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[ 19 septembre 2025 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Secret professionnel de l’avocat : un droit fondamental à réformer

Erigé en droit fondamental, le secret professionnel de l'avocat n’en demeure pas moins continûment contesté, et régulièrement malmené par l’action conjuguée du législateur et du juge. La Cour de cassation vient ainsi de refuser d'étendre le champ de son application aux activités de conseil de l'avocat, ranimant le vif débat concernant la divisibilité du secret professionnel. C’est dans ce contexte que le Conseil national des barreaux (CNB) a, au début du mois de juillet dernier, proposé une réforme du secret professionnel de l’avocat pour renforcer ce principe déontologique essentiel et reconnaître l'existence d'un « secret commun » entre avocats.

Deux principes encadrent l'exercice de la profession d'avocat : l'indépendance, qui en est la matrice ; le secret professionnel, qui en constitue une déclinaison essentielle. Ces principes dominent tous les autres car ils constituent l'essence de cette profession, mieux et plus encore que tous les autres principes déontologiques qui la gouvernent. Ils sont, de surcroît, indissociables, se renforçant l'un l'autre.

Le secret professionnel de l'avocat est un droit fondamental pour son client, que des appréciations ou circonstances particulières ne peuvent en conséquence atteindre. Il est institué dans le seul intérêt du client, non dans celui de l’avocat (v. Civ. 1re, 6 déc. 2023, n° 22-19.285), sur lequel pèse cette obligation à la portée élargie : opposable erga omnes, applicable sans conditions ni réserves, le secret professionnel est un principe indisponible en ce que nul, pas même le client, ni quelque autorité que ce soit, ne peut en délier l'avocat, comme le prévoient avec rigueur les textes déontologiques. Indissociable de son indépendance, le secret professionnel fait de l'avocat le confident indispensable de son client. Ce lien de confiance a pour fondement un intérêt général, celui du bon fonctionnement de toute société démocratique dans le cadre d'un État de droit. Il s’ensuit que le secret professionnel est considéré comme d'ordre public, qu'il est général et absolu, ne cédant que devant des intérêts généraux supérieurs (Civ. 1re, 12 oct. 2016, n° 15-14.896).

Le secret professionnel est protégé par la loi sur le fondement général de l'article 226-13 du Code pénal et par le biais particulier de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, qui vient préciser la portée de l'article 226-13 précité concernant la profession d'avocat, en tentant de recenser l'ensemble des éléments détenus par l'avocat à protéger au nom du secret professionnel. 

Il bénéficie également d'une protection constitutionnelle indirecte (sur le refus d’une constitutionnalisation du secret professionnel des avocats, Cons. Constit., 24 juill. 2015, n° 2015-478 QPC, Association French Data Network et autres : « aucune disposition constitutionnelle ne consacre spécifiquement un droit au secret des échanges et correspondances des avocats »), lorsque le Conseil constitutionnel examine les atteintes susceptibles d'être portées au secret de la relation avocat-client par son contrôle du respect des droits et libertés constitutionnellement garantis que sont le droit au secret des correspondances, le droit au respect de la vie privée ou de l'exercice des droits de la défense. 

Sa protection est également garantie dans l’ordre européen. La CEDH érige le secret de la relation « avocat-client » en droit fondamental et sanctionne, par le biais du contrôle de proportionnalité, les atteintes disproportionnées qui y sont portées (CEDH, 16 déc. 1992, n° 13710/88, Niemetz c. Allemagne ; CEDH, 24 oct. 2008, n° 18603/03, André et autre c. France). De même, la Cour de justice des communautés européennes a très tôt considéré que la confidentialité des communications entre les avocats et leurs clients répond à « l'exigence, dont l'importance est reconnue dans l'ensemble des États membres, que tout justiciable doit avoir la possibilité de s'adresser en toute liberté à son avocat » (CJCE, 18 mai 1982, AM et S Europe Limited, aff. C-155.79)

Les Hautes juridictions françaises contribuent également à garantir une protection renforcée des échanges entre les avocats et leurs clients, sanctionnant avec rigueur, directement ou indirectement, toute violation du secret professionnel par un avocat (Civ. 1re, 12 oct. 2016, préc. ; CE, Ass., 9 avr. 1999, Mme Toubol-Fisher et Bismuth, n° 196177 ; v. E. Piwnica, « Justice et secret », Justice et cassation, 2007)

Cette protection renforcée se justifie par la considération que les avocats assurent une mission fondamentale dans une société démocratique, reposant sur une relation de confiance avec leurs clients, auxquels est ainsi garanti le droit à un procès équitable, comprenant le droit de tout accusé à ne pas s'auto-incriminer par la révélation d’informations compromettantes.

Le secret professionnel de l’avocat est toutefois en danger. Ainsi, plusieurs décisions récentes rendues par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 11 mars 2025 (n° 24-82.517, n° 23-86.261 et n° 24-80.926) ont encore restreint la portée de sa protection aux seuls actes liés aux droits de la défense, excluant l'activité de conseil de son domaine d’application (v. déjà, Crim. 30 juin 1999, n° 97-86.318 ; adde, Cons. constit. n° 2022-1030 QPC, 19 janv. 2023, Ordre des avocats au barreau de Paris et autres, excluant du secret professionnel de l'avocat ce qui relève de son activité de conseil et ne se rattache pas directement à une procédure juridictionnelle). Malgré la rédaction de l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 – « en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense […], les correspondances échangées entre le client et son avocat […] sont couvertes par le secret professionnel » – la Chambre criminelle de la Cour de cassation tient pour acquis que l’existence de ce secret n’empêche pas les autorités de saisir ces correspondances, pour autant qu’elles ne relèvent pas de l’exercice des droits de la défense. Encore sèchement rappelée cette année, cette divisibilité du secret professionnel entre les activités de défense et les activités de conseil de l'avocat ranime la crainte exprimée par certains membres de la profession d'une dévalorisation continue du secret professionnel (B. Py, « Secret professionnel : le syndrome des assignats ? », AJ pénal, n° 4/2004, avril 2004, p. 133, V. Nioré, « Le secret professionnel de l'avocat : un chef d'œuvre en péril ? », JCP, G, n° 43, 20 oct.2014, p. 1942). Elle pose en outre un problème majeur de contrariété au droit de l’UE (CJUE, 24 sept. 2024, aff. C-432/23).

Face à ces constats et pour répondre aux inquiétudes exprimées par les principaux intéressés, le Conseil national des barreaux (CNB) a, lors de son assemblée générale des 3 et 4 juillet 2025, réaffirmé l'importance du secret professionnel de l'avocat, considéré comme un pilier fondamental des droits de la défense. Il a voté un rapport proposant une réforme du secret professionnel de l'avocat. Ce rapport suggère ainsi plusieurs modifications législatives :

● Dans le cadre des perquisitions au sein du domicile ou du cabinet de l'avocat : modifier les articles 5656-1-156-1-2 du Code de procédure pénale et l’article 145 du Code de procédure civile ;

● Dans le cadre des écoutes téléphoniques :  mettre en place une plateforme nationale de protection du secret professionnel, modifier l’article 100, al. 4, du Code de procédure pénale pour y inclure l'exigence préalable d'indices graves et concordants d'une infraction, renforcer les droits du bâtonnier et de ses délégués en cas de contestation, et modifier l’article 100-7, al. 2, du même code pour ajouter une obligation d’information de l'ordre des avocats en cas d'interception des conversations d'un bâtonnier en exercice.

En outre, le rapport soutient la pratique d'échanges d'informations entre avocats, les informations partagées devant être également couvertes par le secret professionnel. Cette pratique permet une collaboration ou une substitution aux fins d'une même défense, sans que les avocats qui y concourent soient tous officiellement désignés. Toutefois, l'absence d'encadrement de cette pratique expose les avocats à des poursuites disciplinaires et pénales pour avoir transféré des pièces à un confrère sans désignation formelle. Afin de mieux protéger la profession, le CNB recommande donc d'ouvrir la possibilité à un avocat, désigné dans le cadre d'une procédure d'instruction, de définir autour de lui une « équipe de défense », inspirée de l'article 115 du Code de procédure pénale, et se positionne en faveur d'une réforme législative de l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, des articles 226-13 et 226-14 du Code pénal, en proposant la réécriture.

Ainsi, cette réforme législative permettrait de consacrer la possibilité pour les avocats concourant à une mission de défense ou de conseil d'une même personne d'échanger des informations couvertes par le secret professionnel.

Références :

■ Civ. 1re, 6 déc. 2023, n° 22-19.285 D. 2023. 2197 ; ibid. 2024. 570, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; ibid. 2025. 71, obs. T. Wickers ; AJ fam. 2024. 8, obs. F. Eudier ; RCJPP 2024, n° 06, p. 36, chron. S. Pierre Maurice ; RTD civ. 2024. 193, obs. J. Klein

■ Civ. 1re, 12 oct. 2016, n° 15-14.896 D. 2017. 635, note A. Andorno ; D. avocats 2016. 299, obs. L. Dargent

■ Cons. Constit., 24 juill. 2015, n° 2015-478 QPC, Association French Data Network et autres AJDA 2015. 1514 ; D. 2015. 1647, et les obs. ; ibid. 2016. 1461, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano

■ CEDH, 16 déc. 1992, n° 13710/88, Niemetz c. Allemagne AJDA 1993. 105, chron. J.-F. Flauss ; D. 1993. 386, obs. J.-F. Renucci ; RFDA 1993. 963, chron. V. Berger, C. Giakoumopoulos, H. Labayle et F. Sudre

■ CEDH, 24 juill. 2008, n° 18603/03, André et autre c. France D. 2008. 2353, et les obs

■ CJCE, 18 mai 1982, AM et S Europe Limited, aff. C-155.79 

■ CE, Ass., 9 avr. 1999, n° 196177, Mme Toubol-Fisher et Bismuth AJDA 1999. 834 ; ibid. 776, chron. P. Fombeur et M. Guyomar ; D. 1999. 399, note P. Terneyre ; RFDA 1999. 951, concl. H. Savoie ; RTD com. 1999. 664, obs. G. Orsoni 

■ Crim. 11 mars 2025, n° 24-82.517, n° 23-86.261 et n° 24-80.926 AJ pénal 2025. 235, note E. Mercinier-Pantalacci et V. Rigamonti ; RSC 2025. 422, obs. A. Chauvelot

■ Crim. 30 juin 1999, n° 97-86.318 D. 1999. 458, note J. Pradel ; ibid. 322, obs. J. Pradel ; RSC 1999. 840, obs. D.-N. Commaret

■ Cons. constit., 19 janv. 2023, n° 2022-1030 QPC, Ordre des avocats au barreau de Paris et autres D. 2023. 119 ; ibid. 1488, obs. J.-B. Perrier ; ibid. 2024. 76, obs. T. Wickers ; RSC 2023. 395, obs. A. Botton

■ CJUE, 24 sept. 2024, aff. C-432/23 D. 2025. 71, obs. T. Wickers ; RTD eur. 2025. 250, obs. A. Maitrot de la Motte

 

Auteur :Merryl Hervieu


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