Actualité > À la une
À la une
Droit des obligations
Retrait litigieux : rappel des conditions
Mots-clefs : Cession de créance, Retrait litigieux, Conditions, Contestation, Procès, Antériorité à la cession, Qualité du retrayant
Le retrait litigieux n’est susceptible d’être exercé qu’à la condition qu’un procès ait été engagé sur le bien-fondé du droit cédé et qu’au cours de l’instance, celui qui entend l’exercer a, en qualité de défendeur, contesté ce droit au fond.
Une banque avait consenti à un couple deux prêts cautionnés. Le couple, débiteur principal, s'étant montré défaillant, la banque les avait assignés en paiement ainsi que la caution, avant de céder à une société, quelques mois plus tard, un portefeuille de créances incluant celle née des prêts consentis. Pour s'opposer à la demande reconventionnelle de la caution fondée sur la faute qu'aurait commise la société cessionnaire en refusant de lui communiquer l'acte de cession et en l'empêchant ainsi d'exercer son droit au retrait litigieux (faculté accordée à celui contre lequel un droit litigieux a été « cédé » de se le faire attribuer en remboursement au cessionnaire ce qu’il a déboursé pour l’acquérir), la société cessionnaire avait soutenu, notamment, que la créance cédée n'était pas litigieuse à la date de la cession.
La cour d’appel, partant du principe que les conditions du retrait litigieux étaient remplies, retint que la société cessionnaire avait bien commis une faute privant la caution, contrainte de lui régler une certaine somme, de la chance d'effectuer son droit de retrait litigieux en s'opposant à la communication de l'acte de cession de créances permettant de vérifier que le prix de la créance litigieuse pouvait être individualisé.
Au visa de l’article 1700 du Code civil, cette décision est cassée par la Haute cour : rappelant le principe selon lequel le retrait litigieux, institution dont le caractère exceptionnel impose une interprétation stricte, ne peut être exercé que si, antérieurement à la cession, un procès a été engagé sur le bien-fondé du droit cédé et qu'au cours de l'instance, celui qui entend exercer le retrait a, en qualité de défendeur, contesté ce droit au fond ; elle juge que, selon les propres constatations des juges du fond, la créance cédée n'avait fait l'objet, dans le cadre de l'instance engagée par la banque à l'encontre des débiteurs principaux et de leur caution, d'aucune contestation sur le fond antérieurement à la cession, ce dont il résulte que les conditions du retrait litigieux n'étaient pas réunies et que la caution n'avait donc pas été privée de la possibilité de l'exercer.
La cession de créance litigieuse a été définie comme « une variété de cession, affectée d'un aléa, par laquelle le cédant transmet au cessionnaire un droit contesté ou susceptible de l'être » (E. Savaux, Cession de droits litigieux : Rép. civ. Dalloz, n° 3). Les derniers mots de cette définition doivent cependant être ignorés, dans la mesure où pour que le retrait puisse s’effectuer le procès se doit d'être engagé (V. RTD civ. 1994. 371, obs. P.-Y. Gautier). La cession de droits litigieux se présente en effet comme une convention passée dans un cadre contentieux, par laquelle le titulaire d'un droit contesté en justice le transmet à autrui (le cessionnaire), généralement contre le paiement d'un prix (la cession gratuite empêchant le retrait mais non le transport de droit litigieux). Dans cette hypothèse spécifique, un créancier se retrouve donc titulaire d'une créance litigieuse, dont l’incertitude de son recouvrement le conduit à la céder à un tiers. Cette opération est très encadrée, et les textes la concernant d’interprétation stricte, en raison de la méfiance qu’elle inspire depuis toujours. Elle était déjà vue, en droit romain, comme le signe d’une malhonnêteté du cédant au détriment du cessionnaire ou d’une intention spéculative ; en effet, contrairement à la cession d'une chose où « le propriétaire est seul maître de son bien », la cession de créance présente un caractère personnel (Ch. Larroumet, Les opérations juridiques à trois personnes en droit privé : thèse Bordeaux IV, 1968). C'est ce qui explique qu'avant le Code civil, d'autres mécanismes, tels la novation ou la délégation, étaient privilégiés. Strictement réglementée en droit romain, la cession de droits litigieux avait même été interdite à la fin du Bas-Empire, et n'a été autorisée dans l'Ancien droit que sous certaines restrictions, notamment celle du retrait. L’opération est encore regardée avec circonspection en raison de la crainte qu’elle inspire de voir le débiteur cédé confronté aux sollicitations répétées du cessionnaire puisque celui-ci aura généralement acheté la créance pour un montant inférieur au nominal de sa valeur. L'article 1597 du Code civil, situé dans le chapitre du Code intitulé « Qui peut acheter ou vendre », explique la troisième méfiance générée par cette opération, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice : le professionnel du droit exerçant ses fonctions dans le ressort de la juridiction compétente ne peut prendre la qualité de cessionnaire d'une créance litigieuse. Il s'agit d'éviter qu'une telle personne achète à bon compte les droits d'un plaideur lassé par le différend, la complexité, voire les lenteurs de la justice. Ces raisons justifient que le retrait litigieux se présente encore aujourd’hui, ainsi que le rappelle la Cour dans la décision rapportée, comme une institution dont le caractère exceptionnel impose une interprétation stricte, dont les conditions d’exercice sont plurielles et cumulatives : ainsi ne peut-il être exercé que si, antérieurement à la cession, un procès a été préalablement engagé sur le bien-fondé du droit cédé et qu'au cours de l'instance, celui qui entend exercer le retrait a, en qualité de défendeur, contesté ce droit au fond.
Ainsi l'article 1700 du Code civil limite-t-il d’abord le retrait litigieux aux cas où « il y a procès ». Un procès a donc dû être engagé avant la cession et être encore en cours au moment où intervient la cession (Com. 13 nov. 2007, n° 06-14.503). Deux limites se confondent ainsi en une : celle relative, d'une part, à l’existence d’un procès et celle, d'autre part, à l’antériorité de son engagement à la date de la cession de la créance litigieuse. En ce sens, un exploit introductif d’instance se révèle nécessaire et une simple réclamation gracieuse, une citation aux fins de conciliation, ou bien encore un procès-verbal de non-conciliation (Civ., 29 juill. 1868) seraient inaptes à remplir cette condition. Ledit procès doit, ensuite, avoir été engagé avant la cession. Cette exigence revient à priver le défendeur (autre condition, procédurale cette fois, du retrait, liée à la qualité procédurale du retrayant), débiteur du droit cédé, et qui n’a contesté le droit du créancier qu'après la cession, du bénéfice du retrait prévu par l'article 1699 du Code civil (Com. 15 janv. 2002, n° 99-15.370 – V. déjà, Civ., 1er mai 1866) puisque logiquement, lorsque « aucun procès portant sur le bien-fondé de la créance invoquée [n'est] engagé avant la cession de créance [...] les droits cédés [ne sont] pas litigieux » (Civ. 1re, 6 janv. 2010, n° 08-17.158). Le droit doit, également, être contesté sur le fond. En visant la « contestation sur le fond du droit », l'expression utilisée par l'article 1700 du Code civil suppose que le droit prétendu et opposé au défendeur concerné soit l'objet d'une négation ou d'une remise en cause. Celle-ci doit donc pouvoir être caractérisée (Civ. 1re, 12 nov. 2015, n° 14-23.401). Or comme c’était le cas en l’espèce, la contestation sur le fond n'existe pas, et donc le droit ne peut être considéré comme litigieux, quand le défendeur se contente de demander communication de l'acte de cession sans contester la dette dans son principe et son montant ou lorsque, dans le cas particulier d’un prêt, la contestation soumise au juge avant la cession a porté seulement sur la justification du calcul des intérêts, la discussion étant relative à un accessoire du droit cédé sans remettre en cause l’existence même du droit cédé ou son étendue (Com. 26 févr. 2002, n° 99-12.228).
Com. 20 avr. 2017, n° 15-24.131
Références
■ Com. 13 nov. 2007, n° 06-14.503 P, D. 2007. 3068, obs. X. Delpech.
■ Civ., 29 juill. 1868.
■ Com. 15 janv. 2002, n° 99-15.370 P, D. 2003. 341, obs. D. R. Martin.
■ Civ., 1er mai 1866.
■ Civ. 1re, 6 janv. 2010, n° 08-17.158
■ Civ. 1re, 12 nov. 2015, n° 14-23.401 P, D. 2016. 355, note Gatien Casu ; AJCA 2016. 39, obs. C. Lebel.
■ Com. 26 févr. 2002, n° 99-12.228 P, D. 2002. 1344 ; RTD civ. 2002. 532, obs. P.-Y. Gautier.
Autres À la une
-
Droit des obligations
[ 5 décembre 2024 ]
Location financière : nullité du contrat pour défaut de contrepartie personnelle du dirigeant
-
Droit de la santé
[ 4 décembre 2024 ]
Précisions sur l’indemnisation des dommages imputables aux vaccinations obligatoires
-
Droit des biens
[ 3 décembre 2024 ]
Possession versus propriété : la prescription acquisitive trentenaire l’emporte sur le titre publié
-
Droit bancaire - droit du crédit
[ 2 décembre 2024 ]
Le dirigeant avalisant un billet à ordre par une double signature associée au cachet de la société ne s’engage pas personnellement
-
Introduction au droit
[ 29 novembre 2024 ]
Point sur la charge de la preuve
- >> Toutes les actualités À la une