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[ 7 juin 2021 ] Imprimer

Droit des obligations

Réticence dolosive et erreur sur les qualités substantielles des droits sociaux cédés

Ne commet pas de faute dolosive le cédant qui ne communique pas les comptes à une date donnée lorsque les parties avaient, par convention expresse, décidé de fixer les conditions de la cession sur la base d’une situation comptable à une autre date.

Civ. 1re, 5 mai 2021, n° 19-20.921

Dans le cadre de la cession d’un fonds de commerce, conclue le 22 janvier 2014 à la suite d’une promesse synallagmatique signée par les parties le 27 septembre 2013, le cessionnaire, estimant avoir été victime d’une rétention d’information sur la valeur du fonds de la part de la cédante, avait assigné cette dernière en nullité de la cession et en indemnisation de ses préjudices sur le fondement principal du dol et, subsidiairement, sur le fondement de l’erreur sur la substance. Rappelons dès à présent que la victime d’un dol peut librement choisir d’agir soit sur ce fondement, soit sur le fondement de l’erreur (spontanée), soit encore sur les deux fondements à la fois. En effet, ce cumul d’actions est techniquement permis par la double qualification du dol, cette dualité le distinguant précisément de l’erreur spontanée, qui elle se présente comme une notion unitaire. Au contraire, l’erreur provoquée que constitue le dol justifie non seulement, à l’instar de l’erreur spontanée, l’annulation du contrat (C. civ., art. 1131), mais également, l’engagement de la responsabilité de son auteur, le dol constituant, au-delà d’un vice du consentement, une faute précontractuelle, de nature délictuelle, autorisant ainsi sa victime à agir sur le fondement de l’article 1240. L’admission de cumul d’actions met en valeur l’intérêt du dol par rapport à l’erreur puisqu’il permet d’obtenir, en plus de la nullité du contrat et donc de la restitution du prix du contrat annulé à la victime, des dommages et intérêts, le comportement dolosif étant constitutif d’une faute civile. L’indépendance de ces deux actions explique donc qu’en l’espèce, le cessionnaire ait eu la possibilité d’agir à titre principal sur le fondement du dol et à titre subsidiaire sur le fondement de l’erreur sur les qualités substantielles du fonds cédé.

Il échoua toutefois en cause d’appel à obtenir gain de cause sur chacun de ces deux fondements. Le cessionnaire fit grief à l’arrêt de rejeter sa demande d’annulation pour dol et erreur sur la promesse synallagmatique de cession et par suite, sur l’acte de cession. Au moyen de son pourvoi, le cessionnaire avançait substantiellement : 

■ qu’en droit, est constitutif d’un dol par réticence le silence sciemment gardé par une partie sur un fait qui, s'il avait été connu de son cocontractant, l'aurait dissuadé de contracter (C. civ, art. 1137, al. 2) et qu’en l’espèce, la réticence dolosive de la cédante était constituée par le fait que celle-ci, ayant eu connaissance, au moment de la cession, de « la situation économique critique de la société vendue », s’était pourtant gardée de l’en informer et avait délibérément dissimulé les comptes de la société au 30 juin 2013 au prétexte qu’il avait été convenu dans le compromis de ne fixer le prix de cession que sur la base du bilan comptable du 30 juin 2012 ;

■ qu’en droit, l’erreur sur les qualités substantielles constitue un vice du consentement justifiant l’annulation du contrat et qu’en l’espèce, l’erreur qu’il a commise sur la valeur des droits sociaux cédés et donc sur la rentabilité économique de la cession conclue avait vicié son consentement dès lors qu’à la date de cette cession, il ignorait que la société serait dans l’impossibilité de poursuivre son activité économique, faute d'avoir eu communication des comptes postérieurs au 30 juin 2012.

La Cour de cassation considère ce moyen non fondé.

En effet, la cour d’appel, après avoir relevé que les parties avaient expressément décidé de fixer les conditions de la cession sur la base de la situation comptable du 30 juin 2012, a légalement justifié sa décision d’exclure la commission d’un dol par la cédante au double motif de fait qu’à la date de la cession, les comptes au 30 juin 2013 n’étaient pas disponibles et que les résultats auraient été faussés par l’impact des travaux réalisés par la commune en centre-ville entravant l’exploitation du fonds de commerce. Au surplus, la cour d’appel n’était pas tenue de procéder à la recherche prétendument omise au titre de l’erreur sur les qualités substantielles des droits sociaux cédés qui ne lui avait pas été demandée.

La solution est d’abord justifiée par cette règle commune à l’ensemble des vices du consentement selon laquelle ces derniers, causes de nullité du contrat, s’apprécient donc logiquement à la date de la conclusion du contrat. Or en l’espèce, les parties avaient expressément décidé par convention de fixer les conditions de la cession sur la base de la situation comptable au 30 juin 2012, sans par ailleurs stipuler de clause de réactualisation des comptes ni de clause de garantie d’aggravation du passif ou de dépréciation d’actif imputable à une décision du gérant postérieure à cette date. Or le bilan du 30 juin 2012, communiqué comme convenu au cessionnaire, ne contenait aucune information erronée, de sorte que ce dernier ne pouvait imputer à la cédante une quelconque manœuvre dolosive, à la date de la cession, ayant pu vicier son consentement. 

La solution est également justifiée par la règle selon laquelle la réticence dolosive ne peut être constituée que lorsque l’information dissimulée par l’auteur du dol était légitimement ignorée par sa victime qui aurait été, par exemple, dans l’impossibilité ou l’extrême difficulté d’y accéder. Or en l’espèce, le cessionnaire avait parfaitement pu prendre connaissance de la situation comptable de la société puisque ces comptes datés du 30 juin 2012 lui avaient bien été transmis, en sorte que le cessionnaire ne pouvait davantage reprocher à la cédante une quelconque rétention d’information ayant pu induire en erreur son consentement. 

Dans ces conditions, la venderesse n'avait donc commis aucune réticence dolosive en ne communiquant pas les comptes au 30 juin 2013 et son silence gardé sur le mauvais état de santé économique du fonds cédé à la date de la cession ne pouvait être regardé comme procédant d'une intention de tromper son cocontractant sur la portée de son engagement (sur la nécessité du caractère intentionnel de la dissimulation de l’information, v. C. civ. art. 1137, al. 2).

Il doit également être relevé que la solution aurait pu être autrement justifiée. Non visé par la Cour, l’article 1137 alinéa 3 du Code civil exclut pourtant qu’un dol puisse être commis sur la valeur de l’objet du contrat. Cette disposition récente fut prise à l’effet de dissiper les doutes persistant sur le point de savoir si l’exclusion prétorienne d’une obligation d’information sur la valeur réelle de la chose (Civ. 1re, 3 mai 2000, Baldus) avait survécu à la réforme de 2016. En effet, l’article 1137 alinéa 2 relatif au dol n’a pas opéré de renvoi explicite au nouvel article 1112-1, alinéa 2, du même code, fondant le champ d’application de l’obligation précontractuelle d’information pour en extraire précisément celle portant « sur l’estimation de la valeur de la prestation ». Cette lacune aurait alors pu permettre de sanctionner, par le biais du dol, la rétention d’information sur la valeur de la chose. Afin de lever cette ambiguïté, la loi de ratification du 20 avril 2018 a ainsi ajouté un troisième alinéa à l’article 1137, selon lequel « ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son contractant son estimation de la valeur de la prestation » et donc en l’occurrence, sur la valeur du fonds cédé, à moins que l’erreur sur la réelle valeur du bien vendu provienne d’une erreur spontanée sur les qualités substantielles, ce qui explique que le cessionnaire ait par précaution également fondé son action, à titre subsidiaire, sur ce fondement. En effet, par principe indifférente, l’erreur sur la valeur peut néanmoins conduire à l’annulation du contrat si elle résulte en même temps d’une erreur sur la substance qui, elle, est invariablement considérée comme un vice du consentement, cause de nullité du contrat. 

Partant, la thèse du pourvoi ayant été concentrée sur le silence dolosif gardé par la cédante sur la valeur réelle du fonds cédé, la Cour de cassation aurait pu en l’espèce se contenter de viser le troisième alinéa de l’article 1137 pour motiver sa décision de refuser d’annuler la cession pour dol. Cependant, si l’erreur commise sur la rentabilité économique a pu être associée, en jurisprudence, à une erreur sur la valeur (Com. 31 mars 2005, n° 03-20-096 ; v. dans le même sens, Civ. 3e, 27 avr. 2017, n° 16-15.560 ; Civ. 1re, 21 oct. 2020, n° 18-26.761), elle doit aussi, dans certains cas, être considérée comme une erreur sur les qualités substantielles à l’égard desquelles un dol peut bien être commis, l’article1137 al. 3 ne l’excluant qu’en cas d’erreur sur la valeur. En effet, dans les cas où la rentabilité économique constitue, au vu de l’économie du contrat, la finalité directe de la prestation contractuelle ou de l’usage de la chose, l’erreur peut être vue comme une erreur substantielle (Civ. 3e, 4 oct. 2011, n° 10-20.956 ; Com. 25 juin 2013, n° 12-20.815 ; Com., 10 juin 2020, n° 18-21-536). Ces cas se distinguent d’autres hypothèses, beaucoup plus fréquentes, dans lesquelles il ne ressort pas de la nature même de la chose qu’elle est essentiellement destinée à générer du profit : dans ces hypothèses en effet, le fait qu’un contractant entende contester une insuffisance de rentabilité ne peut être qu’indifférent puisque l’errans met alors en cause un dessein particulier qu’il a conféré au bien (dégager des bénéfices), une utilisation « non convenue » par les parties, autrement dit, une erreur sur les mobiles qui, à l’instar de l’erreur sur la valeur, n’emporte pas, faute d’être intégrés dans le champ contractuel, la nullité du contrat (Com. 31 mars 2005, préc : achat d’un immeuble motivé par le seul potentiel locatif du bien et sur lequel l’acheteur s’est trompé). En revanche, lorsqu’il ressort clairement de la nature intrinsèque du contrat, tel une cession de fonds de commerce, que son utilité se concentre exclusivement ou principalement dans sa productivité économique, l’analyse doit différer : cette fois, la rentabilité a pénétré le champ contractuel, et ce qui n’était qu’un motif personnel à une partie au contrat devient une qualité substantielle du bien cédé. Cependant, le cessionnaire ayant fait le choix de consacrer son action sur le dol, le moyen tiré de l’erreur substantielle, simplement invoqué à titre subsidiaire, laissait les juges du fond libres de procéder à son examen en sorte que la Cour de cassation approuve leur décision, sur le terrain du dol, de refuser l’annulation du contrat. La raison de ce refus réside en définitive dans le respect qu’ont eu les juges de respecter la loi des parties concernant la date expressément prévue pour l’estimation de la valeur des parts cédées, pour en déduire l’absence de réticence dolosive, tant sous son angle matériel qu’intentionnel, sur les données nécessaires à cette estimation. Sans cette clause expresse et dépourvu d’équivocité, le cessionnaire aurait sans doute pu obtenir l’annulation de la cession au moyen d’un dol commis, non pas sur la valeur du fonds, ce que l’article 1137 alinéa 3 exclut par principe, mais sur sa substance même dès lors que s’agissant de la vente d’un fonds de commerce, l’erreur sur la rentabilité économique est généralement analysée en jurisprudence comme une erreur substantielle.

Références :

■ Pour aller plus loin, V. Dalloz coaching, Dol et erreur

■ Civ. 1re, 3 mai 2000, n° 98-11.381 P: D. 2002. 928, obs. O. Tournafond ; RTD civ. 2000. 566, obs. J. Mestre et B. Fages

■ Com., 31 mars 2005, n° 03-20-096 P: D. 2006. 2082, note C. Boulogne-Yang-Ting

■ Civ. 3e, 27 avr. 2017, n° 16-15.560

■ Civ. 1re, 21 oct. 2020, n° 18-26.761 PDAE 26 nov. 2020, note Merryl Hervieu, D. 2021. 887, note M.-O. Barbaud ; RTD civ. 2020. 869, obs. H. Barbier

■ Civ. 3e, 4 oct. 2011, n° 10-20.956D. 2011. 3052, note N. Dissaux ; ibid. 2012. 459, obs. S. Amrani-Mekki et M. Mekki ; ibid. 577, obs. D. Ferrier

■ Com., 25 juin 2013, n° 12-20.815

■ Com., 10 juin 2020, n° 18-21-536D. 2021. 718, obs. N. Ferrier ; AJ contrat 2020. 447, obs. N. Dissaux ; RTD civ. 2020. 869, obs. H. Barbier

 

Auteur :Merryl Hervieu

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