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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Roms, gens du voyage et CEDH : irrégularité du séjour et principe de liberté de circulation
Mots-clefs : Convention européenne des droits de l’homme, Liberté de circulation, Principe de non- discrimination, Gens du voyage, Roms, Irrecevabilité
Afin d’invoquer le droit de circuler librement (Prot. n° 4, art. 2) , le requérant doit apporter les éléments permettant de justifier de la régularité de son séjour sur le territoire français au-delà de la période de trois mois prévue par la loi; en l’absence de justification, ce droit ne peut être invoqué et rend l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme (interdiction de la discrimination) inapplicable, celui-ci n’ayant pas d’existence indépendante des autres articles de la Convention.
Procédure interne
En avril 2009, le requérant d’origine roumaine et d’autres personnes ont installé des caravanes dans une impasse proche d’une voie publique sur le territoire d’une commune.
En novembre 2009, une aire d’accueil des gens du voyage fut ouverte sur la commune. Le maire prit un arrêté afin d’interdire le stationnement des caravanes sur toutes les voies de la commune, sauf sur les aires prévues à cet effet.
Le 29 décembre 2009, les occupants de l’impasse dont le requérant furent mis en demeure de quitter les lieux dans les vingt-quatre heures. Le lendemain, ce dernier saisit le juge des référés du tribunal administratif afin de demander l’annulation de la mise en demeure qui fut rejetée le 4 janvier 2010. Il fit alors appel et soumit une QPC qui fut accueillie favorablement par le Conseil d’État. Il contestait la conformité à la Constitution et plus spécialement l’atteinte au principe d’égalité (DDH, art. 6) des articles 9 et 9-1 de la loi n° n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage. L'article 9 prévoit une procédure simplifiée d'expulsion des gens du voyage principalement lorsque la commune s'est conformée aux obligations résultant du schéma départemental d'accueil des intéressés. Elle donne la possibilité au préfet de procéder, après mise en demeure et pour les seules communes ayant satisfait à leurs obligations légales en matière d'accueil des gens du voyage, à l'évacuation forcée des résidences mobiles en cas de stationnement illicite sans passer par le juge. Et l'article 9-1 a pour objet d'étendre aux communes non inscrites au schéma départemental d'accueil des gens du voyage les procédures de mise en demeure et d'évacuation forcée par décision du préfet instituées par cet article 9.
Plus précisément, le requérant estimait que les dispositions contestées étaient contraires au principe d’égalité puisqu’elles visaient à interdire aux gens du voyage et à eux seuls de stationner en dehors des aires d’accueil et restreignait la liberté d’aller et de venir sur une base ethnique
Dans sa décision rendue le 9 juillet 2010 (n° 2010-13 QPC), le Conseil constitutionnel a jugé les deux articles précités conformes à la Constitution. Le législateur a assuré une conciliation conforme à la Constitution entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement protégées et notamment la liberté d'aller et venir. Le Conseil constitutionnel a par ailleurs précisé que ces dispositions ne méconnaissent pas le principe d'égalité. En utilisant le critère des personnes dont « l'habitat traditionnel est constitué de résidences mobiles », le législateur s'est fondé sur une différence de situation objective entre ces personnes et celles qui vivent de manière sédentaire. Cette distinction n'instituant aucune discrimination fondée sur une origine ethnique.
Le 30 décembre 2010, la cour administrative d’appel confirma la décision du 4 janvier 2010.
CEDH. Irrecevabilité.
Invoquant l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme (interdiction de la discrimination) combiné avec l’article 2 du Protocole no 4 (liberté de circulation), le requérant se plaint de ce que le dispositif d’expulsion des « gens du voyage » prévu par l’article 9 de la loi du 5 juillet 2000 précitée est contraire au principe de non-discrimination en ce qu’il restreint, sur une base ethnique, la liberté de circulation, qui inclut la liberté de stationnement. Il soutient que les dispositions litigieuses « visent à interdire aux gens du voyage et à eux seuls de stationner en dehors des aires d’accueil qui leur sont réservées ».
La Cour rappelle que l’article 2 du Protocole n° 4 n’est applicable qu’à une personne qui se trouve régulièrement sur le territoire d’un État. Les critères et exigences de régularité du séjour relèvent en premier lieu du droit interne. Cette disposition ne reconnaît pas le droit pour un étranger de résider ou de continuer à résider dans un pays dont il n’est pas ressortissant et ne régit en aucune manière les conditions dans lesquelles une personne a le droit de résider dans un État.
En l’espèce, le requérant n’apporte aucun élément permettant de justifier de la régularité de son séjour sur le territoire français au-delà de la période de trois mois prévue par l’article L. 121-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
Il s’ensuit que le requérant ne peut donc invoquer le droit de circuler librement garanti par l’article 2 du Protocole n° 4, ce qui rend l’article 14 inapplicable celui-ci n’ayant pas d’existence indépendante des autres articles de la Convention.
En conséquence, la Cour déclare la requête irrecevable et la rejette.
CEDH, décis., 16 janv. 2018, n° 19462/12
Références
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 14
« Interdiction de discrimination. La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
■ Protocole n° 4 du 16 septembre 1963 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales reconnaissant certains droits et libertés autres que ceux figurant déjà dans la Convention et dans le premier Protocole additionnel à la Convention (Protocole n° 11 du 11 mai 1994)
Article 2
« Liberté de circulation. 1. Quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d'un État a le droit d'y circuler librement et d'y choisir librement sa résidence.
2. Toute personne est libre de quitter n'importe quel pays, y compris le sien.
3. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l'ordre public, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.
4. Les droits reconnus au paragraphe 1er peuvent également, dans certaines zones déterminées, faire l'objet de restrictions qui, prévues par la loi, sont justifiées par l'intérêt public dans une société démocratique. »
■ Cons. const. 9 juill. 2010, M. Orient O. et autre, n° 2010-13 QPC : AJDA 2010. 1398; ibid. 2324, note Aubin; Constitutions 2010. 601, note Le Bot.
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