Actualité > À la une
À la une
Droit des sociétés
Revirement de jurisprudence : abandon du formalisme des actes conclus au nom ou pour le compte d’une société en formation
L'exigence selon laquelle l'acte doit, expressément et à peine de nullité, mentionner qu'il est passé « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation ne résultant pas explicitement des textes régissant le sort des actes passés au cours de la période de formation, il apparaît possible et souhaitable de reconnaître désormais au juge le pouvoir d'apprécier souverainement, par un examen de l'ensemble des circonstances, tant intrinsèques à l'acte qu'extrinsèques, si la commune intention des parties n'était pas que l'acte fût conclu au nom ou pour le compte de la société en formation et que cette société puisse ensuite, après avoir acquis la personnalité juridique, décider de reprendre les engagements souscrits.
Com. 29 nov. 2023, n° 22-12.865 P
Un arrêt de revirement vient d’être rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation au sujet des sociétés en formation. On se souvient que les actes accomplis au nom et pour le compte d’une société commerciale, avant que celle-ci n’acquière la personnalité morale par son immatriculation au RCS, engagent la responsabilité solidaire et indéfinie des personnes qui les ont conclus, sauf pour la société, après son immatriculation, à les reprendre à son compte. La solution se comprend aisément : une société dépourvue de personnalité morale ne peut pas s’engager. Or pour apprécier la reprise, par la société devenue personne morale, des engagements antérieurement souscrits, une jurisprudence traditionnelle exigeait, sans appui textuel, un formalisme rigoureux. La société ne pouvait reprendre à son compte que les engagements expressément souscrits « en son nom » (Com. 22 mai 2001, n° 98-19.472 ; 21 févr. 2012, n° 10-27.630 ; 13 nov. 2013, n° 12-26.158) ou « pour son compte » (Com. 11 juin 2013, n° 11-27.356 ; 10 mars 2021, n° 19-15.618). Cette jurisprudence reposait sur le caractère dérogatoire du mécanisme légal permettant de réputer conclus par une société des actes juridiques passés avant son immatriculation (C. com., art. L. 210-6 et R. 210-6). Elle visait à assurer la sécurité juridique, dès lors que la présence d'une mention expresse selon laquelle l'acte est accompli « au nom » ou « pour le compte » d'une société en formation protège, d'un côté, le tiers cocontractant, en appelant son attention sur la possibilité, à l'avenir, d'une substitution de plein droit et rétroactive de débiteur, et, de l'autre, la personne qui accomplit l'acte « au nom » ou « pour le compte » de la société, en lui faisant prendre conscience qu'elle s'engage personnellement et restera tenue si la société ne reprend pas les engagements ainsi souscrits.
Elle produisait toutefois des conséquences drastiques (§ 8). Si les parties avaient commis une maladresse rédactionnelle, en stipulant que l’acte était passé « par » la société encore en formation (au lieu de « en son nom » ou « pour le compte »), l’acte était frappé de nullité (Civ. 3e, 5 oct. 2011, n° 09-72.855 ; Com. 19 janv. 2022, n° 20-13.719) et ne pouvait donc être repris par la société, même lorsqu’il ressortait de l’acte ou des circonstances que telle était l’intention des parties. La sanction était donc lourde de conséquences, non seulement parce qu’elle permettait à la société d’échapper à certains engagements pourtant conclus pour elle, mais aussi parce que l’annulation de l’acte privait le tiers cocontractant de tout interlocuteur, la société comme celui ayant conclu l’acte à sa place n’ayant pas à répondre de l’exécution d’un acte non expressément souscrit « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation. La sanction du formalisme requis s’avérait ainsi produire l’effet indésirable d’être parfois utilisée par des parties souhaitant se soustraire à leurs engagements et, paradoxalement, de fragiliser les entreprises lors de leur démarrage sous forme sociale au lieu de les protéger sans apporter, de surcroît, une protection adéquate aux tiers cocontractants qui, en cas d'annulation de l'acte, se trouvaient ainsi dépourvus de tout débiteur.
En conséquence, la Cour de cassation opère ici un revirement de jurisprudence (§ 9). Elle abandonne ses exigences formelles (la mention « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation) et juge qu’il « apparaît possible et souhaitable de reconnaître désormais au juge le pouvoir d’apprécier souverainement, par un examen de l’ensemble des circonstances, tant intrinsèques à l’acte qu’extrinsèques, si la commune intention des parties n’était pas que l’acte fût conclu au nom ou pour le compte de la société en formation et que cette société puisse ensuite, après avoir acquis la personnalité juridique, décider de reprendre les engagements souscrits ». Ainsi prononce-t-elle la cassation, pour défaut de base légale, de la décision de la cour d’appel qui, pour annuler le bail commercial litigieux, avait retenu que le contrat avait été signé par les futurs associés fondateurs de la société en formation, en leur qualité de représentants de la société et non pas « au nom » de cette société alors que celle-ci, en cours de formation, n’était pas encore constituée. La chambre commerciale juge alors pour la première fois que les juges du fond auraient dû rechercher s’il ne résultait pas non seulement des mentions de l’acte mais également de l’ensemble des circonstances que, nonobstant une rédaction défectueuse, la commune intention des parties était que l’acte fût passé au nom ou pour le compte de la société en formation.
Dont acte : la mention « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation n’est plus requise ad validitatem. L’acte peut être valable, et ainsi valablement repris par la société après son immatriculation, s’il résulte des circonstances de la cause que l’intention commune des parties était de passer un acte au nom pour le compte de la société en formation, et qu’une telle substitution de cocontractant intervienne ultérieurement.
Références :
■ Com. 22 mai 2001, n° 98-19.472
■ Com. 21 févr. 2012, n° 10-27.630 P : D. 2012. 608.
■ Com. 13 nov. 2013, n° 12-26.158 : Rev. sociétés 2014. 33, obs. S. Prévost.
■ Com. 11 juin 2013, n° 11-27.356 : Rev. sociétés 2013. 559, obs. S. Prévost.
■ Com. 10 mars 2021, n° 19-15.618
■ Civ. 3e, 5 oct. 2011, n° 09-72.855 : D. 2012. 2688, obs. J.-C. Hallouin, E. Lamazerolles et A. Rabreau.
■ Com. 19 janv. 2022, n° 20-13.719 : RTD civ. 2022. 378, obs. H. Barbier ; RTD com. 2022. 316, obs. A. Lecourt.
Autres À la une
-
Droit des biens
[ 22 novembre 2024 ]
Acte de notoriété acquisitive : office du juge quant à l’appréciation de la preuve de l’usucapion
-
Droit des obligations
[ 21 novembre 2024 ]
Appréciation de la date de connaissance d’un vice caché dans une chaîne de contrats
-
Libertés fondamentales - droits de l'homme
[ 20 novembre 2024 ]
Chuuuuuut ! Droit de se taire pour les fonctionnaires poursuivis disciplinairement
-
Droit de la responsabilité civile
[ 19 novembre 2024 ]
Recours en contribution à la dette : recherche d’une faute de conduite de l’élève conducteur
-
Droit de la responsabilité civile
[ 18 novembre 2024 ]
L’autonomie du préjudice extrapatrimonial exceptionnel d’un proche d’une victime handicapée
- >> Toutes les actualités À la une