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Droit des obligations
Réticence dolosive : dissimulation de la condamnation d’un salarié à une interdiction de gérer
Mots-clefs : Vice du consentement, Dol, Réticence dolosive
Une société qui omet d’informer son cocontractant, consultant chargé de rechercher des investisseurs, de la condamnation à une interdiction de gérer de l’un de ses salariés, alors que ce dernier occupe des fonctions de responsabilité au sein de la société et un rôle essentiel vis-à-vis des tiers, commet une réticence dolosive intentionnelle et déterminante du consentement de ce cocontractant.
« Vice de consentement à raison de l'erreur de celui qui le subit » le dol est « aussi un délit civil pour celui qui le commet » (G. Paisant). Il en découle que l’annulation d’un contrat conclu à la suite de manœuvres dolosives suppose que ces dernières aient revêtu un caractère déterminant du consentement du contractant victime, d’une part, et un caractère intentionnel de la part de l’auteur du dol, d’autre part.
C’est la présence de ces deux caractères qui était contestée par la partie demanderesse au pourvoi dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt commenté.
Une société s’était attaché les services d’un consultant financier pour mener à bien une augmentation de capital. Les parties avaient conclu un contrat aux termes duquel le consultant s’engageait à assister la société dans la recherche de partenaires financiers, la rémunération de cette mission consistant dans le versement d’une commission sur toute somme investie par un candidat présenté par l’intermédiaire. Ce n’est qu’une fois sa mission bien entamée que ce dernier a découvert que l’un des salariés de sa cocontractante avait été condamné, quelques années plus tôt, à une interdiction de gérer d’une durée de vingt ans. Or ce salarié si discret n’était rien moins qu’un ingénieur spécialisé dans le domaine d’activité de son employeur, et qui avait été l’interlocuteur privilégié de l’intermédiaire dans l’exécution de sa mission. Mettant sur le compte de cet élément la frilosité des investisseurs potentiels qu’il avait approchés, le consultant assigne sa cocontractante pour obtenir réparation du préjudice qu’il estime avoir subi.
La cour d’appel, confirmant la décision retenue par les premiers juges, condamne la société défenderesse à verser des dommages-intérêts au demandeur, en retenant que ce dernier a été victime d’une réticence dolosive. Formant un pourvoi en cassation, la partie condamnée conteste que le silence gardé sur la condamnation de son salarié ait revêtu les deux caractères nécessaires à la sanction du dol. Elle prétend d’abord que l’information litigieuse relative à son salarié ne pouvait, par son omission, aboutir à une réticence dolosive dès lors qu’elle était sans rapport avec les compétences techniques de ce salarié. La demanderesse au pourvoi mettait ainsi un doute le caractère déterminant du silence gardé sur l’engagement de son cocontractant : compte tenu des fonctions occupées par le salarié, l’ignorance de sa condamnation ne pouvait avoir été décisive du consentement du consultant financier. Le pourvoi critiquait ensuite l’arrêt d’appel en lui reprochant de n’avoir pas établi le caractère intentionnel de la dissimulation litigieuse.
Le défaut d’information par une partie relativement aux déboires passés de l’un de ses salariés revêtait-elle, en l’espèce, un caractère intentionnel et déterminant du consentement de l’autre partie ?
La chambre commerciale répond positivement à cette question en se référant à l’appréciation souveraine des juges du fond. S’agissant du caractère déterminant de l’information litigieuse, il ne pouvait être contesté puisque, loin d’occuper de « simples » fonctions techniques attachées à sa qualité d’ingénieur, le salarié interdit de gérer avait été l’interlocuteur privilégié du consultant dans l’exécution du contrat, au point qu’il était présenté, dans les documents transmis aux investisseurs potentiels, comme l’« homme clé de l’équipe », et apparaissait incontestablement comme codirigeant de fait de la société. De telles constatations faisaient assurément ressortir que l’information celée par la société, si elle avait été connue du consultant, « l'aurait empêché de contracter, car elle rendait illusoire l'acceptation d'une participation dans la société de la part de partenaires financiers ». S’agissant du caractère intentionnel du silence gardé, la cour d’appel avait retenu que, compte tenu des fonctions de responsabilité que le salarié exerçait au sein de la société, et de son rôle essentiel vis-à-vis des tiers, la dissimulation de ses antécédents extrêmement graves était déloyale et intentionnelle.
Ainsi, pour rejeter le pourvoi, la Cour de cassation se contente de relever les motifs retenus par la cour d’appel, s’agissant d’éléments relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond. Les éléments discutés par le pourvoi avaient été précisément caractérisés, par des motifs que la Haute cour prend le soin de détailler pour prononcer le rejet. Sage précaution des juges d’appel, dès lors que, dans son dernier état, la chambre commerciale de la Cour de cassation affirme le nécessaire établissement des caractères déterminant et intentionnel du dol alors même que, comme en l’espèce, ce dernier est le fondement, non pas d’une action en nullité, mais d’une action en réparation (Com. 7 juin 2011. Comp. Civ. 1re, 28 mai 2008).
Com. 7 févr. 2012, no 11-10.487, F-P+B
Références
■ Article 1116 du Code civil
« Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté.
Il ne se présume pas et doit être prouvé. »
■ G. Paisant, note sous Com. 23 nov. 1993, no 92-10.284, D. 1994. 234.
■ Com. 7 juin 2011, no 10-13.622, D. 2011. 2579, note Cartier-Frénois ; CCC 2011, no 208, obs. Leveneur ; RTD civ. 2011. 533, obs. Fages ; RDC 2011. 1148, obs. Laithier.
■ Civ. 1re, 28 mai 2008, pourvoi n° 07-13.487, JCP 2008. II. 10179, note Beyneix ; ibid. I. 218, n° 6, obs. Labarthe ; Dr. et patr. févr. 2009, p. 128, obs. Aynès et Stoffel-Munck ; RTD civ. 2008. 476, obs. Fages ; RDC 2008. 1118, obs. Mazeaud.
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