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[ 12 décembre 2022 ] Imprimer

Droit commercial et des affaires

Revirement de jurisprudence : la faute grave de l'agent commercial découverte postérieurement à la résiliation du contrat ne le prive pas de son droit à indemnité

L'agent commercial qui a commis une faute grave pendant l’exécution du contrat mais dont la découverte par le mandant est postérieure à la rupture du contrat, révélant que cette faute grave ne peut être à l’origine de la rupture, ne peut être privé de son droit à indemnité.

Com. 16 nov. 2022, n° 21-17.423 P

Un contrat d'agence commerciale liant deux sociétés avait été résilié par l'agent commercial, qui avait ensuite assigné son mandant en paiement des indemnités de rupture et de préavis. L'agent commercial faisait grief à l'arrêt d'appel d’avoir rejeté sa demande d'indemnité compensatrice de rupture. Le moyen principal invoqué par l'agent commercial portait sur l'articulation des articles L. 134-12 et L. 134-13 du Code de commerce. En vertu du premier texte, l’indemnité de fin de contrat est, en principe, due à tout agent commercial. Selon le second, les cas d’exclusion sont limitativement énumérés et relèvent de l’exception (C. com., art. L. 134-13). Ainsi, l’agent peut être privé par le mandant de son indemnité de fin de contrat dans le cas où « la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l’agent commercial » (C. com., art. L. 134-13). L'agent rappelait également que ces dispositions, issues de la transposition en droit interne de la directive 86/653/CEE (18 déc. 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants), doivent être interprétées à la lumière de cette directive dans un sens conforme aux décisions rendues sur son fondement par la CJUE. Or la Cour de justice retient que les dispositions de cette directive relatives à l’indemnité de l’agent ne sauraient être interprétées dans un sens défavorable aux agents commerciaux (CJUE 26 mars 2009, Turgay Semen c/ Deutsche Tamoil GmbH, n° C‑348/07, spéc. § 21 ; 19 avr. 2018, n° C-645/16).

En ce sens, seule une faute grave commise avant la rupture du contrat et connue du mandant doit être considérée comme ayant provoqué la rupture, excluant par exception le droit à indemnité de l'agent commercial. En revanche, l’indemnité de l’agent doit être maintenue lorsque la faute grave a été postérieurement relevée ou dénoncée par le mandant (CJUE 28 oct. 2010, n °C-203/09, spéc. § 43). Or en l’espèce, si l’agent avait bien commis une faute grave, en bravant l’interdiction faite par son mandant de commercialiser des produits concurrents, cette faute grave, en ce qu’elle avait été tardivement dénoncée par le mandant, ne pouvait priver l’agent de son indemnité.

Développée sous l’angle du droit européen, la thèse du pourvoi ne pouvait que convaincre. Elle se heurtait toutefois à un obstacle de taille : la résistance constante de la Cour de cassation à cette interprétation européenne. En effet, depuis une vingtaine d’années, la Cour de cassation considérait qu’un agent commercial devait être privé de son indemnité de fin de contrat même lorsque sa faute grave, commise pendant l’exécution du contrat, avait été découverte postérieurement par le mandant. La situation type rencontrée en pratique est chronologiquement la suivante : le mandant résilie le contrat, sans mention de la faute grave ; l’agent sollicite, comme la loi le lui impose (C. com., art. L. 134-12), sa volonté de percevoir l’indemnité d’ordre public ; le mandant oppose alors la faute grave de l’agent commercial. Selon la Cour de cassation, dont la position demeurait inchangée malgré l’interprétation contraire de la CJUE, cette invocation tardive de la faute grave n’empêchait pas le mandant de priver l’agent de son indemnité de fin de contrat (Com. 19 juin 2019, n° 18-11.727 ; 1er juin 2010, n° 09-14.115 ; 24 nov. 2015, n° 14-17.747 ; v. déjà 15 mai 2007, n° 06-12.282). Même révélée postérieurement à la rupture du contrat, la faute grave de l’agent conduisait donc à déchoir ce dernier de son droit à indemnité.

Au visa des articles L. 134-12, alinéa 1, et L. 134-13 du Code de commerce, transposant les articles 17, § 3 et 18 de la directive précitée, la Cour de cassation casse l'arrêt rendu par la cour d'appel et opère ainsi un revirement de jurisprudence.

Après avoir rappelé son ancienne position (§ 10), puis celle de la Cour de justice (§ 11), la Cour juge qu’« il apparaît nécessaire de modifier la jurisprudence de cette chambre et de retenir désormais que l’agent commercial qui a commis un manquement grave, antérieurement à la rupture du contrat, dont il n’a pas été fait état dans la lettre de résiliation et a été découvert postérieurement à celle-ci par le mandant, de sorte qu’il n’a pas provoqué la rupture, ne peut être privé de son droit à indemnité » (§ 13).

Conforme à la lettre comme à l’esprit des textes applicables, cet alignement de la Cour de cassation est bienvenu. En effet, dans le but de conférer un statut protecteur aux agents commerciaux, les textes indiquent expressément que l’indemnité de fin de contrat, ayant valeur d’ordre public, peut par exception ne pas être versée lorsque « la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l’agent commercial » (C. com., art. L. 134-13 ; sur le seuil de gravité de la faute, v. Com. 19 oct. 2022, n° 21-20.681 ; 29 juin 2022, n° 20-11.952 et n° 20-13.228). L’indemnité peut donc seulement être refusée lorsque la faute grave de l’agent est à l’origine de la rupture du contrat. Une imputabilité est exigée. La directive, dont l’article précité du Code de commerce n’est que la reprise, le confirme : l’indemnité est écartée « lorsque le [mandant] a mis fin au contrat pour un manquement imputable à l’agent commercial » (art. 18, a). Or, à partir du moment où le mandant s’abstient de mentionner cette faute lorsqu’il décide de mettre fin au contrat, on peut logiquement en déduire que la cause de la rupture contractuelle se trouve ailleurs. Dans tous les cas où cette rupture s’explique autrement que par la faute, même grave, de l’agent, il convient donc de considérer que ce dernier conserve le droit de solliciter son indemnité de rupture.

Concrètement, il s’agit donc désormais pour le mandant de veiller à dénoncer la faute grave de l’agent dès l’envoi du courrier de résiliation du contrat. Passé cette date, il sera trop tard et l’indemnité de fin de contrat pourra être valablement sollicitée par l’agent commercial, quand bien même celui-ci aurait effectivement commis une telle faute. Toutefois, le montant de cette indemnité pourra, par souci d’équité, être diminué (CJCE 28 oct. 2010, op. cit., spéc. § 44).

Références :

■ CJUE 26 mars 2009, Turgay Semen c/ Deutsche Tamoil GmbH, n° C‑348/07 D. 2009. 1141 ; RTD com. 2009. 609, obs. B. Bouloc.

■ CJUE 19 avr. 2018, n° C-645/16 D. 2018. 893 ; ibid. 2019. 783, obs. N. Ferrier ; AJ contrat 2018. 294, obs. C. Nourissat.

■ CJUE 28 oct. 2010, n° C-203/09 D. 2010. 2575, obs. E. Chevrier.

■ Com. 19 juin 2019, n° 18-11.727 D. 2020. 789, obs. N. Ferrier.

■ Com. 1er juin 2010, n° 09-14.115

■ Com. 24 nov. 2015, n° 14-17.747 RTD civ. 2016. 115, obs. H. Barbier.

■ Com. 15 mai 2007, n° 06-12.282 P : D. 2007. 1592, obs. E. Chevrier ; RTD com. 2008. 172, obs. B. Bouloc.

■ Com. 19 oct. 2022, n° 21-20.681 P : D. 2022. 1854.

■ Com. 29 juin 2022, nos 20-11.952 P et 20-13.228 P : D. 2022. 1260 ; ibid. 1309.

 

Auteur :Merryl Hervieu

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