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[ 26 juillet 2010 ] Imprimer

Procédure pénale

Rupture de l’égalité des armes = cause de nullité de la procédure pénale

Mots-clefs : Instruction, Demande d’acte (procureur de la République, requête, présence), Audition, Expert, Nullité, Droit à un procès équitable, Principe d’égalité des armes, Droit des parties d’être représentées

Le principe de l’égalité des armes, tel qu’il résulte de l’exigence d’une procédure équitable et contradictoire, implique que l’avocat d’une partie puisse disposer du droit d’assister à l’audition d’un expert effectué sur réquisitions du procureur de la République en présence de celui-ci.

Par l’arrêt du 11 mai 2010, la chambre criminelle reconnaît que la simple méconnaissance des droits de la défense, en l’occurrence du principe de l’égalité des armes, est susceptible d’entraîner la nullité de la procédure pénale. Était ici en cause le dispositif prévu par l’article 82 du Code de procédure pénale : celui-ci autorise le procureur de la République à requérir du magistrat instructeur tout acte lui paraissant utile à la manifestation de la vérité et à demander à assister à l’accomplissement des actes ainsi requis. En l’espèce, deux personnes mises en examen avaient demandé la nullité de l’audition d’un expert autorisée par le juge d’instruction en application de l’article 82, qui s’était déroulée en la seule présence du ministère public. Une requête qui devait être rejetée par la chambre de l’instruction au motif qu’« aucune disposition légale ne prévoit ni ne fait obligation au juge de convoquer les autres parties ou leurs avocats », mais qui est favorablement accueillie par la chambre criminelle.

Au visa des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et préliminaire du Code de procédure pénale, la Haute cour énonce ainsi que « le principe de "l’égalité des armes" tel qu’il résulte de l’exigence d’une procédure équitable et contradictoire, impose que les parties au procès pénal disposent des mêmes droits ; qu’il doit en être ainsi, spécialement, du droit pour l’avocat d’une partie d’assister à l’audition d’un expert effectuée sur réquisitions du procureur de la République ».

La chambre criminelle ne se prononce par explicitement sur la nature de la nullité encourue. Néanmoins, il paraît possible de déduire des motifs retenus par la cour d’appel — notamment qu’aucun grief n’aurait été causé aux demandeurs, en raison de la possibilité de discuter l’avis de l’expert devant les juges du fond en cas de renvoi devant une juridiction de jugement (art. 82-2 C. pr. pén.) — que la Haute cour classe implicitement la violation des droits de la défense résultant d’une rupture de l’égalité des armes parmi les atteintes faisant nécessairement grief.

Moins hypothétiquement, on rappellera que le principe de l’égalité des armes est issu de la jurisprudence européenne, où il est envisagé comme un élément du droit à un procès équitable ; pour la Cour de Strasbourg, il implique qu’une partie ne soit pas placée dans une situation de net désavantage par rapport à une autre (v. par ex. CEDH 10 oct. 2006, Ben Naceur c. France ; 22 mai 2008, Gacon c. France). Il a été consacré par le Conseil constitutionnel sous la formule d’équilibre des droits des parties (décis. n° 89-260 DC du 28 juill. 1989), et repris comme tel par le législateur à l’article préliminaire du Code de procédure pénale. Peu de cassations sont rendues au seul visa de ce principe, difficilement transposable en droit français (comment « mesurer » une situation de net désavantage ?) ; et elles étaient jusqu’à présent réservées à l’exercice des voies de recours (v. Crim. 6 mai 1997, s’agissant de l’ancien art. 546 c. pr. pén. qui accordait un droit d’appel général au procureur général en matière contraventionnelle ; 17 sept. 2008, s’agissant de l’ancien art. 505 c. pr. pén. qui accordait au procureur général un délai d’appel plus long matière correctionnelle). Un ensemble d’éléments qui rend d’autant plus remarquable l’arrêt du 11 mai.  

Crim. 11 mai 2010, n° 10-80.953, F-P+F

Références

■ Code de procédure pénale

Article préliminaire

« I. - La procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties.
Elle doit garantir la séparation des autorités chargées de l'action publique et des autorités de jugement.
Les personnes se trouvant dans des conditions semblables et poursuivies pour les mêmes infractions doivent être jugées selon les mêmes règles.
II. - L'autorité judiciaire veille à l'information et à la garantie des droits des victimes au cours de toute procédure pénale.
III. - Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie. Les atteintes à sa présomption d'innocence sont prévenues, réparées et réprimées dans les conditions prévues par la loi.
Elle a le droit d'être informée des charges retenues contre elle et d'être assistée d'un défenseur.
Les mesures de contraintes dont cette personne peut faire l'objet sont prises sur décision ou sous le contrôle effectif de l'autorité judiciaire. Elles doivent être strictement limitées aux nécessités de la procédure, proportionnées à la gravité de l'infraction reprochée et ne pas porter atteinte à la dignité de la personne.
Il doit être définitivement statué sur l'accusation dont cette personne fait l'objet dans un délai raisonnable.
Toute personne condamnée a le droit de faire examiner sa condamnation par une autre juridiction. »

Article 82

« Dans son réquisitoire introductif, et à toute époque de l'information par réquisitoire supplétif, le procureur de la République peut requérir du magistrat instructeur tous actes lui paraissant utiles à la manifestation de la vérité et toutes mesures de sûreté nécessaires. Il peut également demander à assister à l'accomplissement des actes qu'il requiert.
Il peut, à cette fin, se faire communiquer la procédure, à charge de la rendre dans les vingt-quatre heures.
S'il requiert le placement ou le maintien en détention provisoire de la personne mise en examen, ses réquisitions doivent être écrites et motivées par référence aux seules dispositions de l'article 144.
Si le juge d'instruction ne suit pas les réquisitions du procureur de la République, il doit, sans préjudice de l'application des dispositions de l'article 137-4, rendre une ordonnance motivée dans les cinq jours de ces réquisitions.
A défaut d'ordonnance du juge d'instruction, le procureur de la République peut, dans les dix jours, saisir directement la chambre de l'instruction. Il en est de même si le juge des libertés et de la détention, saisi par le juge d'instruction, ne rend pas d'ordonnance dans le délai de dix jours à compter de sa saisine. »

Article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme – Droit à un procès équitable

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à :
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui ;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent ;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
e) se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience. »

CEDH 3 oct. 2006, Ben Naceur c. France, req. n° 63879/00.

CEDH 22 mai 2008, Gacon c. France, req. n° 1092/04 ; RSC 2008. 635, obs. Giudicelli ; ibid, 696, obs. Marguénaud.

Cons. const., décis. n° 89-260 DC du 28 juill. 1989, Loi relative à la sécurité et à la transparence du marché financier ; JORF du 1er août 1989, p. 9676 ; Rec. Cons. const. 71.

Crim. 6 mai 1997, Bull. crim., n° 170 ; D. 1998. 223, note Cerf ; RSC 1997. 858, obs. Dinthilac ; JCP 1998. II. n° 10056, note Lassalle.

Crim. 17 sept. 2008, n° 08-80.598, AJ pénal 2008. 456, obs. Saas.

 

Auteur :S. L.


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