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Droit des obligations
Rupture des pourparlers : les motifs sont contrôlés !
Mots-clefs : Responsabilité civile, Pourparlers, Négociation, Régime, Rupture, Liberté contractuelle, Limite, Abus, Motifs, Contrôle
Motivée par les difficultés de financement rencontrées par son auteur, la rupture des pourparlers, même avancés, ne peut être considérée comme abusive.
Une association chargée de réaliser des logements locatifs dans des quartiers faisant l'objet de rénovation urbaine avait retenu l'offre d’un promoteur immobilier, en vue de la réalisation d'un programme de logements. Un contrat d'études préliminaires avait été signé le 15 octobre 2010 entre ce promoteur et une société civile détenue par l'association. Autorisée par celle-ci, le promoteur avait déposé un permis de construire, qu’il avait obtenu le 1er juillet 2011. Puis, par une lettre en date du 27 juin 2012, l'association avait informé le promoteur qu'elle n'entendait pas poursuivre le projet en raison du prix de revient de l'opération. Ce dernier avait assigné l’association en responsabilité civile de l'association pour rupture abusive des pourparlers à l’effet d’obtenir le remboursement de ses débours et de la perte de rémunération avec intérêts au taux légal à dater de l'assignation, ainsi qu’une certaine somme au titre de son préjudice commercial et financier.
La cour d’appel rejeta sa demande, ce que la Cour de cassation approuve au motif que les juges du fond ayant relevé qu'il résultait des documents produits, et dont la teneur n’était pas contestée par le promoteur, que des problèmes de financement, survenus au cours de l'année 2011 à la suite d’une réduction substantielle des ressources de l'association causée par le désengagement de l'État, étaient à l'origine de la suspension puis de l'abandon du projet, ils avaient pu déduire de ce seul motif que l'association n'avait pas eu à l'égard du promoteur une attitude abusive.
Le régime de la négociation est porté par deux principes complémentaires. D’une part, par celui de la liberté contractuelle, qui se traduit, dans l’hypothèse de pourparlers, par la liberté de ne pas contracter, autrement dit, par une liberté de rompre. La rupture des négociations est donc, par principe, libre. D’autre part, par un principe de bonne foi, de loyauté dans la conduite et le cas échéant, la rupture des négociations (Com. 26 nov. 2003, n° 00-10.243), l’idée étant que lorsqu’une des parties à la négociation est sûre de ne pas vouloir conclure le contrat projeté, elle doit non seulement s’interdire de les poursuivre mais, également, les rompre sans abus. Si la rupture est libre, les circonstances qui l’entourent peuvent être abusives. Plusieurs éléments permettent de caractériser l’abus dans la rupture des pourparlers, lequel se déduit d’une réunion de circonstances le plus souvent liées à la brutalité et à l’intention malveillante de son auteur.
En l’espèce, l’auteur du pourvoi avait tenté de soutenir que la mauvaise foi de l’association aurait été démontrée par le motif de l’abandon du projet. Or, en principe, les juges du fond n’ont pas à rechercher les motifs de la rupture (Civ. 1re, 20 déc. 2012, n° 11-27.340 : « la cour d’appel a pu, sans avoir à en rechercher les motifs, décider que la rupture des pourparlers, (…), n’était pas abusive »). En effet, celui qui est libre de rompre des négociations n’a pas par hypothèse à justifier d’un motif légitime. Cependant, le contrôle des motifs de la rupture est en fait exercé lorsque celle-ci intervient à la suite de pourparlers avancés. Un régime à deux vitesses se dessine en jurisprudence : lorsque les pourparlers sont peu avancés, ils pourraient être rompus librement, sans contrôle des motifs (V. Civ. 3e, 18 déc. 2012, n° 10-30.764) ; au contraire, lorsqu’ils sont engagés depuis un certain temps, ils ne pourraient être rompus que pour un motif légitime (Com. 18 janv. 2011, n° 09-14.617). La décision rapportée confirme cette évolution, les motifs de la rupture ayant été effectivement appréciés par les juges pour exclure, en conséquence, l’abus. En effet, les juges ont tenu compte de la cause, légitime et objective, de l’arrêt des négociations : des difficultés de financement, ce qui excluait de fait qu’elle ait agi de façon malicieuse, c’est-à-dire abusive.
Aussi cet arrêt confirme-t-il la fragilité de la thèse selon laquelle il n’y aurait pas véritablement de liberté de rompre les négociations mais tout au plus un droit, dont l’abus serait précisément sanctionné au terme d’un contrôle des motifs (V. J.Ghestin, « La responsabilité délictuelle pour rupture abusive des pourparlers », JCP 2007, I, 155, n° 11 et 26 : « la rupture des pourparlers est l’exercice d’un droit dont l’abus est contrôlé » et « la prise en considération du motif de la rupture est sur le plan pratique et théorique d’une importance essentielle. C’est par le contrôle des motifs que se concrétise le plus évidemment la mise en œuvre de la notion d’abus d’un droit »), et ce d’autant plus que le contrat d’études préliminaires prévoyait que la rupture pourrait intervenir « pour quelque raison que ce soit ».
Surtout, ce contrôle de la motivation de la rupture entre en conflit avec la règle classique et d’ailleurs appliquée dans cette affaire selon laquelle le préjudice réparable en cas de rupture des pourparlers ne peut jamais consister en la perte de chance de signer le contrat négocié. Il se cantonne à la perte subie par le négociateur déçu en raison des diverses dépenses inhérentes à la négociation rompue, par exemple les frais engendrés par l’intervention d’avocats, d’experts et de spécialistes, le transport et l’hébergement des négociateurs, la rédaction des accords précontractuels, ainsi que les études préalables. On admet qu’un tel préjudice est réparable car l’abandon des pourparlers prive de cause ces dépenses et les rend donc, a posteriori, inutiles par la faute de celui qui les rompt. La réparation du préjudice résidant dans la perte d’une chance de tirer profit de la conclusion et de l’exécution du contrat négocié est, en revanche, exclue parce que ce préjudice n’a pas été causé par la rupture abusive de la négociation, mais seulement par la rupture de la négociation elle-même, laquelle, en raison du principe de liberté qui domine le régime des négociations, ne constitue pas une faute. Autrement dit, ce préjudice n’est pas réparable pour la seule raison qu’il résulte uniquement de la rupture de la négociation. Or si la rupture n’est plus libre en raison du contrôle de sa motivation, cette limite au champ de l’indemnisation pourrait disparaître.
Civ. 3e, 9 mars 2017, n° 16-12.846
Références
■ Com. 26 nov. 2003, n° 00-10.243 P, D. 2004. 869, note A.-S. Dupré-Dallemagne ; ibid. 2922, obs. E. Lamazerolles ; Rev. sociétés 2004. 325, note N. Mathey ; RTD civ. 2004. 80, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 85, obs. J. Mestre et B. Fages.
■ Civ.1re, 20 déc. 2012, n° 11-27.340.
■ Civ. 3e, 18 déc. 2012, n° 10-30.764.
■ Com. 18 janv. 2011, n° 09-14.617, RTD civ. 2011. 345, obs. B. Fages.
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