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Droit des successions et des libéralités
Révocation d’une donation-partage pour inexécution des charges : conditions d’ouverture de l’action
Mots-clefs : Libéralités, Donation-partage, Charges, Inexécution, Action révocatoire, Conditions, Appréciation
Les conditions d’ouverture de l’action en révocation, notamment celle selon laquelle la charge doit être la cause impulsive et déterminante de la libéralité, sont appréciées au regard du donateur, qualité dont seul le parent survivant dispose, et non au regard des donataires copartagés.
Un mari et son épouse décèdent respectivement les 22 mars 1979 et 5 avril 2008 en laissant pour leur succéder leurs cinq enfants. Par une donation-partage en date du 1er septembre 1981, la mère avait donné à l'une de ses filles la nue-propriété d'un immeuble à charge pour elle, d’une part, de verser des soultes à ses frères et sœurs et, d’autre part, de nourrir, vêtir, entretenir et prodiguer les soins nécessaires à sa mère, donatrice. L’un des frères de la gratifiée demande en justice la révocation de la donation-partage pour inexécution de la charge stipulée dans l’acte. La cour d’appel rejette sa demande au motif que la stipulation de la charge litigieuse, quoique non exécutée, n'avait pas été déterminante du consentement de la donatrice.
A l’appui de son pourvoi en cassation, le frère soutient que dans le cadre d’une action en révocation d’une donation-partage cumulative, il convient de tenir compte, pour apprécier si la charge inexécutée était ou non la cause impulsive et déterminante de la libéralité, à la fois du consentement du parent survivant, mais également de celui de ses enfants, en leur qualité d’héritiers des biens du parent prédécédé, cette qualité leur conférant par là même celle de donateurs.
La Cour de cassation rejette le pourvoi au motif qu’en cas de donation-partage par le parent survivant de biens, qui dépendaient de la communauté dissoute par le décès de son époux, laquelle réalise par un même acte, un partage amiable de biens relevant de la succession et une donation-partage de biens de ce parent, seul celui-ci a la qualité de donateur en sorte que pour apprécier les conditions d'ouverture de l'action en révocation pour inexécution des charges assortissant cette donation, la cour d'appel n'avait pas à rechercher si celles-ci avaient été déterminantes du consentement à l'acte des enfants.
La donation-partage est dite « cumulative » lorsque le parent survivant donne ses biens en y ajoutant, pour former une masse unique, ceux de la succession de son conjoint prédécédé. Ainsi permet-elle de procéder globalement, dans le même acte et sous l’autorité du parent survivant, au partage de la succession de l’époux prédécédé et au partage anticipé de celle du survivant. En l’espèce, la donation-partage cumulative, consentie par la mère à ses cinq enfants, portait sur la nue-propriété d’une maison d'habitation, bien commun au couple dont l’époux était prédécédé. Elle présentait la particularité d’être assortie d’une clause de soins, stipulée à la charge d’un seul des enfants au profit du parent survivant, qui n’avait pas été exécutée. Demandée par l’un des héritiers, la révocation de la donation pour cause d'inexécution de la charge (que le Code nomme « condition », C. Civ., . art. 953) avait été refusée par les juges du fond au motif que ladite charge n’avait pas été déterminante du consentement de la donatrice. Il est, on le sait, de jurisprudence constante que la révocation d’une donation n'est encourue que si la condition a revêtu, dans l'esprit du disposant, un caractère déterminant, et non accessoire, de sa volonté, peu important, en revanche que la charge ait été stipulée dans l'intérêt du gratifié, du disposant ou même d'un tiers (Civ., 1re, 24 avr. 1958).
L’auteur du pourvoi contestait cependant le fait que les juges du fond n’aient tenu compte que du consentement de la donatrice, à l’exclusion de celui des enfants qui, selon lui, avaient la qualité de codonateurs. Le problème qu’il soulevait supposait en vérité, pour être résolu, que la Cour se prononçât sur la nature juridique exacte de la donation-partage cumulative. Or celle-ci ne va pas de soi dans la mesure où elle constitue, juridiquement, une opération globale et indivisible mais contient, formellement, deux conventions différentes : la donation proprement dite, concernant les biens donnés par le parent survivant, et un partage successoral, pour les biens provenant du conjoint prédécédé.
Le demandeur au pourvoi faisait alors naturellement valoir l’indépendance des deux actes – la donation et le partage – afin que les enfants, en leur qualité d’héritiers des biens du précédé, soient considérés comme codonateurs du parent survivant ayant donné ses propres biens. Sa thèse pouvait d’ailleurs, à plusieurs titres, trouver appui en jurisprudence. En effet, lorsqu’ils prononcent la révocation d’une donation-partage cumulative, les juges ne permettent au donateur de reprendre que les droits dont il était antérieurement titulaire et qu’il a personnellement donnés, à l’exclusion de ceux qui appartenaient à son conjoint prédécédé (Civ., 1re, 19 mars 1973, n° 72-10.378; Civ., 1re, 29 mai 1980, n° 79-12.762). Aussi bien, en tant qu’elle opère un partage, la jurisprudence exige depuis longtemps l’accord de tous les enfants, en leur qualité de copartageants, à l’opération de donation-partage (Civ., 1re, 20 juin 1955).
Cependant, la Cour de cassation privilégie l’indivisibilité de l’opération, jugeant que la donation réalise « par un même acte » un partage amiable des biens hérités. D’ailleurs, et en ce sens, le parent survivant impose généralement aux enfants donataires, comme condition de la donation, la réunion des biens qu’ils ont recueillis dans la succession du prédécédé, en sorte que lui seul, comme l’affirme ici la Cour, doit être considéré comme donateur, dont la mesure de ce qui a déterminé son consentement mérité d’être appréciée.
Civ. 1re, 28 mai 2015, n° 14-13.479
Références :
■ Code civil
Article 953
« La donation entre vifs ne pourra être révoquée que pour cause d'inexécution des conditions sous lesquelles elle aura été faite, pour cause d'ingratitude, et pour cause de survenance d'enfants. »
■ Civ., 1re, 24 avr. 1958, D. 1958. 113.
■ Civ., 1re, 19 mars 1973, n° 72-10.378, D. 1973. 593, note Breton.
■ Civ., 1re, 29 mai 1980, n° 79-12.762, D. 1982. 18, note Y. Flour et M. Grimaldi.
■ Civ., 1re, 20 juin 1955, D. 1955. 537.
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