Actualité > À la une

À la une

[ 18 septembre 2014 ] Imprimer

Droit pénal général

Retour sur l’obligation « particulière » de sécurité ou de prudence constitutive de la faute délibérée

Mots-clefs : Faute délibérée, Obligation particulière de prudence ou de sécurité, Atteinte involontaire à la vie ou à l’intégrité physique de la personne, Motivation

Il appartient aux juges du fond, pour retenir une faute délibérée, de vérifier que l’obligation de prudence ou de sécurité présente bien un caractère particulier.

La faute délibérée se définit comme une violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement. D’abord introduite lors de la création du délit de risques causés à autrui (C. pén., art. 223-1), elle fut, par la suite, reprise dans le cadre des infractions d’atteintes involontaires à la vie ou à l’intégrité physique de la personne, devenant tour à tour, condition de la responsabilité pénale des personnes physiques, auteurs indirects (C. pén., art. 121-3, al. 4), ou circonstance aggravante de ces infractions (C. pén., art. R. 625-3 ; art. 222-20 art. 222-19, al. 2 ; art. 221-6 , al. 2).

Une telle faute ne peut être retenue sans le support préalable d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par un texte. Il faut donc déterminer si les obligations visées au soutien de la faute répondent à la double condition d'être « de sécurité et de prudence » et « particulières ».

Ce particularisme renvoie à un « modèle de conduite circonstanciée » (v. M. Puech Aix-en-Provence, 22 nov. 1995), désignant les situations dans lesquelles l’individu se trouve sans possibilité d'appréciation individuelle. Elle s’oppose ainsi aux obligations générales (v. Rép. pén.).

 L’identification de la nature et du caractère de l’obligation relève de l’appréciation souveraine des magistrats du fond, sous le contrôle de la Cour de cassation.

L’arrêt rendu offre une nouvelle illustration de cette identification concernant les dispositions du Code du travail. Si la finalité de sécurité et de prudence de l'obligation violée s'avérait non discutable en l'espèce, il va autrement de son caractère particulier.

Un salarié, insuffisamment formé, qui effectuait la vidange d’un tunnel de lavage à la demande de son chef d’équipe, avait été brûlé aux chevilles et à une main par le liquide bouillant s’échappant de la trappe d’évacuation qu’il était en train de manœuvrer. La société qui l’employait a alors été renvoyée devant le tribunal correctionnel du chef de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure à trois mois par violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence. Relaxée en première instance, elle fut finalement reconnue coupable des faits par la cour d’appel de Colmar et condamnée à une amende de 3 000 euros.

Devant la chambre criminelle, la société contestait, outre l’absence d’identification de l’organe ou du représentant de la personne morale,  l’absence de caractère manifestement délibéré de la faute et du caractère particulier de l’obligation méconnue. Selon la demanderesse, l’obligation de formation mise à sa charge présente un caractère, non particulier, mais un caractère général selon les termes mêmes de l’article L. 233-5-1 du Code du travail ancien (C. trav. nouv., art.  L. 4321-1 s.).

La chambre criminelle censure la décision d’appel pour insuffisance de motifs reprochant à cette dernière de ne pas avoir mieux recherché si l’obligation de formation au stage en cause était constitutive d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence au sens de l’article 222-20 du Code pénal.

Elle renvoie donc en conséquence, l’affaire devant une nouvelle juridiction qui aura la charge de dire, et de motiver, le caractère particulier des obligations découlant des dispositions du Code du travail, relative en l’espèce à la nécessité d’équiper, d’installer, d’utiliser et de maintenir les équipements de travail et les moyens de protection de manière à préserver la santé et la sécurité des travailleurs

 Sans préjuger de la décision qui sera rendue, on rappellera que la chambre criminelle a admis que des textes généraux peuvent permettre parfois la caractérisation de l'infraction (Crim. 29 juin 2010).

Crim. 2 sept. 2014, n°13-83.956

Références

 M. Puech, « De la mise en danger d'autrui », D. 1994. 153.

 Aix-en-Provence, 22 nov. 1995, D. 1996. Jur. 405, note Borricand.

■ V. Rép. pén., v° « Violences involontaires, théorie générale », par. Y. Mayaud.

 Crim. 29 juin 2010, no 09-81.661, AJ pénal 2010. 551, obs. Lasserre Capdeville.

■ Code pénal

Article 121-3

« Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre.

Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d'autrui.

Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.

Dans le cas prévu par l'alinéa qui précède, les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer.

Il n'y a point de contravention en cas de force majeure. »

Article 221-6

« Le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l'article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, la mort d'autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.

En cas de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 euros d'amende. »

Article 222-19

« Le fait de causer à autrui, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l'article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, une incapacité totale de travail pendant plus de trois mois est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.

En cas de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées à trois ans d'emprisonnement et à 45 000 euros d'amende. »

Article 222-20

« Le fait de causer à autrui, par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, une incapacité totale de travail d'une durée inférieure ou égale à trois mois, est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. »

Article 223-1

« Le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. »

Article R 625-3

« Le fait, par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement, de porter atteinte à l'intégrité d'autrui sans qu'il en résulte d'incapacité totale de travail est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 5e classe. »

■ Article L. 4321-1 du Code du travail

« Les équipements de travail et les moyens de protection mis en service ou utilisés dans les établissements destinés à recevoir des travailleurs sont équipés, installés, utilisés, réglés et maintenus de manière à préserver la santé et la sécurité des travailleurs, y compris en cas de modification de ces équipements de travail et de ces moyens de protection. »

 

Auteur :C. L.

Autres À la une


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr