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Droit des obligations
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Il n’y a pas d’erreur sur la personne morale cocontractante lorsque le contrat, conclu intuitu personae, l’a été autant en considération de la société que de son dirigeant.
La société SFR avait conclu plusieurs contrats de distribution avec une société, représentée par son gérant. Il avait été mis fin à ces contrats sept ans après la conclusion du dernier d’entre eux. Une décision de justice, devenue irrévocable sur ce point, avait reconnu au dirigeant de la société de distribution le statut de gérant de succursale et condamné la société SFR à lui verser diverses sommes, notamment des rappels de salaire et les congés payés afférents, ainsi que des indemnités de rupture.
La société SFR avait ensuite assigné son ancien distributeur en annulation des différents contrats qui les avaient liés et, à titre subsidiaire, en résolution des mêmes contrats pour inexécution de plusieurs obligations qu’ils contenaient, ainsi qu’en réparation du préjudice causé par ces manquements contractuels, imputés à la société, et que son dirigeant aurait facilités.
En appel, la société SFR fut notamment déboutée de sa demande d’annulation des contrats, qu’elle avait fondée sur l’erreur commise sur la personne de son cocontractant.
Au soutien du pourvoi qu’elle forma devant la Cour de cassation, elle rappela que le vice du consentement constitué par l’erreur sur la personne avec laquelle on a eu l’intention de contracter entraîne la nullité de la convention chaque fois que la considération de cette personne était la cause principale de la convention, et qu’elle a porté sur les qualités essentielles de celle-ci ; elle précisa en ce sens que la qualité attachée au statut de personne morale du cocontractant est essentielle lorsqu’une partie a eu intention de contracter avec une société en raison de sa réputation et de son expérience ; elle reprocha en conséquence aux juges du fond, après avoir pourtant observé qu’il ressortait des dispositions contractuelles la liant la société à son distributeur « que la société SFR [avait] entendu souscrire les contrats de distribution avec la société Electronique occitane, représentée par M.L... , son gérant », d’en avoir déduit qu’aucune erreur sur la personne de son cocontractant n’avait vicié son consentement, lorsqu’il s’inférait de ses propres constatations qu’elle n’avait pas entendu contracter avec son gérant, pris en sa qualité de personne physique, mais uniquement avec la société, sans considération pour la personne la représentant.
La Cour de cassation juge ce moyen non fondé : après avoir énoncé que les conditions de l’exécution ultérieure du contrat ne pouvaient constituer un élément caractérisant l’erreur sur le consentement au moment de la conclusion du contrat et relevé que l’un des contrats litigieux stipulait clairement qu’il avait été « conclu intuitu personae en considération de la personne morale de la société […] ainsi qu’en considération de son dirigeant » et qu’en conséquence, il « ne pourra[it] être cédé en tout ou partie, sans l’accord préalable, exprès et écrit de SFR », la cour d’appel en a exactement déduit qu’aucune erreur n’avait été commise par la société SFR sur la personne de son cocontractant.
Aux termes des articles 1110, alinéa 2 ancien et 1134 du Code civil, l’erreur sur la personne du contractant n’est pas, en principe, une cause de nullité de la convention, une telle erreur étant, dans la grande majorité des cas, sans influence sur le consentement des parties, en sorte que celui qui a commis l’erreur ne peut juridiquement prétendre en être victime. Il en va toutefois autrement quand la considération de cette personne a constitué la cause principale ou première du contrat, autrement dit, quand le contrat a été conclu intuitu personae. Dans ce cas, la victime de l’erreur recouvre le droit d’obtenir l’annulation du contrat à la condition, au demeurant essentielle, que son erreur ait porté sur les qualités essentielles de son cocontractant (C. civ., ancien art. 1134), au même titre que l’erreur, de droit ou de fait, commise par le contractant sur la prestation due n’est sanctionnée par la nullité qu’à la condition de porter sur les qualités essentielles de cette prestation. Ainsi, qu’il s’agisse d’une chose ou d’une personne, seule l’erreur sur une ou plusieurs qualités jugées comme substantielles est prise en compte, en raison de l’influence évidente qu’elle aura alors exercé, pour le vicier, sur le consentement de sa victime. Celle portant sur une qualité accessoire, du bien ou de la personne, reste indifférente.
Encore faut-il s’entendre sur ce que recouvrent les qualités essentielles de la personne du cocontractant. Dans la figure du contrat intuitu personae, la notion ne peut être que subjective, contrairement au dualisme de l’erreur sur la substance de la chose, qui pouvait tout autant être entendue objectivement comme la matière physique dont est composé l’objet, que subjectivement, comme les qualités regardées comme substantielles par le contractant qui s’est trompé. En matière d’erreur sur la personne, seule cette dernière acception peut être retenue : l’erreur porte sur les qualités subjectivement essentielles, aux yeux d’un contractant, de la personne de son cocontractant, et érigées, en lien avec l’objet de la convention et la nature de la prestation convenue, en éléments déterminants de son consentement : qualifications et probité professionnelles (Civ. 2e, 13 avr. 1972, n° 70-12.774), aptitude particulière nécessaire à l’exécution de la convention (Com. 19 nov. 2003, n° 01-01.859), réputation, etc. Ainsi que le confirme la décision rapportée, les applications jurisprudentielles de ce type d’erreurs sont rares.
En l’espèce, la société demanderesse avait tenté de soutenir qu’elle avait eu l’intention de contracter avec la seule société personne morale, en considération de son expérience et de sa réputation, et en aucun cas avec son gérant, personne physique, en sorte qu’elle n’aurait pas contracté si elle avait su que les contrats de distribution conclus ne seraient pas exécutés par la société mais par son gérant. La thèse aurait pu convaincre les juges (v. pour une hypothèse voisine, Saint Denis de la Réunion, 6 oct. 1989) si l’ensemble des contrats signés n’avaient pas expressément mentionné que la société contractante était représentée par son gérant et si l’une des stipulations d’un d’entre eux n’indiquait pas clairement qu’il avait été conclu autant en considération de la personne morale qu’en considération de celle de son dirigeant. La limpidité de ces dispositions contractuelles ne laissait guère de doute sur la volonté, aussi certaine qu’éclairée, de la société SFR de conclure avec la société en tenant compte également de la personnalité de son dirigeant, quoiqu’elle n’ait pas conclu directement avec ce dernier, pris individuellement. Rédigé par la société SFR elle-même, le contrat conclu avec la société de distribution l’avait bien été en considération de son dirigeant social ; il n’aurait d’ailleurs pu, en l’espèce, en être autrement : dès lors que son engagement devait être prépondérant dans l’exécution du contrat, sa personnalité ne pouvait être qu’essentielle, pour sa formation, aux yeux de son cocontractant. La société SFR n’a donc pas été trompée sur la personne avec laquelle elle a contracté, étant précisé que l’erreur alléguée ne pouvait davantage résider dans l’inexécution ultérieure du contrat conclu : à supposer que ce manquement contractuel ait pu avoir pour effet de retirer à son auteur une qualité considérée comme essentielle, celui-ci, révélé au stade de l’exécution du contrat, devait en toute hypothèse rester indifférent, en l’absence d’influence possible sur le consentement exprimé au seul moment de sa conclusion.
Com. 11 déc. 2019, n° 18-10.790 et 18-10.842
Références
■ Civ. 2e, 13 avr. 1972, n° 70-12.774 P: D. 1973. 2, note J. Robert
■ Com. 19 nov. 2003, n° 01-01.859 P: D. 2004. 2037, obs. M.-N. Jobard-Bachellier ; ibid. 60, obs. V. Avena-Robardet ; RTD civ. 2004. 86, obs. J. Mestre et B. Fages
■ Saint Denis de la Réunion, 6 oct. 1989: JCP 1990, II, 21504, note Putman
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