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[ 16 avril 2021 ] Imprimer

Droit des obligations

Révocation tacite d'une promesse synallagmatique d'achat d'actions

Une promesse synallagmatique d'achat d'actions a été considérée comme révoquée par les parties qui n'avaient pas demandé la désignation d'un expert pour trancher leur désaccord sur le prix, alors que le contrat de promesse prévoyait ce recours.

Com. 3 mars 2021, n° 18-25.528

Aux termes d'un contrat, le président d’une société s’engage à acheter, en cette qualité ou en son nom personnel, les actions qu’une société détenait dans le capital de sa propre société, selon un calendrier déterminé. Il stipule qu'à défaut d'accord entre les parties sur le prix de cession des actions, ce prix sera déterminé par un expert désigné selon les dispositions de l'article 1843-4 du Code civil lequel prescrit, dans cette hypothèse, la désignation de ce tiers expert par le président du tribunal de commerce. L'acquisition des actions n'étant pas effectuée dans les délais convenus, le bénéficiaire de la promesse synallagmatique d’achat assigne le promettant en exécution forcée de ce contrat. 

Sa demande est rejetée pour les motifs suivants : 

* alors que les parties au contrat prévoyait que l'achat se ferait selon un échéancier déterminé, cet échéancier n'a pas été respecté par les parties ;

* alors que ce même contrat prévoyait qu'en cas de désaccord sur le prix des actions, ce prix serait déterminé par un expert, sur le fondement de l'article 1843-4 du Code civil, aucune des parties n'a saisi le président du tribunal de commerce pour demander la désignation de cet expert bien qu’elles n’étaient pas parvenues à s’accorder sur la valeur des actions litigieuses;

* après la signature du contrat comportant la promesse d'achat, les parties sont restées en pourparlers et ont échangé des courriers pendant deux ans, sans jamais parvenir à s'entendre ni sur le prix des actions, ni sur les modalités de leur paiement.

La Cour de cassation rejette le pourvoi dont elle était saisie, qui se fondait principalement sur le caractère définitif de la cession conclue dès lors que les parties discutaient non pas du principe de la cession d’actions, qui était acquise, mais du prix de ces actions, prévu pour être dans ce cas fixé par un expert, en sorte que n’était pas ainsi remis en cause l’accord ferme et définitif des parties au contrat, « définitivement scellé ». 

La Haute cour juge toutefois que par ses constatations et appréciations souveraines, faisant ressortir que faute de s’être accordées sur le prix et les modalités de la cession d’actions litigieuse, les parties avaient révoqué le contrat d’un commun accord, la cour d’appel a légalement motivé sa décision.

Cette décision peut surprendre. En effet, la promesse d'achat synallagmatique remplissait toutes les conditions nécessaires pour qu’au lieu de sa caducité, son exécution forcée en nature soit prononcée : elle comportait non seulement l'accord des parties sur la chose (les actions visées étaient déterminées) mais également sur le prix, du moins dans son principe, seul son montant devant être exactement chiffré par un expert, conformément aux dispositions de l'article 1843-4 du Code civil dont le renvoi par une stipulation du contrat suffit pourtant, en principe, à rendre le prix déterminable (P. Puig, Les contrats spéciauxDalloz, coll. Hypercours, n° 266 et 271 s., parlant dans ce cas de « détermination subjective du prix », en ce qu’elle fait intervenir un tiers au contrat). 

En vertu de ce texte, les parties s’en étaient ainsi expressément remises, en cas de désaccord sur le prix, à l’estimation d’un expert ayant les pouvoirs prévus à l’article précité pour valoriser les titres et dont les conclusions s’imposent à elles (P. Puig, Les contrats spéciaux, op. cit., n° 274). De surcroît, aucun délai n’était prévu à peine de la caducité de la promesse d’achat pour obtenir la désignation dudit tiers évaluateur. Enfin, et surtout, le recours à l’article 1843-4 du Code civil vaut détermination du prix. Dès lors que le consentement des parties avait été obtenu et ne nécessitait pas un nouvel accord de leur part, et en l’absence de date butoir stipulée pour solliciter l’expert en cas de désaccord sur le prix, la vente aurait donc dû être jugée parfaite et partant, susceptible d’exécution forcée en nature. 

Le refus des juges de l’ordonner s’explique sans doute par l’insuccès des négociations ultérieurement engagées par les parties pour parvenir enfin à un accord sur le montant et les modalités du prix de cession. Confirmant leur désaccord initial, l’échec de ces pourparlers signait sans doute aux yeux des juges, notamment en considération de leur durée (deux ans), l’impasse dans laquelle se trouvaient les parties. L’absence d’issue possible qui ressortait de cette nouvelle tentative de s’entendre sur un prix a semble-t-il conduit les juges à remettre en cause l’accord initial des parties, pourtant techniquement figé, et à autoriser l’acheteur à se rétracter faute d’accord susceptible d’être obtenu, en pratique, avec son partenaire. Cette approche peut toutefois être contestée : l’engagement et la poursuite de ces négociations auraient tout aussi bien pu être vus comme la volonté maintenue des parties de s’accorder sur un prix et de parfaire ainsi leur accord de principe, conformément au principe de l'exécution de bonne foi des contrats (C. civ., art. 1104, anciennement art. 1134, al. 3). 

Le réalisme judiciaire l’a néanmoins emporté sur les principes légalistes.

 

Auteur :Merryl Hervieu

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