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Droit des successions et des libéralités
Révocation d’une donation pour cause d’ingratitude : mission impossible ?
L’action en révocation d’une donation pour cause d’ingratitude doit être engagée dans le délai d'un an à compter du jour où la condamnation pénale du donataire est devenue définitive et ne peut être accueillie, faute de délits civils commis par le donataire à l’encontre du donateur, du seul fait des infractions pénales réalisées par le premier au préjudice des sociétés dont le second lui avait cédé la majorité du capital.
Par acte authentique du 21 décembre 2007, un couple avait consenti à ses deux enfants, une donation-partage incorporant plusieurs donations antérieures, aux termes de laquelle leur fils avait reçu la nue-propriété de 66 % des actions d’une grande société de téléphonie mobile constituée par son père, holding regroupant plusieurs sociétés civiles immobilières et commerciales, l'usufruit étant conservé par les donateurs. Un arrêt du 17 décembre 2013, devenu définitif, avait condamné le fils pour abus de biens sociaux, abus de confiance et complicité d'abus de confiance au préjudice de la société appartenant à son père et de l’une de ses filiales. En effet, ce dernier avait transféré une ligne téléphonique appartenant à la société mère au bénéfice de la propre société qu’il avait créée, à l’effet de concurrencer celles dont il était pourtant, grâce à la donation de son père, le dirigeant, subtilisé les fichiers clients de la filiale, utilisé un véhicule, du matériel et le logiciel appartenant à celle-ci, ainsi que du temps de travail de certains de ses salariés et, enfin, employé l’un d’entre eux au profit de sa propre société, alors en cours de constitution. Le 30 juin 2014, ses parents l’avaient assigné en révocation des donations consenties le 21 décembre 2007 pour cause d'ingratitude.
La cour d’appel jugea leur demande recevable et bien-fondée.
Recevable, d’une part, l’action ayant été engagée, conformément à la loi, dans le délai d'un an à compter du jour où la condamnation pénale du donataire était devenue définitive ; en effet, l’article 957 du Code civil, qui fixe le point de départ du délai d’exercice de l’action en révocation pour cause d’ingratitude au jour du délit civil imputé au donataire ou au jour où ce délit aura pu être connu du disposant, n'exclut pas que, lorsque le fait invoqué constitue une infraction pénale, ce point de départ soit retardé jusqu'au jour où la condamnation pénale aura établi la réalité des faits reprochés au gratifié (Civ. 1re, 22 nov. 1977, n° 76-10.821), c’est-à-dire au jour où elle devient définitive (Civ. 1re, 19 mars 2014, n° 13-15.662) ; engagée le 30 juin 2014 quand la condamnation pénale avait été définitivement prononcée le 17 décembre 2013, l’action n’était donc pas prescrite.
Bien fondée, d’autre part, les faits imputables au donataire, matérialisés à travers différentes infractions pénales pour lesquelles il a été définitivement condamné, constituant le délit civil visé à l'article 955, 2°, du Code civil et justifiant qu'il fût fait droit à l'action révocatoire des donateurs. Par exception au principe d’irrévocabilité des donations, le texte précité prévoit en effet qu’une donation entre vifs peut être révoquée lorsque le donataire s’est rendu coupable envers le donateur de sévices, délits ou injures graves. Ainsi la cour d’appel, jugeant les délits commis comme une cause exceptionnellement prévue par la loi civile de révocation de la donation litigieuse, ajouta-t-elle que le donataire avait ainsi manqué à une obligation de reconnaissance envers ses parents qui l'avaient gratifié et que le détournement des fichiers clients de la filiale avait notamment concrétisé son intention de concurrencer, par des moyens illicites, l'activité des sociétés créées par son père.
Le fils forma un pourvoi en cassation. Il contestait d’abord la recevabilité de l’action, au moyen que si le point de départ du délai de prescription de l’article 957 du Code civil, en cas de condamnation pénale, correspond donc au jour où le jugement est devenu définitif, c'est à la condition que le délai d'un an ne soit pas expiré au jour de la mise en mouvement de l'action publique par le demandeur à la révocation, ce qui a en effet déjà pu être jugé (Civ. 1re, 20 oct. 2010, n° 09-16.451). Le report du point de départ du délai préfix au jour de la condamnation pénale définitive suppose donc, contrairement à ce qu’auraient retenu les juges du fond, que le donateur ait été à l'initiative de la mise en mouvement de l'action publique. Le demandeur au pourvoi contestait ensuite la recevabilité de l’action, au moyen que les délits pour lesquels il avait été condamné n'avaient pas été commis au préjudice des donateurs mais à celui des sociétés.
La Cour de cassation confirme la décision des juges du fond quant à la recevabilité de l’action ; celle-ci ayant relevé qu'à la suite d'une enquête préliminaire ordonnée en janvier 2010 par le procureur de la République, à réception d'une dénonciation de faits suspects émanant du commissaire aux comptes de la société mère, et d'une plainte de cette dernière ainsi que de la filiale, une information judiciaire avait été ouverte le 18 juin 2011, et que celle-ci avait abouti au renvoi du demandeur devant le tribunal correctionnel, les juges ont valablement retenu que les donateurs ne pouvaient agir en révocation avant la condamnation définitive de leur fils, dès lors qu'ils invoquaient contre lui, à titre de délits civils, des faits constitutifs d'infractions pénales, sans avoir à constater que le délai d'un an prévu à l'article 957 du Code civil n'était pas expiré lors de la mise en mouvement de l'action publique dès lors que ce point n'était pas discuté, la cour d'appel a exactement déduit que l'action en révocation de la donation, engagée moins d'un an après la condamnation pénale définitive établissant la réalité des faits reprochés à leur fils, était recevable.
Le second moyen est en revanche accueilli. Au visa de l'article 955 du Code civil, dont il résulte que la révocation d'un acte de donation pour ingratitude ne peut être prononcée que pour des faits commis à l'encontre du donateur, la Haute cour juge que les délits commis à l’encontre des seules sociétés n'étaient donc pas de nature à constituer l'une des causes de révocation légalement prévues. La Cour confirme ainsi la nécessité d’une interprétation stricte du texte de l’article 955 du Code civil, la liste des causes révocatoires étant dressée à titre exceptionnel et pour cette raison, expressément limitative. Ainsi refuse-t-elle d’étendre le champ d’application du deuxième alinéa du texte, qui prévoit le cas de délits civils commis à l’encontre du donateur, aux délits prévus par le droit pénal, malgré le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond en la matière (Civ. 1re, 31 janv. 1966). Cette lecture du texte, confrontée à celle des faits rapportés, est pour le moins troublante. Elle était toutefois prévisible, la révocation des donations étant, qu’elle soit fondée sur des délits commis (Civ. 1re, 14 janv. 2003, n° 00-20.467) ou des injures proférées par les donataires (Civ. 1re, 4 mars 2015, n° 14-13.329), très rarement obtenue, faute de gravité suffisante.
« L’ingratitude de nos enfants, c’est la bouche mordant la main à qui lui porte la nourriture » (W. Shakespeare)
Civ. 1re, 30 janvier 2019, n° 18-10.091
Références
■ Civ. 1re, 22 nov. 1977, n° 76-10.821 P : D. 1978.IR 241, obs. D. Martin
■ Civ. 1re, 19 mars 2014, n° 13-15.662 P: D. 2014. 776 ; AJ fam. 2014. 313, obs. N. Levillain ; RTD civ. 2014. 429, obs. M. Grimaldi
■ Civ. 1re, 20 oct. 2010, n° 09-16.451 P: D. 2010. 2517 ; AJ fam. 2011. 52, obs. C. Vernières
■ Civ. 1re, 31 janv. 1966 : Bull. civ. I, n° 66
■ Civ. 1re, 14 janv. 2003, n° 00-20.467 P : AJ fam. 2003. 106, et les obs. ; RTD civ. 2003. 530, obs. J. Patarin ; ibid. 531, obs. J. Patarin
■ Civ. 1re, 4 mars 2015, n° 14-13.329 : AJ fam. 2015. 229, obs. N. Levillain
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