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[ 25 mai 2022 ] Imprimer

Droit des obligations

Revirement de jurisprudence : la caution profite de la prescription biennale appartenant au débiteur principal

Si la prescription biennale de l'article L. 218-2 du code de la consommation procède de la qualité de consommateur, son acquisition affecte le droit du créancier, de sorte qu'il s'agit d'une exception inhérente à la dette dont la caution, qui y a intérêt, peut se prévaloir.

Civ. 1re, 20 avr. 2022, n° 20-22.866

Par un arrêt du 20 avril dernier, la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence en requalifiant la prescription biennale de l'article L. 218-2 du code de la consommation en exception non plus personnelle au débiteur mais inhérente à la dette, laquelle devient alors opposable au créancier par la caution. Elle décide en effet que désormais, ce délai biennal de prescription, procédant de la qualité de consommateur, affecte le droit du créancier, de sorte qu'il s'agit d'une exception inhérente à la dette dont la caution, qui y a intérêt, peut se prévaloir, conformément aux dispositions de l'article 2253 du code civil.

Au cas d'espèce, le 22 novembre 2007, une banque avait consenti à un couple d'emprunteurs un prêt immobilier garanti par le cautionnement d’une société. Par suite, la banque avait assigné les emprunteurs et la caution en paiement des sommes restant dues au titre du prêt. La cour d’appel rejeta sa demande en paiement formée contre la caution en lui opposant la prescription biennale prévue par l'article L. 218-2 du code de la consommation au profit des consommateurs auxquels un professionnel a fourni un bien ou un service. Devant la Cour de cassation, la banque fonda la thèse de son pourvoi sur une jurisprudence constante de la Cour de cassation, analysant la prescription biennale comme une exception purement personnelle au débiteur principal, procédant de sa qualité de consommateur, si bien que l’acquisition de cette prescription ne pouvait être opposée au créancier par la caution (v. not. Civ. 1re, 11 déc. 2019, n° 18-16.147). Il résultait en effet de l'article 2313 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés (Ord. 2021-1192 du 15-9-2021, JO, 16 sept., texte n°19), que si la caution pouvait opposer au créancier toutes les exceptions appartenant au débiteur principal, et inhérentes à la dette, elle ne pouvait en revanche lui opposer les exceptions purement personnelles au débiteur.

Cette solution reposait sur deux arguments, le premier attaché à la qualité de la caution, le second, à la qualification de l’exception constituée par ce délai de prescription : d’une part, n’a la qualité de consommateur que celui à qui le professionnel délivre un bien ou un service. Or tel n’est pas le cas de la caution, à laquelle la banque ne fournit aucun service, conformément au caractère unilatéral du contrat de cautionnement (Civ. 1re, 6 sept. 2017, n° 16-15.331) ; d’autre part, en ce qu’elle constitue une règle de faveur au profit des consommateurs, l’extinction de l’obligation principale par le jeu de la prescription biennale, qui bénéficie donc au seul débiteur principal en droit de la consommation, n’est pas inhérente à la dette mais constitue une exception purement personnelle au débiteur principal (Civ. 1re, 11 déc. 2019, préc.).

Cependant, la Haute Juridiction relève dans le présent arrêt qu'une telle solution présente d’une part l’inconvénient d’exposer le débiteur principal au recours personnel de la caution, le privant ainsi du bénéfice de la prescription biennale attachée à sa qualité de consommateur contractant avec un professionnel fournisseur de biens ou de services. En effet, privée de la possibilité d’invoquer la prescription extinctive tirée de l’article L. 218-2 du code de la consommation pour éviter de payer le créancier, la caution, après avoir procédé au paiement, dispose d’un recours subrogatoire permettant d’être totalement désintéressée si bien que ne supportant rien au stade de la contribution à la dette, la prescription biennale n’a dans ce cadre aucun effet : le débiteur principal peut certes l’invoquer dans son rapport avec le créancier, mais pas contre la caution. D’autre part, la Cour relève que le maintien de sa jurisprudence antérieure conduirait à traiter plus sévèrement les cautions ayant souscrit leur engagement avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance précitée, laquelle permet en principe à la caution d'opposer au créancier toutes les exceptions, personnelles ou inhérentes à la dette, qui appartiennent au débiteur (C. civ. art. 2298 nouv.). Elle abandonne en conséquence sa solution même pour les cautionnements conclus avant le 1er janvier 2022, soit avant l’entrée en vigueur de la réforme du 15 septembre 2021 (sur cette application anticipée du droit nouveau, comp., en matière de promesse de vente, Civ. 3e, 23 juin 2021, n° 20-17.554).

La Cour de cassation en conclut qu'il y a lieu de modifier sa jurisprudence et de décider que si la prescription biennale de l'article L. 218-2 du code de la consommation procède de la qualité de consommateur, son acquisition affecte le droit du créancier en ce qu’elle ne lui interdit pas seulement d’exercer son action contre le débiteur mais commande de constater l’extinction de son droit, de sorte qu’il s’agit d’une exception inhérente à la dette dont la caution peut se prévaloir, grâce à une application anticipée de la réforme, même lorsque son contrat a été conclu antérieurement à son entrée en vigueur.

Par conséquent, la Cour de cassation approuve en l’espèce la position de la cour d’appel qui, ayant constaté l’acquisition du délai biennal de prescription de l’action en paiement formée par la banque contre les emprunteurs, a relevé que la caution s’en prévalait pour s’opposer à la demande en paiement formée contre elle. Il en résulte que la demande en paiement formée par la banque contre la caution ne peut qu’être rejetée. Par ce motif de pur droit, suggéré par la défense et substitué à ceux critiqués, la Cour de cassation décide que la décision déférée se trouve légalement justifiée.

Désormais et par principe, les cautions peuvent donc, conformément au caractère accessoire du cautionnement, invoquer la prescription biennale du droit de la consommation qui profite au débiteur principal consommateur.

Références :

■ Civ. 1re, 11 déc. 2019, n° 18-16.147 : D. 2020. 523, note M. Nicolle ; ibid. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJ contrat 2020. 101, obs. D. Houtcieff ; Rev. prat. rec. 2020. 14, obs. M. Aressy, M.-P. Mourre-Schreiber et Ulrik Schreiber ; ibid. 15, chron. F. Rocheteau ; RTD civ. 2020. 161, obs. C. Gijsbers

■ Civ. 1re, 6 sept. 2017, n° 16-15.331 : DAE, 6 oct. 2017, note Merryl HervieuD. 2017. 1756 ; ibid. 2018. 371, obs. M. Mekki ; ibid. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJ contrat 2017. 496, obs. F. Jacomino

■ Civ. 3e, 23 juin 2021, n° 20-17.554 : DAE, 12 juill. 2021, note Merryl HervieuD. 2021. 1574, note Léa Molina ; ibid. 2251, chron. A.-L. Collomp, B. Djikpa, L. Jariel, A.-C. Schmitt et J.-F. Zedda ; ibid. 2022. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; AJDI 2022. 226, obs. F. Cohet ; Rev. sociétés 2022. 141, étude G. Pillet ; RTD civ. 2021. 630, obs. H. Barbier ; ibid. 934, obs. P. Théry

 

Auteur :Merryl Heriveu


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