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[ 10 avril 2025 ] Imprimer

Droit des obligations

Revendication de la qualité d’associé en cas d’apport de biens communs à une société : de la difficulté de prouver la renonciation tacite du conjoint

La création concomitante et indépendante de deux sociétés par un couple marié sous le régime légal de la communauté ne suffit pas, à elle seule, à caractériser la renonciation tacite du conjoint à la revendication de la qualité d’associé dans la société de son épouse.

Com. 12 mars 2025, n° 23-22.372

Dans un arrêt du 12 mars 2025, rendu à la suite d’un premier arrêt de cassation remarqué (Com. 21 sept. 2022, n° 19-26.203), la chambre commerciale de la Cour de cassation confirme que la renonciation tacite au droit de l’époux commun en biens de revendiquer sa qualité d’associé suppose de caractériser un comportement sans équivoque, incompatible avec le maintien du droit du conjoint de se voir reconnaître la qualité d'associé.

Dans cette affaire, deux époux mariés sous le régime légal de la communauté avaient fait le choix concomitant de constituer chacun leur propre société, à l’aide de fonds communs. Lors de la séparation du couple, l’époux revendique la qualité d’associé dans la société de son épouse sur le fondement de l’article 1832-2 alinéa 3 du Code civil, qui permet au conjoint d’un époux ayant apporté des biens communs à une société de revendiquer la qualité d’associé à hauteur de la moitié des parts sociales. Cette revendication est possible tant que le divorce n’a pas été définitivement prononcé ; soumise à la procédure légale d’agrément, elle permet le cas échéant au conjoint entrant de jouir personnellement des droits d’associé attachés aux parts revendiquées, notamment celui de percevoir les dividendes. Cependant, le conjoint peut être considéré comme ayant tacitement renoncé à sa faculté de revendiquer la qualité d’associé. C’est cette hypothèse d’une renonciation tacite au droit de demander à être associé pour la moitié des parts sociales que l’épouse invoquait en l’espèce pour s’opposer à la revendication de son conjoint. Cependant, si la possibilité d’une renonciation tacite est admise, elle l’est sous conditions : elle suppose de caractériser un comportement manifestant de manière claire et non équivoque la volonté de renoncer (Com. 21 sept. 2022, n° 19-26.203, préc. : « La renonciation à un droit peut être tacite dès lors que les circonstances établissent, de façon non équivoque, la volonté de renoncer »). Or la cour d’appel saisie jugea le comportement de l’époux insuffisant à établir sans équivocité sa volonté tacite de renoncer à sa qualité d’associé. Elle retint en effet qu'en l'absence de toute clause d'agrément dans les statuts de la société de son épouse susceptible de faire obstacle à l’exercice de son droit, ou d'accord familial excluant expressément l'intervention de l'époux non associé, le seul fait pour les époux d'avoir constitué, de manière concomitante, deux sociétés distinctes dont chacun était associé à concurrence de 50 %, sans que l'autre n'ait de participation, était insuffisant à démontrer une renonciation sans équivoque à la qualité d'associé de chacun des époux au sein de la société constituée par son conjoint. Pour confirmer l’absence de renonciation tacite par l’époux revendiquant sa qualité d’associé, la chambre commerciale commence par rappeler qu’il s’infère de la combinaison de l'ancien article 1134, alinéa 1er, du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et de l'article 1832-2 alinéa 3 du même code, que si le conjoint de l'époux commun en biens qui a employé des biens communs pour faire un apport à une société ou acquérir des parts sociales dispose du droit de se voir reconnaître la qualité d'associé pour la moitié des parts souscrites ou acquises, il convient également de reconnaître au conjoint de l’associé le droit de renoncer à cette qualité, même tacitement ; tel est le cas lorsque ce dernier adopte un comportement univoque, incompatible avec le maintien de son droit à se voir reconnaître la qualité d'associé. La Cour approuve en conséquence l’analyse retenue par les juges du fond, confirmant que la seule circonstance que chaque époux ait constitué sa propre société de manière concomitante et indépendante ne suffit pas à caractériser une telle renonciation tacite. Sans doute pour renforcer la protection des intérêts du conjoint de l’associé commun en biens, il ressort de cette dernière décision une exigence de preuve particulièrement stricte de l’univocité du comportement apte à établir une renonciation tacite. Alors que les faits de l’espèce semblaient l’établir, on peine en conséquence à entrevoir les comportements qui seraient susceptibles de caractériser avec une certitude suffisante la volonté du conjoint de renoncer à sa qualité d’associé. Ainsi, cette décision rappelle-t-elle l’importance de l’anticipation patrimoniale pour prévenir les litiges sur la qualité d’associé entre époux. La sécurisation du statut des associés en présence d’un régime matrimonial communautaire nécessite une rédaction précise des statuts et, le cas échéant, un acte exprès de renonciation. L’insertion dans les statuts d’une clause d’agrément couvrant spécifiquement cette situation et la renonciation expresse à la qualité d’associé sont donc recommandées pour pallier le risque d’équivocité inhérent à la renonciation tacite dont témoigne l’arrêt rapporté.

Référence :

■ Com. 21 sept. 2022, n° 19-26.203 : D. 2022. 1838, note B. Dondero ; ibid. 2023. 1922, obs. E. Lamazerolles et A. Rabreau ; ibid. 2060, obs. S. Godechot-Patris et C. Grare-Didier ; AJ fam. 2023. 165, obs. J. Casey ; Rev. sociétés 2023. 35, note A. Reygrobellet ; RTD civ. 2023. 147, obs. I. Dauriac

 

Auteur :Merryl Hervieu


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