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[ 23 janvier 2020 ] Imprimer

Droit des obligations

Rupture d’une relation commerciale établie : le principe de non-cumul plie mais ne rompt pas

En cas de rupture brutale d’une relation commerciale établie, la demande en réparation ne peut être formée sous le double fondement de la responsabilité contractuelle et délictuelle qu’à la condition de reposer sur un objet distinct.

Après sept ans de collaboration, un prestataire de services se voit notifier par son partenaire commercial la fin de leur relation, assortie d’un préavis de deux mois, son cocontractant lui reprochant divers manquements dans l’exécution de la prestation. Le prestataire l’assigne alors en justice sur le double fondement des articles 1382 et 1147 du Code civil dans leur rédaction applicable à la cause, afin d’être indemnisé du préjudice causé par la brutalité de cette rupture, qu’il juge non seulement abusive mais également fautive, sur le terrain contractuel, en l’absence de motif légitime susceptible de justifier la rupture de leur relation commerciale. 

La cour d’appel juge que le principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle s'oppose à l'examen de ses demandes indemnitaires, indistinctement fondées sur ces deux types de responsabilité alors qu’elles reposent sur des faits identiques. 

Au soutien de son pourvoi en cassation, le prestataire s’appuie sur l’articulation du mécanisme spécifique de responsabilité instauré par l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce avec le principe de non-cumul ayant motivé la décision des juges du fond. Il précise en effet que si ce principe interdit au créancier d'une obligation contractuelle de demander réparation au débiteur de cette obligation qui ne l’a pas exécutée sur le fondement des règles de la responsabilité délictuelle, il ne fait cependant pas obstacle à ce qu'une partie contractante sollicite l'indemnisation du dommage causé par la rupture brutale de relations commerciales établies lorsqu'une telle demande repose sur des faits distincts de ceux procédant de la rupture de la relation contractuelle proprement dite, ce qui était le cas en l’espèce, l’indemnisation demandée visant à la fois à réparer le dommage né de l’absence de gravité suffisante des manquements contractuels invoqués par l’auteur de la rupture et celui causé par la brutalité de cette rupture, au regard de l'ancienneté de leurs relations commerciales. 

La Cour de cassation confirme l’analyse des juges d’appel : faute de distinction des demandes indemnitaires, formées sous le double fondement des responsabilités contractuelle et délictuelle, tout en évoquant une rupture brutale de la relation commerciale établie au sens de  l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, sans que ce texte soit, pour autant, expressément invoqué, l’action ainsi engagée en violation du, principe de non-cumul, qui trouve à s’appliquer dans les relations entre cocontractants, telles que celles nouées en l’espèce, devait être jugée irrecevable. 

L’auteur du pourvoi avait misé sur la spécificité de la responsabilité fondée sur la rupture d’une relation commerciale établie (C. com., art. L. 442-6-I-5) qui tient au fait que, bien qu’elle concerne généralement une relation commerciale entretenue par des parties liées par un ou plusieurs contrat(s), cette responsabilité spéciale, à l’instar de plusieurs régimes spéciaux de responsabilité (cf responsabilité au titre des accidents de la circulation, responsabilité du fait des produits défectueux), transcende la notion de contrat, en s’appuyant sur le courant d'affaires liant les parties davantage que sur l’acte juridique lui-même. C’est la relation commerciale durable dont elle entend sanctionner la rupture brutale, au-delà donc de la seule rupture du lien contractuel. C’est la raison pour laquelle une action fondée sur la responsabilité contractuelle n’exclut pas, en soi, une demande indemnitaire intentée sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce (v. Com. 24 oct. 2018, n° 17-25.672). Ce cumul n’est cependant possible qu’à la condition que la demande d’indemnisation du préjudice subi par la rupture brutale d’une relation commerciale repose sur un fait générateur distinct de la seule rupture du contrat liant les deux partenaires commerciaux puisqu’en vertu de la règle du non-cumul, qui se révèle en fait être un principe de « non-option », lorsque les conditions d’application de la responsabilité contractuelle sont réunies, il n’est pas possible de demander réparation sur le terrain délictuel. 

Au contraire, en l’espèce, la demande d’indemnisation reposait, malgré la dualité de son fondement juridique, sur un objet identique : l’abus dans la rupture de la relation, à la fois commerciale et contractuelle, ayant lié les parties, l’absence de motif légitime invoqué par le demandeur au pourvoi pour contester la gravité des manquements contractuels que son partenaire lui avait opposés pour justifier la rupture n’ayant eu d’autre but que de caractériser cet abus. Le principe de non-cumul des responsabilités lui imposait donc d’intenter son action sur le fondement exclusif de la responsabilité délictuelle, encourue par l’auteur de la rupture brutale d’une relation contractuelle établie. Sans préjuger de son bien-fondé, sa demande aurait en tout cas été jugée recevable.

Com. 4 déc. 2019, n° 17-20.032

Références

 Com. 24 oct. 2018, n° 17-25.672D. 2018. 2396, note F. Buy ; ibid. 2019. 783, obs. N. Ferrier ; JA 2018, n° 590, p. 11, obs. X. Delpech ; AJ Contrat 2019. 86, obs. N. Dissaux ; RTD civ. 2019. 103, obs. H. Barbier ; ibid. 112, obs. P. Jourdain

 

Auteur :Merryl Hervieu

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