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Droit des obligations
La vente à vil prix relève de la nullité relative
Mots-clefs : Vente, Cession de parts, Vil prix, Nullité relative, Délai de prescription
L’action en nullité d’une vente consentie à vil prix relève du régime de la nullité relative, en ce qu’elle a pour but de protéger l’intérêt privé des vendeurs. La motivation particulière de la Cour de cassation retient l’attention.
Dans cette affaire, en 2003, trois associés d'une société se sont engagés à vendre chacun 5% du capital de leur société à un tiers. En contrepartie, l'acquéreur était tenu de leur verser 500 euros et de devenir le directeur commercial de la société pour une durée de cinq ans. Sept années plus tard, en 2010, les vendeurs assignèrent l'acquéreur en nullité de la cession des parts de la société pour absence de prix ou à défaut pour vileté du prix. Cependant, très judicieusement, ce dernier invoqua en défense la prescription de cette action.
Tout l’enjeu de cet arrêt est alors de déterminer si un contrat atteint d’une absence de prix (ou vil prix) est sanctionné par la nullité relative ou absolue et ainsi, en déduire une prescription quinquennale (argument du défendeur) ou trentenaire (argument des requérants). Pour ce faire, la Cour applique un raisonnement en trois temps : elle apprécie quel est l’intérêt protégé par la règle de droit (privé ou général), pour en déduire la nullité concernée (relative ou absolue), puis le délai de prescription applicable (quinquennale ou trentenaire).
En l’espèce, des parts sociales semblent avoir été cédées à vil prix (c’est-à-dire à un prix dérisoire ; la jurisprudence semblant assimiler prix nul, vil ou dérisoire). Dans un contrat de vente, le prix doit être déterminé ou déterminable dès sa formation (C. civ., art. 1591). La cause objective du contrat de vente réside dans son prix. Or, la cause d’un contrat est un élément essentiel à sa formation (C. civ., art. 1108) ; et la sanction d’un élément essentiel à la formation du contrat est la nullité, soit son anéantissement rétroactif. Ainsi, s’il est évident qu’il faille raisonner en termes de nullité dans cette affaire, il s’agit plus particulièrement de se demander quelle nullité appliquer.
Pour distinguer entre nullité relative et nullité absolue, il convient de s’interroger sur l’intérêt protégé par la règle de droit. Protège-t-elle un intérêt privé, celui du demandeur (nullité relative) ou protège-t-elle l’intérêt général, c’est-à-dire celui de la société dans son ensemble, le bien commun (nullité absolue) ?
D’origine doctrinale, la théorie moderne des nullités, traditionnellement attribuée à René Japiot, a connu un essor remarquable. Elle se retrouve depuis longtemps dans la jurisprudence, puis, dernièrement, a été consacrée par l’ordonnance du 10 février 2016 réformant le droit des contrats (C. civ., art. 1178 s., à compter du 1er oct. 2016). Cette distinction emporte d’autres conséquences pratiques, telles que la personne ayant qualité pour agir en justice ou encore la possibilité de confirmer le contrat vicié.
En l’espèce, la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence, du moins en ce qui concerne sa chambre commerciale. Elle rappelle en effet que si auparavant, elle vérifiait « l’absence ou l’existence d’un élément essentiel du contrat au jour de sa formation », aujourd’hui elle remarque que c’est « au regard de la nature de l'intérêt, privé ou général, protégé par la règle transgressée qu'il convient de déterminer le régime de nullité applicable ». Dans cette affaire, c’est l’intérêt privé des vendeurs qui est concerné par le possible vil prix (possible, car la Cour ne tranche pas cette question). Elle peut conclure à un cas de nullité relative. Si le raisonnement est logique, son point de départ, le critère d’intérêt protégé reste vague. En effet, à travers un intérêt privé comme le prix d’un contrat, qui constitue la cause du contrat de vente, se révèle la conception de l’économie contractuelle. En érigeant le prix en élément essentiel à sa formation, le législateur en fait une question d’intérêt général. Et réciproquement, dans toute question d’intérêt général se cache un intérêt privé, celui du justiciable qui porte son affaire devant les juges. Ce critère malléable est cause d’insécurité juridique. Comme le souligne le professeur Gaël Chantepie : « la catégorie des nullités relatives exerçant une attraction diffuse sur les nullités absolues » (D. 2008. 954).
La portée directe de la solution se situe dans l’application du délai de prescription de cinq ans à compter de la conclusion de l’acte. En effet, avant la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, la jurisprudence appliquait le délai de droit commun aux actions en nullité absolue, qui était de trente ans (C. civ., anc. art. 2262). En l’espèce, c’est une conséquence importante pour les demandeurs, qui se voient fermer toute possibilité de revendiquer leurs prétentions en justice.
Pour terminer, il faut signaler la remarquable motivation de la chambre commerciale, qui rappelle sa jurisprudence antérieure et souligne son revirement de jurisprudence. Cet effort de clarté très novateur répond à l’impulsion lancée par le premier président de la Cour de cassation, Betrand Louvel, et dont cet arrêt en est le plus significatif pour l’instant.
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