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[ 8 juillet 2019 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Retour sur la consécration par le Conseil constitutionnel de la notion d' « intérêt supérieur de l'enfant »

Dans sa décision QPC du 21 mars 2019, le Conseil constitutionnel a déduit pour la première fois des 10e et 11e alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 une exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant, imposant que les mineurs présents sur le territoire national bénéficient de la protection légale attachée à leur âge.

■ Faits à l’origine de la QPC

A l’origine de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), un jeune homme a déclaré être né le 10 janvier 2001 à Conakry, en République de Guinée. Il a été provisoirement confié à l’aide sociale à l’enfance (ASE) de l’Ain par une ordonnance du 11 juillet 2016 du procureur de la République. Par un jugement du 20 juillet 2016, le juge des enfants a, sur le fondement de l’article 375 du Code civil, confié celui-ci au conseil départemental de l’Ain, jusqu’à ce qu’il soit statué sur l’organisation d’une tutelle d’État. Mais, le jeune homme a refusé de se soumettre à une expertise osseuse qui devait permettre de s’assurer de sa minorité, le juge des enfants a alors levé la mesure de placement à l’ASE par une décision du 26 mai 2017. Le requérant a interjeté appel de cette décision, et la chambre spéciale des mineurs de la cour d’appel a ordonné, une expertise médicale aux fins d’évaluation de son âge physiologique (arrêt du 14 nov. 2017). Cette même chambre a estimé que l’intéressé n’était plus mineur (arrêt du 3 juill. 2018) et a confirmé le jugement rendu par le juge des enfants. Le requérant a ensuite formé un pourvoi en cassation contre les deux arrêts précités, à l’occasion duquel il a soulevé une QPC portant sur l’article 388 du Code civil. La Cour de cassation l’a renvoyée au Conseil constitutionnel (arrêt du 21 déc. 2018).

■ L’article 388 du Code civil

Afin de déterminer si une personne est majeure ou mineure, lorsqu’il n’existe pas de documents d'identité valables et lorsque l'âge allégué n'est pas vraisemblable, l’article 388 du Code civil prévoit la possibilité de faire pratiquer des examens radiologiques osseux. Cet article énonce deux conditions : les examens sont réalisés uniquement sur décision de l'autorité judiciaire et après recueil de l'accord de l'intéressé. De plus, les conclusions de ces examens doivent préciser la marge d'erreur et elles ne peuvent à elles seules permettre de déterminer si l'intéressé est mineur, le doute profitant à l'intéressé. En pratique, ces dispositions s’appliquent essentiellement pour déterminer l’âge des mineurs isolés étrangers appelés désormais mineurs non accompagnés (ressortissants étrangers de moins de 18 ans séparés de leurs représentants légaux sur le territoire français). La détermination de leur âge est nécessaire, principalement, pour l’application des règles relatives au séjour des étrangers et, corrélativement, à la prise en charge par l’aide sociale à l’enfance au titre de la minorité (mineurs non accompagnés ne sont soumis à aucune exigence relative à la régularité de leur entrée ou de leur séjour sur le territoire national et ne peuvent faire l’objet d’une mesure d’éloignement). C’est cet article qui était soumis au Conseil constitutionnel afin de savoir si ces dispositions méconnaissaient l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant et le droit à la protection de la santé.

Le Conseil constitutionnel profite de sa décision du 21 mars 2019 (n° 2018-768 QPC) pour consacrer l’exigence constitutionnelle de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant et rappeler les garanties applicables à un examen radiologique osseux pour déterminer l'âge d'une personne.

■ La protection de l'intérêt supérieur de l'enfant

Les mineurs présents sur le territoire national doivent bénéficier de la protection légale attachée à leur âge. Les règles relatives à la détermination de l'âge d'un individu doivent être entourées des garanties nécessaires afin que des personnes mineures ne soient pas indûment considérées comme majeures. Dans une formulation encore jamais employée, le Conseil constitutionnel a clairement réaffirmé l’exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt de l’enfant. Après avoir rappelé les 10e et 11e alinéas du Préambule de la Constitution de 1946, il a indiqué qu’« Il en résulte une exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant ». 

Même si le Conseil constitutionnel avait notamment déjà utilisé les expressions « intérêt des enfants » (13 août 1993, n° 93-325 DC § 73), « intérêt de l’enfant » (17 mai 2013, n° 2013-669 DC, § 54), c’est bien la décision de QPC du 21 mars 2019 qui utilise pour la première fois, l’expression « intérêt supérieur de l’enfant ». 

■ Les garanties applicables à un examen radiologique osseux

L’autorité judiciaire doit s'assurer du respect du caractère subsidiaire de cet examen. Le Conseil constitutionnel précise que le consentement de l'intéressé doit être éclairé et donné dans une langue qu'il comprend, la majorité d'une personne ne pouvant être déduite de son seul refus de se soumettre à un examen osseux. De plus, l'autorité judiciaire doit apprécier l’âge de l’intéressé en prenant en compte d’autres éléments qui ont pu être recueillis (évaluation sociale, entretiens réalisés par les services de la protection de l'enfance). Enfin, si les conclusions des examens radiologiques sont en contradiction avec les autres éléments d'appréciation et si le doute persiste au vu de l'ensemble des éléments recueillis, ce doute doit profiter à la qualité de mineur de l'intéressé.

Le Conseil constitutionnel décide donc que les dispositions de l’article 388 du Code civil sont conformes à la Constitution : elles ne méconnaissent ni l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant, ni le droit à la protection de la santé (toutefois il doit être tenu compte d'un avis médical qui déconseillerait l'examen osseux à raison des risques particuliers qu'il pourrait présenter pour la personne concernée) et ni le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et de l'inviolabilité du corps humain, les examens radiologiques osseux n'impliquant aucune intervention corporelle interne et ne comportant aucun procédé douloureux, intrusif ou attentatoire à la dignité des personnes.

Cons. const. 21 mars 2019, n° 2018-768 QPC

Références

■ Cons. const. 13 août 1993, n° 93-325 DC

■ Cons. const. 17 mai 2013, n° 2013-669 DC

 

Auteur :Christelle de Gaudemont


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