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[ 18 septembre 2023 ] Imprimer

Droit des personnes

Saisine du juge des libertés et de la détention dans le cadre de soins psychiatriques sans consentement : illustration de l’autonomie du majeur protégé

Le majeur placé sous une mesure de curatelle n’a pas besoin de l’assistance de son curateur pour remettre en question la décision de maintien de soins psychiatriques sans consentement à son égard.

Civ. 1re, 5 juill. 2023, n° 23-10.096 B

L’on sait que le régime des soins psychiatriques sans consentement a connu d’importantes évolutions, les principales concernant les mesures d’isolement et de contention dont les abrogations successives ont alimenté la jurisprudence constitutionnelle récente (Cons. const. 31 mars 2023, n° 2023-1040/1041 QPC ; 4 juin 2021, n° 2021-912/913/914 QPC ; 19 juin 2020, n° 2020-844 QPC). C’est ici le cadre général des mesures psychiatriques sans consentement qui est tracé, l’arrêt publié permettant de revenir sur le croisement du droit des majeurs protégés avec celui des hospitalisations sous contrainte.

Le 16 août 2022, un majeur vulnérable, placé sous une mesure de curatelle, avait été admis en soins psychiatriques sans son consentement. La mesure prenait la forme d’une hospitalisation complète, sur décision du directeur de l’établissement concerné prise sur le fondement de l’article L. 3212-1 du Code de la santé publique. Le 22 août, le directeur de cet établissement avait saisi le juge des libertés et de la détention pour poursuivre la mesure sur le fondement de l’article L. 3211-12-1 du même code. Le 25 août, le juge avait ordonné la poursuite de l’hospitalisation complète. Le majeur protégé interjeta seul appel de cette décision, considérée comme injustifiée. Le premier président de la cour d’appel saisie déclara irrecevable l’appel formé en relevant que le majeur protégé n’était pas autorisé à l’interjeter sans l’assistance de son curateur.

Devant la Cour de cassation, l’intéressé soutint au contraire d’un majeur, même placé sous une mesure de curatelle, est en droit de remettre en cause seul, i. e. sans l’assistance obligatoire de son curateur, la décision de maintien de soins psychiatriques prodigués sans son consentement. La Haute cour lui donne raison.

Avec clarté, elle affirme que « tant la saisine du juge des libertés et de la détention aux fins d’obtenir la mainlevée d’une mesure de soins sans consentement que l’appel de sa décision maintenant une telle mesure constituent des actes personnels que la personne majeure protégée peut accomplir seule » (§8). La motivation de la Cour s’appuie sur deux dispositions générales issues du droit des majeurs protégés, les articles 415 et 459 du Code civil. De leur combinaison, la Cour déduit le droit du majeur protégé de saisir le juge des libertés et de la détention pour obtenir la mainlevée de la mesure contestée. En l’absence de disposition spécifique du Code civil sur cette question pourtant épineuse entremêlant protection des majeurs vulnérables et hospitalisation sans consentement, la Cour en appelle donc à des dispositions générales mais fondatrices du droit des majeurs protégés, en l’occurrence, le principe de leur autonomie impliquant leur droit à passer seuls des actes qui leur sont personnels.

Ainsi doit être comprise la référence à l’article 415 du Code civil, qui fait de l’intérêt de la personne protégée la ligne directrice de toute mesure concernant le majeur protégé, ce qui suppose de favoriser, dans la mesure du possible, son autonomieL’autonomie du majeur protégé est ainsi à l’honneur dans cet arrêt de principe dont la portée va au-delà du régime de la curatelle, le majeur protégé pouvant saisir seul le juge des libertés et de la détention, dans le cadre de soins psychiatriques sans consentement, au titre des « actes personnels » qu’il peut seul.

La saisine du juge des libertés et de la détention fait donc désormais partie de cette catégorie d’actes échappant, par définition, à l’assistance obligatoire que le Code civil prévoit dans un certain nombre hypothèses, notamment relatives à la curatelle. L’affirmation de la Cour étonne toutefois à la lecture de l’article 468, alinéa 3, du Code civil, qui rend l’assistance du curateur obligatoire pour introduire une action, ou s’en défendre. La première chambre civile fait d’ailleurs l’impasse sur ce texte dont le lien avec la qualification d’acte personnel que constitue la saisine du juge des libertés et de la détention pouvait être raisonnablement attendu. Cette lacune s’explique toutefois par la spécificité des règles relatives aux soins psychiatriques sans consentement, régis par plusieurs dispositions du Code de la santé publique. En effet, après les textes généraux issus du Code civil, la Cour se réfère à l’article L. 3211-12 du Code de la santé publique, texte spécifique aux soins psychiatriques qui dispose que la personne faisant l’objet de soins sans consentement peut saisir le juge des libertés et de la détention. Or ce texte de droit spécial ne distingue pas le majeur protégé et le majeur qui ne l’est pas. La règle d’interprétation interdisant de distinguer là où la loi ne distingue pas permet ainsi de justifier la solution, admettant le droit du majeur protégé même par une mesure de curatelle de saisir seul le juge, donc sans l’assistance de son curateur, pour obtenir la mainlevée de la mesure.

Introduite sur le fondement du droit des majeurs vulnérables, la décision commentée se trouve donc ensuite déplacée sur le terrain des soins psychiatriques sans consentement. Cette dualité de fondements permet d’atteindre l’équilibre ici observé entre protection et autonomie du majeur vulnérable. La préservation de la liberté individuelle du majeur, même protégé, eût rendu illégitime de l’obliger à être assisté par son curateur pour contester une mesure de placement en unité de soins psychiatriques sous contrainte. Seul visé par cette mesure prise sans son consentement, le majeur protégé se voit légitimement reconnaître le droit de saisir sans assistance le juge des libertés et de la détention. En effet, il doit pouvoir introduire seul une telle action dès lors que la mesure contestée est logiquement qualifiée, eu égard à la privation de liberté qu’elle représente, un acte purement personnel au majeur protégé.

Dont acte : un majeur protégé peut saisir seul le juge des libertés et de la détention pour obtenir la mainlevée de la mesure concernée, le principe valant tant pour la saisine que pour l’appel de la décision qui maintient la mesure.

Références :

■ Cons. const. 31 mars 2023, n° 2023-1040/1041 QPC : D. 2023. 762, note L. Bodet et V. Tellier-Cayrol.

■ Cons. const. 4 juin 2021, n° 2021-912/913/914 QPC AJDA 2021. 1176 ; D. 2021. 1324, et les obs., note K. Sferlazzo-Boubli.

■ Cons. const. 19 juin 2020, n° 2020-844 QPC AJDA 2020. 1265 ; D. 2020. 1559, et les obs., note K. Sferlazzo-Boubli ; ibid. 2021. 1308, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; RTD civ. 2020. 853, obs. A.-M. Leroyer.

 

Auteur :Merryl Hervieu


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