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[ 22 avril 2021 ] Imprimer

Droit des biens

Revendiquer sa propriété est un droit imprescriptible

Un retraité qui se maintient dans son logement de fonction malgré la fin de son contrat de travail ne peut jamais prétendre que le temps écoulé lui confère un droit acquis qui s’opposerait à la demande d’expulsion formée même tardivement par son ancien employeur.

Civ. 3e, 25 mars 2021, n° 20-10.947

Dans cette situation, l'ancien salarié se trouve « occupant sans droit ni titre ». Or l’action en expulsion d'un occupant « sans droit ni titre », fondée sur le droit de propriété, constitue une action en revendication qui n’est pas susceptible de prescription, comme vient de le rappeler la Cour de cassation le 25 mars dernier. 

En l'espèce, une société immobilière, propriétaire d'un appartement ayant appartenu à l'employeur d’une ancienne salariée, demeurée dans le logement de fonction que ce dernier avait mis à sa disposition, avait assigné celle-ci en expulsion dix ans après que la locataire eut pris sa retraite.

La société propriétaire des lieux ainsi occupés faisait grief à l’arrêt d’appel d’avoir déclaré son action irrecevable comme prescrite, alors « que l’action du propriétaire tendant à l’expulsion d’un occupant sans droit ni titre est imprescriptible (et) qu’est sans droit ni titre l’occupant qui se maintient dans son logement de fonction après le terme de son contrat de travail ». Dès lors, en qualifiant sa demande d’expulsion d’action personnelle soumise à la prescription quinquennale de droit commun en ce qu’elle dérivait d’un contrat de travail dont le logement litigieux constituait l’accessoire, alors même qu’elle constatait que ce contrat de travail avait pris fin, ce dont il résultait que cette action avait pour seul objet l’expulsion d’un occupant sans droit ni titre et qu’elle était, par conséquent, imprescriptible, la cour d’appel, qui n’aurait pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, aurait ainsi violé l’article 2227 du Code civil. 

La Cour de cassation lui donne raison et casse, au visa des articles 544 et 2227 du Code civil, la décision des juges du fond. 

Elle rappelle que selon le premier de ces textes, la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements et qu’en vertu du second, le droit de propriété est imprescriptible. 

Elle ajoute que la revendication est l’action par laquelle le demandeur, invoquant sa qualité de propriétaire, réclame à celui qui la détient la restitution de son bien (Civ. 3e, 16 avr. 1973, n° 72-13.758). 

Elle désapprouve alors la cour d’appel d’avoir jugé l’action du propriétaire prescrite au motif erroné qu’elle tendait à l’expulsion d’une occupante d’un logement de fonction restée dans les lieux au mépris des termes du contrat de travail lui ayant interdit de s’y maintenir après qu’il eut pris fin de sorte qu’il ne s’agissait pas, pour la juridiction d’appel, d’une action de nature réelle immobilière, mais d’une action personnelle alors soumise à la prescription quinquennale de droit commun dans le cadre de laquelle, en application de l’article 26, II de la loi du 17 juin 2008, un nouveau délai de cinq ans avait commencé à courir le 19 juin 2008, pour expirer le 19 juin 2013, de sorte que l’action engagée par le propriétaire du logement le 24 septembre 2015 était atteinte par la prescription.

Selon les Hauts magistrats, en statuant ainsi, alors que l’action en expulsion d’un occupant sans droit ni titre, fondée sur le droit de propriété, constitue une action en revendication qui n’est pas susceptible de prescription, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

Autrement dit, dès lors que le droit d'occupation de la locataire avait cessé en même temps que son contrat de travail avait pris fin, l'action exercée par le propriétaire de l’immeuble visait à l'expulsion d'un occupant sans droit ni titre et tendait à la défense de son droit de propriété, peu important que l'immeuble ait été initialement occupé en vertu d'un contrat. Pour le dire simplement, sa demande d'expulsion était fondée sur son droit de propriété et non sur le contrat de travail de l’occupante des lieux, cette convention ayant pris fin. Il s'agissait donc désormais d'une revendication liée au droit de propriété dont l’action ne peut jamais être prescrite (V. dans le même sens, Civ. 3e, 10 sept. 2020, n° 19-13.130), étant acquis qu'il n'y a jamais d'abus à défendre sa propriété (V. déjà, Civ. 3e, 7 juin 1990, n° 88-16.277 ; Civ. 3e, 20 mars 2002, n° 00-16.015) et que le caractère perpétuel du droit de propriété implique qu’il ne s’éteint pas par le non-usage (Civ. 1re, 2 juin 1993, n° 90-21.982 : le droit de propriété ne s’éteignant pas par le non-usage, l’action en revendication n’est pas susceptible de prescription). 

Le seul risque encouru par le propriétaire en cette matière est « l'usucapion », l’exposant au risque de voir un tiers acquérir par prescription acquisitive la propriété du bien trop longtemps délaissé par son propriétaire (délai de 30 ans) ; mais c’est alors ce processus acquisitif qui prive le propriétaire de son droit sur la chose, et non pas l’absence prolongée de l’usage de celle-ci puisqu’il n’y a pas, à son endroit, de prescription extinctive (Civ. 1re, 7 oct. 1964 : si l’action en revendication intentée par le propriétaire dépossédé de son immeuble est imprescriptible, elle ne peut triompher contre un défendeur qui justifie être devenu lui-même propriétaire de l’immeuble revendiqué, par une possession contraire réunissant toutes les conditions exigées pour la prescription acquisitive).

Références :

■ Civ. 3e, 16 avr. 1973, n  72-13.758 P

■ Civ. 3e, 10 sept. 2020, n° 19-13.130: AJDI 2020. 858

■ Civ. 3e, 7 juin 1990, n° 88-16.277 P: D. 1991. 308, obs. A. Robert ; ibid. 323, obs. J.-L. Aubert ; RDI 1991. 303, étude M. Giannotti ; RTD civ. 1991. 562, obs. F. Zenati 

■ Civ. 3e, 20 mars 2002, n° 00-16.015 P: D. 2002. 2075, et les obs., note C. Caron ; ibid. 2507, obs. B. Mallet-Bricout ; RTD civ. 2002. 333, obs. T. Revet

■ Civ. 1re, 2 juin 1993, n° 90-21.982 P:D. 1993. 306, obs. A. Robert ; ibid. 1994. 582, note B. Fauvarque-Cosson

■ Civ. 1re, 7 oct. 1964 P

 

Auteur :Merryl Hervieu


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