur personnel ainsi que l'existence d'un contrôle approprié. »

 

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