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Droit des obligations
Revirement de jurisprudence sur le point de départ de la prescription dans le cadre d’un crédit immobilier
Mots-clefs : Prescription, Point de départ, délai, Prêt à échéances, Professionnel, Consommateurs, Revirement
Pour une dette payable en termes successifs, il est admis le principe de divisibilité de la prescription au même titre que la dette, ainsi le point de départ de l’action en paiement pour les mensualités court à compter de chaque échéance, et à compter de la déchéance du terme pour l’action en paiement du capital.
Quatre arrêts rendus par la première chambre civile de la Cour de cassation, en date du 11 février 2016, effectuent un revirement de jurisprudence quant au point de départ du délai de prescription de l’action du professionnel prévu à l’article L. 137-2 du Code de la consommation. Ces arrêts soumis à une publicité maximale, témoignent de l’importance et de la portée du revirement opéré.
Les faits d’espèce sont les suivants: des consommateurs souscrivent à un prêt immobilier et suite à des échéances impayées, les établissements bancaires les assignent en paiement. Dans ces affaires, les consommateurs mettent en exergue l’application du délai biennal de l’article L. 137-2 du Code de la consommation, et rappellent que le point de départ de l’action en prescription se situe au moment du premier incident de paiement. En l’espèce, l’action est donc prescrite. A contrario, les établissements bancaires considèrent que la prescription commence à courir à chaque échéance, et à déchéance du terme pour le capital, car on ne peut admettre comme prescrite une créance non encore exigible. L’intérêt de ces arrêts porte sur l’action en remboursement faite par l’établissement bancaire et plus précisément sur la prescription de cette action.
Il ne fait guère de doute que l’article L. 137-2 du Code de la consommation est ici applicable. Cet article consumériste prévoit un délai biennal pour « l’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent au consommateur ». Il s’applique donc au crédit immobilier à partir du moment où le crédit est établi au profit d’un consommateur (en revanche application du délai de droit commun pour un crédit immobilier consenti à un non-consommateur : Civ. 1re, 3 févr. 2016, n° 15-14.689).
S’agissant du point de départ du délai de prescription, l’article 2224 du Code civil fixe le point de départ du délai de droit commun de la prescription « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant de l’exercer ». Dans le cadre d’un prêt immobilier, dont le remboursement se fait par échéances successives, le point de départ de la prescription va susciter des divergences d’interprétation.
Jusqu’à présent, la jurisprudence admettait ainsi dans le cas d'une action en paiement au titre d'un crédit immobilier consenti par un professionnel à un consommateur, le point de départ à la date du premier incident de paiement non régularisé (Civ. 1re, 10 juill. 2014, n° 13-15.511; Civ. 1re 16 avr. 2015, n° 13-24.024 ; Civ. 1re, 9 juill. 2015, n° 14-17.870). Ainsi la jurisprudence uniformisait le délai de prescription de toutes les échéances du crédit au premier incident de paiement non régularisé. Autrement dit, il y avait un « effet domino ». Dès le premier incident de paiement le délai de prescription commençait à courir pour toutes les échéances, ainsi que pour le capital. De surcroît, cette position était critiquée en doctrine car ceci revenait à admettre comme étant prescrite des échéances parfois non encore exigibles ; et également à appliquer au délai de prescription de l’article L. 137-2 la même solution que le délai de forclusion prévu à l’article L. 311-52 du Code de la consommation (fixant le point de départ de la prescription au « premier incident de paiement non régularisé », pour le crédit à la consommation). Le seul mérite de cette solution est qu’elle unifie le délai de prescription et offre une « surprotection » au profit de l’emprunteur consommateur.
Les arrêts du 11 février 2016 opèrent un revirement au visa des articles L. 137-2 du Code de la consommation et des articles 2224 et 2233 du Code civil (excepté pour l’arrêt n° 14-22.938, arrêt de rejet). Les deux premiers articles étaient déjà directement visés par la jurisprudence. Ces arrêts apportent une précision cruciale concernant l'article 2233, 3° du Code civil en affirmant que les prescriptions pour une créance à terme ne commence à courir qu'à compter du terme de cette dernière.
Il est ainsi décidé « qu’à l’égard d’une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l’égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance, de sorte que, si l’action en paiement des mensualités impayées se prescrit à compter de leurs dates d’échéance successives, l’action en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité ». Les magistrats du Quai de l’Horloge mettent en exergue que pour la dette payable par termes successifs à l’instar du crédit immobilier, le délai de prescription se divise de la même manière que la dette.
En d’autres termes, il existe autant de prescriptions que de termes successifs, et le point de départ de chaque prescription ne commence à courir que lorsqu’une des fractions de la dette arrive à échéance et devient exigible. Ainsi, il est mis fin à l’idée qu’il n’existe qu’un seul délai de prescription pour l’ensemble des échéances, se résumant à la date du premier incident de paiement. La présente solution admise se veut moins contraignante à l’égard des établissements bancaires, dont le risque de prescription dès le premier impayé était lourd de conséquences.
In fine, dans le cas où l’établissement bancaire provoque la déchéance du terme, s’agissant de l’action en remboursement du capital restant dû, le délai de prescription court à compter de la date de déchéance du terme.
Civ. 1re, 11 févr. 2016, FS-P+B+R+I, n° 14-22.938
Civ. 1re, 11 févr. 2016, FS-P+B+R+I, n° 14-28.383
Civ. 1re, 11 févr. 2016, FS-P+B+R+I, n° 14-27.143
Civ. 1re, 11 févr. 2016, FS-P+B+R+I, n° 14-29.539
Références
■ Civ. 1re, 10 juill. 2014, n° 13-15.511, D. 2014. 1541 ; ibid. 2015. 588, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD com. 2014. 675, obs. D. Legeais
■ Civ. 1re, 3 févr. 2016, n° 15-14.689, D. 2016. 372, obs. V. Avena-Robardet
■ Civ. 1re 16 avr. 2015, n° 13-24.024, D. 2015. 916, obs. V. Avena-Robardet ; RTD com. 2015. 337, obs. D. Legeais
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