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[ 25 avril 2018 ] Imprimer

Procédure pénale

Rétention de sûreté : application de la loi dans le temps

Introduite en 2008, la rétention de sûreté est une mesure de sûreté pour les individus considérés comme particulièrement dangereux, dont la « probabilité très élevée de récidive » est liée à un « trouble grave de la personnalité ». Controversée dans son principe et/ou ses modalités lors de son adoption, cette mesure fait l’objet d'une décision rendue par la chambre criminelle le 28 mars dernier. La décision commentée présente l'intérêt particulier de revenir sur quelques règles applicables à la rétroactivité de la mesure en cas de violation de la surveillance de sûreté et sur l’exigence de motivation concernant la proposition de soins adaptés au cours de la peine, à défaut de laquelle le placement est impossible.

Un rappel préalable des faits s’impose. En l’espèce, un individu avait été condamné en 2000, par la cour d’assises du Doubs, à vingt ans de réclusion criminelle pour viols aggravés en récidive, actes de torture et de barbarie, violences volontaires aggravées, menaces, escroquerie, et vol aggravé. Il fut placé sous surveillance judiciaire, pendant une durée de quatre ans, à compter de la fin de son incarcération par jugement du tribunal de l’application des peines de Nancy, du 26 août 2010. Mais n’ayant pas respecté les obligations qui lui avaient été imposées dans le cadre de la surveillance judiciaire, toutes les réductions de peine liées lui ont été retirées et le condamné fut donc réincarcéré, jusqu’au 8 juin 2016. Par une décision du 31 mai 2016, la juridiction régionale de la rétention de sûreté de Nancy plaça le condamné sous le régime de la surveillance de sûreté pendant deux ans à compter de sa libération en lui fixant notamment une injonction de soins.

Une fois encore le condamné ne respecta pas les obligations imposées dans le cadre de la surveillance de sûreté. En conséquence, le 13 janvier 2017, le juge de l’application des peines saisit le président de la juridiction régionale de la rétention de sûreté, sur le fondement des articles 706-53-19 et R. 53-8-52 du Code de procédure pénale, afin que l’individu soit provisoirement placé dans un centre socio-médico-judiciaire de sûreté. Avant que la juridiction régionale ne se prononce, l’individu fut condamné, pour des faits de menaces de mort commises à raison de l’ethnie, à une peine d’un an d’emprisonnement, par le tribunal correctionnel de Verdun, lequel décerna un mandat de dépôt à son encontre. Conséquence de cette nouvelle condamnation, le président de la juridiction régionale de la rétention de sûreté déclara sans objet sa saisine par le juge de l’application des peines, au motif que la surveillance de sûreté était suspendue pendant l’incarcération liée à l’exécution de la peine prononcée par la juridiction correctionnelle.

Le juge de l’application des peines décida alors de saisir la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté pour qu’elle donne un avis sur le placement de l’individu sous le régime de la rétention de sûreté. Celle-ci émettant un avis favorable à l’unanimité au placement sous ce régime, le procureur général près la cour d’appel de Nancy a saisi la juridiction régionale de la rétention de sûreté laquelle, par décision du 28 septembre 2017 a placé le condamné sous le régime de la rétention de sûreté, pendant une durée d’un an, à compter de la fin de son incarcération liée à l’exécution de la peine correctionnelle. 

A l’appui de son pourvoi, le demandeur invoque d’abord le principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère pour contester la possibilité de son placement sous le régime de la rétention de sûreté. 

■ Régime de la rétention de sûreté

Le Conseil constitutionnel saisi du contrôle de la loi avait jugé que cette mesure en cas de placement direct en rétention de sûreté après la fin de la peine ne pouvait être appliquée à raison de faits commis avant l’entrée en vigueur de la loi qui l'a institué comme l’avait souhaité initialement le législateur (Cons. const. 21 févr. 2008, n° 2008-562 DC, § 10). Si les mesures de sûreté échappent en principe à la non-rétroactivité, le Conseil constitutionnel a étendu les garanties d'une peine à cette mesure qui n'en présente, juridiquement, pas les attributs. Il a estimé « que la rétention de sûreté, eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite et au fait qu'elle est prononcée après une condamnation par une juridiction, ne saurait être appliquée à des personnes condamnées avant la publication de la loi ou faisant l'objet d'une condamnation postérieure à cette date pour des faits commis antérieurement ». Cette mesure n'est donc applicable qu'aux faits commis postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi.

Néanmoins, le texte de 2008 retenait également la possibilité de placer un individu en rétention de sûreté en cas de violation des obligations découlant de la surveillance de sûreté laquelle, depuis 2010, peut elle-même faire suite à une surveillance judiciaire (L. n° 2010-242 ; C. pr. pén., art. 723-37). Or, dans cette hypothèse, le texte retient le principe de l'application immédiate et cette disposition n'a pas été censurée par le Conseil constitutionnel. Il en découlait, selon le rapport du premier président de la Cour de cassation (V. Lamanda, Amoindrir les risques de récidive criminelle des condamnés dangereux, Rapport au Président de la République, 30 mai 2008, spéc. p. 46), que la rétention de sûreté pouvait rétroagir lorsqu'elle était prononcée en cas de violation des obligations découlant de la surveillance de sûreté. Une telle analyse fustigée par la doctrine (M. Herzog-Evans, La rétention de sûreté serait finalement rétroactive, Blog Dalloz, 1er déc. 2008) et le défenseur des droits (CGLPL, avis, 6 févr. 2014 relatif à la rétention de sûretéJO 25 févr.) vient d’être validée par la chambre criminelle. 

En effet, cette dernière retient qu’en vertu de la décision du Conseil constitutionnel de 2008, «  les dispositions de cette loi relatives à la surveillance de sûreté s’appliquent aux faits commis avant son entrée en vigueur ; qu’il s’en déduit que la rétention de sûreté peut être appliquée, conformément aux articles 723-37 et 706-53-19 du code de procédure pénale, à une personne, même condamnée avant l’entrée en vigueur de cette loi, qui méconnaît, après l’entrée en vigueur de cette loi, les obligations qui lui sont imposées dans le cadre de la surveillance de sûreté ». Dès lors, la chambre criminelle en déduit que le condamné « a valablement pu être placé sous le régime de la rétention de sûreté ».

■ Conditions nécessaires pour recourir à la rétention de sûreté

L’autre moyen soulevé à l’appui du pourvoi était relatif aux conditions nécessaires pour recourir à cette mesure. Au visa de l’article 706-53-15, alinéas 3 et 4, du Code de procédure pénale, la Cour de cassation rappelle que la juridiction régionale de la rétention de sûreté ne peut prononcer une mesure de rétention de sûreté qu’après avoir vérifié que la personne condamnée a effectivement été mise en mesure de bénéficier, pendant l’exécution de sa peine, d’une prise en charge médicale, sociale, et psychologique adaptée au trouble de la personnalité dont elle souffre. La décision de rétention de sûreté doit être spécialement motivée sur ce point. Cette exigence avait déjà fait l’objet des attentions du Conseil constitutionnel. Dans sa décision de 2008, il avait en effet subordonné l'exécution de la loi à la prise en charge effective et complète (dont les soins) de la personne condamnée pendant l'exécution de sa peine précisant « Qu'il appartiendra, dès lors, à la juridiction régionale de la rétention de sûreté de vérifier que la personne condamnée a effectivement été mise en mesure de bénéficier, pendant l'exécution de sa peine, de la prise en charge et des soins adaptés au trouble de la personnalité dont elle souffre ». Cette réserve constitutionnelle avait été introduite formellement dans le Code de procédure par la loi no 2010-242 du 10 mars 2010 tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale.

Or, en l’espèce, la décision de la juridiction régionale de la rétention de sûreté ne comprenait aucun motif sur la nature de la prise en charge, médicale, sociale et psychologique dont a pu bénéficier le condamné au cours de l’exécution de sa peine et la juridiction nationale de la rétention de sûreté avait écarté son argumentation relative à l’insuffisance de la motivation. Selon, cette dernière, « la question de la réalité de la prise en charge et des soins adaptés au trouble de la personnalité durant le temps de sa réclusion criminelle n’ayant pas été soulevée en première instance ni lors du placement sous surveillance judiciaire ou sous surveillance de sûreté, la juridiction régionale n’avait pas à procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée et qui serait revenue à remettre en question les décisions précédentes de placement en milieu libre prises au terme de débats contradictoires ». La chambre criminelle censure logiquement ce point. La motivation retenue par les juges ne correspond pas aux exigences textuelles lesquelles imposent explicitement que la décision de rétention de sûreté soit spécialement motivée sur la prise en charge de soins adaptés au cours de la peine. 

Crim. 28 mars 2018, n° 17-86.938

Référence

■ Cons. const. 21 févr. 2008, n° 2008-562 DC, § 10: AJDA 2008. 714, note P. Jan ; D. 2008. 1359, chron. Y. Mayaud ; ibid. 2025, obs. V. Bernaud et L. Gay ; ibid. 2009. 123, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé et S. Mirabail ; Constitutions 2010. 235, obs. M. Disant ; RSC 2008. 731, note C. Lazerges ; ibid. 2009. 166, obs. B. de Lamy.

 

Auteur :Caroline Lacroix


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