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Droit commercial et des affaires
Revendications : en l’absence d’inventaire, c’est au liquidateur de prouver !
Mots-clefs : Procédure collective, Inventaire obligatoire, Revendications, Biens en nature, Absence, Charge de la preuve, Renversement
Un inventaire incomplet, sommaire ou inexploitable équivaut à une absence d'inventaire, ayant pour effet d'induire un renversement de la charge de la preuve et l'obligation pour le liquidateur de prouver que les biens revendiqués n'existaient pas en nature dans son patrimoine au jour de l'ouverture de sa procédure collective.
Un créancier avait saisi l’administrateur judiciaire d’une société en procédure collective d’une requête en revendication de marchandises vendues avec une clause de réserve de propriété. Il obtint gain de cause en appel. Le liquidateur et l’administrateur judiciaires de la société débitrice formèrent un pourvoi en cassation. Selon eux, il incombait au vendeur d’identifier et d’individualiser les biens qu’il entendait revendiquer dans le patrimoine de la personne morale débitrice.
Seuls le défaut d’établissement de l’inventaire ou l’obstacle mis par la société débitrice à la réalisation d’un inventaire plus détaillé renversent la charge de la preuve, mettant à la charge du liquidateur de la société débitrice l’obligation de prouver que les marchandises revendiquées n’existaient plus en nature au jour du jugement d’ouverture.
Dès lors, ils contestèrent la motivation des juges d’appel selon laquelle un inventaire incomplet, sommaire et/ou inexplicable, pouvait être assimilé à une absence d’inventaire. La chambre commerciale rejette le pourvoi. Elle juge « qu’en présence d’un inventaire incomplet, sommaire ou inexploitable, qui équivaut à l’absence d’inventaire obligatoire prévu par l’article L. 622-6 du code de commerce, la preuve que le bien revendiqué, précédemment détenu par le débiteur, n’existe plus en nature au jour du jugement d’ouverture, incombe au liquidateur » ; or, qu'ayant souverainement retenu que l'inventaire des actifs de la société placée en procédure collective était sommaire et incomplet, et que le liquidateur de cette société n'apportait pas la preuve que les marchandises revendiquées n'existaient plus en nature à la date du jugement d'ouverture, la cour d'appel en a exactement déduit que l'action en revendication devait être accueillie.
La chambre commerciale rappelle qu’en cas de défaut de la formalité obligatoire de l’inventaire, la charge de prouver que les biens revendiqués, restés en la possession du débiteur soumis à une liquidation judiciaire, n’existaient plus en nature au jour du prononcé de la liquidation judiciaire, incombe au liquidateur. Autrement dit, en l'absence d'inventaire, c'est au liquidateur et non au revendiquant que revient la charge de prouver que le bien concerné n'existait pas en nature lors de l'ouverture de la procédure (Com. 1er déc. 2009, n° 08-13.187). En principe, c'est à l'auteur de la revendication en sa qualité de demandeur qu'il incomberait de rapporter cette preuve. Cependant, en l’absence d’inventaire, auquel la Cour assimile son caractère sommaire, lacunaire ou inexploitable, il doit en être autrement, l’inventaire étant rendu obligatoire depuis la réforme de 1994, visant à protéger les tiers. Or, si le législateur n'a pas précisé la sanction du défaut d'inventaire, se contentant simplement d’énoncer qu’il ne fait pas obstacle à l'exercice des actions en revendication et en restitution (C. com., art. L. 622-6, al. 5), le juge, lui, s’en est directement préoccupé en sanctionnant le défaut d'inventaire, comme en témoigne l’arrêt rapporté, par un renversement de la charge de la preuve.
La solution, déjà adoptée en 2009, est bienvenue, pour deux raisons. D’une part, à cause de l’absence d’autres sanctions susceptibles d’être également efficaces. En effet, il aurait été possible d’envisager l’engagement de la responsabilité civile professionnelle de celui chargé de l’inventaire (V. Com., art. L. 621-4, al. 6). D’ailleurs, dans l’arrêt précité du 1er décembre 2009, l'arrêt de la cour d'appel faisait allusion à cette sanction. Toutefois, cette voie, partiellement satisfaisante, a été délaissée. En effet, si le revendiquant n'avait aucune difficulté à prouver la faute du professionnel, il ne parviendrait pas à justifier d'un préjudice, lequel ne pourrait résulter que de l'existence en nature du bien revendiqué au jour de l'ouverture de la procédure. Or, par hypothèse, faute d'inventaire, la preuve de ce fait, seul apte à la récupération de son bien, aurait été impossible à rapporter. Cela étant, le choix de sanctionner le défaut d’inventaire par un renversement de la charge de la preuve, s’il a le mérite de l’efficacité, pêche aussi par sa sévérité, en ce sens qu’il contraint le mandataire de justice à rapporter la preuve d'un fait négatif : la non-existence en nature du bien revendiqué au jour de l'ouverture de la procédure. Cependant, cette sévérité doit être tempérée. En effet, en pratique, l’impossibilité de retrouver le bien revendiqué en nature s’explique de deux façons : soit le bien a été incorporé à un autre, transformé, ou bien encore sinistré, soit il a été remis à un tiers. Dans la première hypothèse, le mandataire peut sans difficulté prouver de tels faits, matériels et positifs, que sont la transformation, l'incorporation ou le sinistre (normalement couvert par une assurance). Dans la seconde, si le bien a été remis à un tiers, le mandataire peut également prouver ce fait, là encore positif. Reste l'éventualité où le bien a purement et simplement disparu. Cette dernière hypothèse correspond alors à un détournement d'actif, qui ne présente pas davantage de difficulté probatoire pour le mandataire de justice, d’autant moins qu'il devra en tirer diverses conséquences. Ainsi le renversement de la charge de la preuve se présente-t-il comme une sanction opportune et efficace de l’absence d’inventaire, ménageant de surcroît l’effort probatoire que le mandataire doit fournir.
Com. 25 oct. 2017, n° 16-22.083
Référence
■ Com. 1er déc. 2009, n° 08-13.187 P : D. 2010. 12, obs. A. Lienhard ; RTD civ. 2010. 361, obs. P. Crocq ; RTD com. 2010. 424, obs. A. Martin-Serf.
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