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Droit de la fonction et des services publics
Service public de la justice : pas de dysfonctionnement sans exercice préalable des voies de recours
Mots-clefs : Service public de la justice, Fonctionnement défectueux, Caractérisation de la faute, Faute lourde, Voies de recours, Nécessité d’exercice
L'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi ne peut être appréciée que dans la mesure où l'exercice des voies de recours n'a pas permis de réparer le mauvais fonctionnement allégué.
Une femme avait cédé à l’État la propriété de diverses parcelles de terrain lui appartenant tout en conservant une part des droits à construire attachés à ces parcelles. Un refus de permis de construire lui ayant été ensuite opposé, elle avait demandé au préfet que les engagements contractuels de l'État fussent respectées, ou, à défaut, que lui fût versée une indemnité en réparation de son préjudice dans la mesure où aux termes du contrat de cession, la cédante conservait en partie le droit de construire sur ces parcelles. A la suite d'une décision implicite de rejet, la cédante avait saisi la juridiction administrative, puis la juridiction judiciaire, pour obtenir la résolution de la vente. Invoquant le fonctionnement défectueux du service public de la justice résultant, d'une part, de la durée de la procédure en résolution de la vente, clôturée par un arrêt de la Cour de cassation du 19 décembre 2006, et d'autre part, de la faute lourde engagée en raison d'une méconnaissance de l'article 1er du premier protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l’homme protégeant le droit de propriété, les héritiers de la cédante avaient assigné l'État en réparation de leur préjudice sur le fondement de l'article L. 141-1 du Code de l'organisation judiciaire. En appel, leur demande fut rejetée par la Cour d’Aix en Provence, comme elle l’est par la Cour de cassation qui retient qu'après avoir rappelé, à bon droit, que l'inaptitude du service public à remplir la mission dont il est investi ne peut être appréciée que dans la mesure où l'exercice des voies de recours n'a pas permis de réparer le mauvais fonctionnement allégué. Les juges du fond ont rappelé qu'à l'occasion du pourvoi en cassation ayant donné lieu à l'arrêt du 19 décembre 2006, les héritiers n'avaient pas critiqué l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence en ce qu'il avait énoncé que l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme était inapplicable en l'espèce, ce dont les juges n’ont pu que déduire que les héritiers, qui n'avaient pas exercé toutes les voies de recours à leur disposition, ne pouvaient se prévaloir d'aucune faute au titre d'un fonctionnement défectueux du service public de la justice.
La faute lourde dénoncée par les demandeurs au pourvoi renvoie à la solution depuis longtemps adoptée par la jurisprudence administrative concernant le fonctionnement de certains services publics : justice, police et tutelles administratives, services fiscaux. L’exigence d'une faute d’un tel degré s'explique généralement par les difficultés propres à l’exécution d'un service public, tel que celui de la justice, le juge ayant la lourde tâche de trancher des contestations parfois complexes. L'acte de juger suppose, en effet, d'appliquer des règles de droit à vocation générale à des situations de fait particulières et, comme toute prestation intellectuelle, présente un risque d’erreur. Inévitable, ce risque a conduit à restreindre le champ des fautes susceptibles d’engager la responsabilité des juges, afin de ne pas les paralyser dans l'exercice de leur mission. Ainsi l’erreur de droit ou la mauvaise appréciation d'une situation par un magistrat ne constitue-t-elle pas , en soi, un dysfonctionnement du service de la justice et la Cour de cassation a elle-même précisé que « la seule circonstance que des décisions judiciaires aient été censurées par elle, ou fussent contraires à sa doctrine, ne constituait pas une faute lourde »(Civ. 1re, 9 déc. 1997, n° 95-16.581). Cette solution se comprend d’abord en ce qu’elle permet d’éviter l’engagement d’actions fondées sur les revirements de jurisprudence pour remettre en cause les décisions antérieures par la voie du contentieux de la réparation. Elle se justifie d'autant plus que les voies de recours existantes permettent déjà de remédier à la plupart des erreurs commises. C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation rappelle dans cette décision que l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi ne peut être appréciée que dans la mesure où l'exercice des voies de recours n'a pas permis de réparer le mauvais fonctionnement allégué (Civ. 1re, 4 nov. 2010, n° 09-15.869). Or en l'espèce, en l’absence de contestation par les héritiers de l’inapplicabilité, jugée en appel, du texte de la Convention protégeant le droit de propriété, ce dont il doit être déduit qu’ils n’avaient pas épuisé toutes les voies de recours qui leur étaient offertes, la cassation finalement prononcée démontrait d’elle-même le bon fonctionnement du service de la justice.
Civ. 1re, 24 févr. 2016, n° 14-50.074
Références
■ Protocole additionnel n° 1 du 20 mars 1952 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales .
Article 1er
« Protection de la propriété. Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
■ Civ. 1re, 9 déc. 1997, n° 95-16.581.
■ Civ. 1re, 4 nov. 2010, n° 09-15.869 P.
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