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Droit pénal général
Rupture du lien de causalité au pénal, perte de chance au civil
Mots-clefs : Perte de chance, Homicide involontaire, Lien de causalité (direct, indirect), Droit pénal, Droit civil, Responsabilité civile, Faute (simple, qualifiée)
L’incertitude du lien de causalité empêchant de retenir la qualification d’homicide involontaire n’interdit pas aux juges d’indemniser la victime selon les principes du droit civil au titre de la perte de chance.
Une femme enceinte était décédée des suites d’une complication rare de sa grossesse. Selon les experts, les médecins chargés du suivi opératoire de l’accouchement avaient tardé à ordonner son transfert vers un centre médical mieux équipé, sans que l’on puisse affirmer avec certitude que cette erreur avait été déterminante dans la réalisation du dommage.
Le tribunal correctionnel avait condamné les prévenus pour homicide involontaire, décision infirmée par les juges d’appel, qui avaient également refusé d’indemniser sur le plan du droit civil les ayants droit de la victime.
L’article 470-1 du Code de procédure pénale permet pourtant aux juges de décider de l’octroi de dommages-intérêts, dans l’hypothèse où les poursuites pour une infraction involontaire dans la définition qu’en donne l’article 121-3 du Code pénal aboutissent à la relaxe du prévenu. En d’autres termes, si la responsabilité pénale n’est pas retenue, l’indemnisation du dommage au civil reste possible.
Il s’agit alors de pallier la trop grande rigueur du droit pénal, qui définit les délits involontaires de façon très stricte. En effet, la loi du 10 juillet 2000 a modifié les conditions d’incrimination des personnes poursuivies pour des délits non intentionnels. En cas de causalité directe entre le dommage et les actes de la personne poursuivie, la faute simple reste suffisante pour prononcer la condamnation.
À l’inverse, en cas de causalité indirecte entre le dommage et les faits en cause, une faute qualifiée du prévenu doit être prouvée. Or, bien souvent (et c’était le cas en l’espèce), le ministère public éprouve des difficultés pour prouver l’existence d’un lien de causalité — même indirect — entre les agissements des prévenus et le résultat dommageable.
Dans cette triste affaire, les juges d’appel avaient relaxé les médecins en raison de la trop grande incertitude sur l’existence d’un lien de causalité entre les actes de ces derniers et le décès du patient. La chambre criminelle approuve cette analyse en rappelant qu’il appartient aux juges du fond d’apprécier souverainement l’existence du lien causal. Elle confirme donc son hostilité à voir appliquer la notion de perte de chance au droit pénal (Crim. 22 mars 2005), en application du principe de l’interprétation stricte de la loi pénale.
En matière civile, à l’inverse, les juges, grâce à la notion de perte de chance, peuvent rétablir le lien de causalité entre le préjudice et le fait dommageable. La perte de chance, disparation de la probabilité d’un événement favorable, s’incarne en l’espèce dans les hésitations des médecins, qui, selon la Cour, « ont probablement fait perdre à la patiente une perte de chance de survie ». Ce raisonnement permet de surmonter l’exigence du caractère certain du préjudice tel qu’exigé par les articles 1382 et 1383 du Code civil, et d’indemniser les ayants droit de la victime.
Cet arrêt reprend les solutions déjà dégagées par la chambre criminelle par le passé (Crim. 20 mars 1996).
Crim. 3 nov. 2010, n° 09-87.375
Références
« Préjudice résultant de la disparition, due au fait d'un tiers, de la probabilité d'un événement favorable et donnant lieu à une réparation partielle, mesurée sur la valeur de la chance perdue déterminée par un calcul de probabilités. »
« Dans le droit des obligations, lien de cause à effet entre la faute d'une personne ou le rôle d'une chose et le préjudice subi par un tiers. Plusieurs facteurs pouvant intervenir dans la réalisation d'un dommage, la doctrine s'est efforcée de préciser cette notion ; on a parfois soutenu que toute cause est à l'origine de l'intégralité du dommage (théorie de l'équivalence des conditions) ; mais on a dit, à l'inverse, qu'il fallait rechercher la cause adéquate, c'est-à-dire celle qui, normalement, est de nature à provoquer le dommage considéré. La jurisprudence applique généralement la théorie de la causalité adéquate.
Droit pénal : Dans les délits non intentionnels, depuis la loi no 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à en préciser la définition, la causalité est un critère d'appréciation de la responsabilité pénale des personnes physiques, pour se conjuguer désormais avec deux catégories de fautes. Lorsque la causalité est directe, une faute simple suffit à la responsabilité.Lorsque la causalité est indirecte, c'est-à-dire lorsque les prévenus ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, une faute qualifiée est requise pour engager leur responsabilité, sous la forme, soit d'une violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit d'une faute caractérisée ayant exposé autrui à un risque d'une particulière gravité qui ne pouvait être ignoré. »
« Délit dont l'élément moral consiste en une faute plus ou moins prononcée. Il s'agit, soit d'une faute d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit d'une faute délibérée par mise en danger de la personne d'autrui, soit d'une faute caractérisée ayant exposé autrui à un risque d'une particulière gravité qui ne pouvait être ignoré. Depuis la loi no 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels, la causalité est également un critère d'appréciation de la responsabilité pénale des personnes physiques, pour se conjuguer désormais avec ces différentes catégories de fautes. »
« Principe dérivé de la légalité pénale, selon lequel les lois d'incrimination et de pénalité doivent être appliquées sans extension ni restriction. »
Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.
■ Article 470-1 du Code de procédure pénale
« Le tribunal saisi, à l'initiative du ministère public ou sur renvoi d'une juridiction d'instruction, de poursuites exercées pour une infraction non intentionnelle au sens des deuxième, troisième et quatrième alinéas de l'article 121-3 du code pénal, et qui prononce une relaxe demeure compétent, sur la demande de la partie civile ou de son assureur formulée avant la clôture des débats, pour accorder, en application des règles du droit civil, réparation de tous les dommages résultant des faits qui ont fondé la poursuite.
Toutefois, lorsqu'il apparaît que des tiers responsables doivent être mis en cause, le tribunal renvoie l'affaire, par une décision non susceptible de recours, devant la juridiction civile compétente qui l'examine d'urgence selon une procédure simplifiée déterminée par décret en Conseil d'État. »
■ Code pénal
« Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre.
Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d'autrui.
Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.
Dans le cas prévu par l'alinéa qui précède, les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer.
Il n'y a point de contravention en cas de force majeure. »
«Le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l'article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, la mort d'autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende.
En cas de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75000 euros d'amende. »
■ Code civil
« Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »
« Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. »
■ Crim. 22 mars 2005, Dr. pénal 2005. 103 (1re esp.), obs. Véron.
■ Crim. 20 mars 1996, Bull. crim. n° 119, RTD civ. 1996. 912.
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